Pour le chercheur
François Gemenne, à Madagascar, comme ailleurs dans le monde, la famine n’est
pas liée qu’au dérèglement climatique. C’est en quelque sorte la goutte d’eau
qui fait déborder le vase. Entretien.
FRANÇOIS GEMENNE, Spécialiste
du climat et des migrations à l’université de Liège, en Belgique
Comment interpréter les déclarations du directeur du programme alimentaire
de l’ONU, selon lequel la famine à Madagascar est la première due au
réchauffement climatique ?
François Gemenne : Dire que c’est la première, je ne m’y avancerais
pas. Il est toujours difficile d’isoler la question climatique d’autres
facteurs socio-économiques. Les mêmes conditions en France n’auraient pas
forcément provoqué une famine… Cette dernière est un processus fondamentalement
politique. Et il ne faudrait pas le dépolitiser. Madagascar est un pays en
grande instabilité politique, et depuis longtemps. La production agricole
disponible pour la population locale a été considérablement réduite par un
accaparement des terres : les gouvernements les ont vendues ou louées à des
puissances étrangères au détriment des agriculteurs locaux. S’ajoutent à cela
des conditions climatiques particulières cette année – une grande sécheresse :
toute une population qui dépendait de l’agriculture de subsistance a perdu sa
source de revenus. Et c’est ainsi que des êtres humains se retrouvent à manger
des lamelles de cuir, comme on a pu le voir dans une vidéo. Le réchauffement
aggrave tous les facteurs préexistants. En quelque sorte, c’est la goutte d’eau
qui fait déborder le vase.
Et il s’abat d’abord sur les plus pauvres…
François Gemenne : Oui, le réchauffement global est une forme de
persécution contre les plus vulnérables de la planète. Par exemple, on parle
très peu de ce qu’il se passe au Nigeria : il y a pourtant une forme de guerre
civile entre des éleveurs nomades et des fermiers sédentaires. Les premiers se
retrouvent en concurrence avec les seconds pour faire paître leurs bêtes. Ces
situations de conflits d’usage des terres se multiplient notamment en Afrique
subsaharienne.
Prenons le dôme de chaleur au Canada : il a fait des centaines de morts,
les médias l’ont mis en une. À Madagascar, les victimes se comptent par
milliers. Le phénomène est globalement le même. Pourtant, la situation du
Canada nous touche plus, c’est un pays que l’on considère comme culturellement,
socio-économiquement plus proche de nous.
De quelle manière les États répondent ?
François Gemenne : Ils se referment de plus en plus sur eux-mêmes. La
plupart des problèmes que nous allons avoir à gérer, y compris au niveau
national – les migrations, les pandémies, les relations économiques – sont des
défis qu’il faut envisager au niveau global. Toutes ces questions relèvent de
la cosmopolitique (de la politique du monde – NDLR). Or, elles ne sont pensées
qu’à l’échelon national. On assiste à un phénomène de repli sur soi, où chacun
croit qu’il sera suffisant d’atteindre ses objectifs. Toutes les solutions
franco-françaises qui pourraient être imaginées au sein des frontières sont
vouées à l’échec. Nous ne sommes pas une île au milieu du monde. Le changement
climatique impose, par sa nature, un projet universel.
Comment faire participer les citoyens à ce projet ?
François Gemenne : Il
y a une vraie crise de la démocratie représentative, les citoyens ne se sentent
plus représentés par les institutions de la démocratie : qui est donc légitime
à nous représenter ? La question se pose de la même façon lors des négociations
sur le climat. Qui représente le mieux les citoyens : le gouvernement français
ou le peuple autochtone d’Amazonie ? Je me sens souvent plus proche de la
position des autochtones que de celle de mes représentants.
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