Pour l’économiste, si le
prix du carbone est l’un des instruments économiques centraux pour réduire les
émissions, il ne peut sûrement pas être fixé par un marché, comme la Commission
européenne le préconise.
En quoi les marchés carbone sont-ils voués à l’échec ?
Dominique Plihon : Comme tous les marchés financiers, ils sont
caractérisés par l’instabilité et la spéculation et sont donc incapables de
fixer le prix du carbone. Or, ce dernier est une variable politique
importante : à l’échelle de l’Europe, c’est ce qui peut guider les
comportements et les politiques des acteurs privés et publics pour la réduction
de leurs émissions de gaz à effet de serre. Laisser fixer ce prix par un marché
est voué à l’échec, comme le démontre l’expérience récente. Car ce marché
existe en Europe depuis 2005 : des permis de polluer sont émis chaque année,
ils correspondent à un budget carbone global.
Le prix du carbone n’a cessé de fluctuer et est resté à des niveaux très
bas : 24 euros la tonne en 2019, 15 euros en 2018, il est descendu
jusqu’à 5 euros en 2016. Selon les travaux du Giec, il faudrait atteindre
des niveaux supérieurs à 100 euros la tonne de carbone pour respecter la
trajectoire de réchauffement globale à + 2 °C.
Ceux qui en profitent, ce sont les grandes entreprises, les PME y perdent.
Les grands sites de sidérurgie ou de l’automobile obtiennent des permis de
polluer, des quotas de CO2, gratuits. Ils ont pu vendre leur excédent… Ils
paient finalement très peu de taxes carbone. C’est un système instable, injuste
et inefficace. Le projet de la Commission de l’étendre à d’autres secteurs est
un mauvais choix qui ne pourra favoriser la transition nécessaire vers une
société décarbonée.
Comment devrait être fixé ce prix du carbone ?
Dominique Plihon Par les pouvoirs publics, en donnant une trajectoire pour
le futur. Ce prix est destiné à augmenter, il doit orienter la fiscalité mais
aussi les mesures de politiques publiques (aides, réglementation…). La Suède
est un bon exemple en la matière : le carbone y est à plus de 120 euros la
tonne et c’est le pays qui a le plus réduit ses émissions de CO2. À partir des
années 1990, le pays a programmé l’évolution à moyen-long terme du prix du
carbone, couplée avec une réforme de la fiscalité comprenant un important volet
écologique. La baisse globale des émissions résulte entre autres de la
réduction des émissions dues au chauffage des bâtiments, réalisée grâce aux
rénovations massives qui ont réduit la consommation globale et ont fait
disparaître le chauffage au fioul, au GPL et au gaz, dont la part reste
toujours importante en France. La Suède a introduit une planification
écologique, et ne s’est pas fiée au marché carbone.
Comment la planification écologique peut-elle résoudre cette équation ?
Dominique Plihon : On ne pourra réussir la transition sans une vision
de long terme. Elle implique des changements considérables – je parle de
ruptures – dans tous les domaines : la consommation des ménages, la
production des entreprises, les politiques publiques menées par les
collectivités sur les transports ou les bâtiments. Tout cela doit s’inscrire
dans le cadre d’une planification, un ensemble de mesures coordonnées, mais
aussi discutées avec tous les partenaires économiques et sociaux.
La France a eu une planification après la Deuxième Guerre mondiale, le pays
avait un plan indicatif à cinq ans – il faudrait sans doute un horizon
plus long – pour reconstruire l’appareil productif détruit. Aujourd’hui,
il doit être reconfiguré pour être conforme aux exigences climatiques. La
planification écologique doit aussi permettre l’acceptabilité sociale. Sur le
prix des carburants ou la facture de chauffage, les citoyens ne sont pas
touchés de la même manière : les plus pauvres sont aussi les plus dépendants du
transport individuel. À l’inverse, les plus riches, entreprises ou citoyens,
qui polluent plus par euro gagné, contribuent le moins en proportion de leur
richesse.
La transition ne sera
acceptée qu’à condition qu’elle soit juste et que des solutions alternatives
soient proposées : on ne peut augmenter la facture de carburant ou de chauffage
ou interdire les moteurs thermiques, sans, par exemple, rendre ces véhicules
accessibles via des subventions et des transports collectifs de réelle
substitution.
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