Les agents des trois
versants de la fonction publique manifesteront partout en France, ce mardi,
pour défendre l’augmentation des salaires et dénoncer le démantèlement de leur
statut, qui affaiblit le service rendu aux usagers.
« Pas une minute de plus ! » : depuis plusieurs mois, les agents
territoriaux de la Ville de Paris mais aussi de nombreuses autres villes en
France comme Rouen, Toulouse ou Rennes se mobilisent contre l’augmentation de
leur temps de travail. Sous couvert d’harmonisation, le gouvernement souhaite
passer l’intégralité des fonctionnaires des municipalités, intercommunalités et
départements à 1 607 heures de travail annuel, signifiant une perte de RTT
ou des journées plus longues sans compensation financière (lire notre édition
du 16 mars). Une mesure imposée par la loi de transformation de la
fonction publique adoptée en 2019 et relayée par la quasi-totalité des
collectivités, les unes après les autres. Si l’opposition à cet allongement du
temps de travail est au cœur d’une nouvelle journée de mobilisation nationale à
l’appel d’une intersyndicale CGT/FA-FP/FSU/Solidaires pour les territoriaux,
d’autres motifs de colère poussent les agents des autres versants de la
fonction publique – d’État et hospitalière – à faire grève et à
manifester un peu partout en France.
« J’ai des collègues inscrits aux Restos du cœur »
La question des rémunérations cristallise notamment les mécontentements,
alors qu’un rendez-vous de négociations salariales a été fixé par la ministre
de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, au 6 juillet. Alors que la
valeur du point d’indice des fonctionnaires est restée peu ou prou gelée depuis
une dizaine d’années, ceux-ci voient leur niveau de vie reculer. D’après les
statistiques de l’Insee, le salaire moyen des fonctionnaires, corrigé de
l’inflation, est resté stable entre 2018 et 2019 après avoir diminué de 1 %
en 2018. Mais cette moyenne occulte de grandes disparités, notamment liées à
l’individualisation croissante des rémunérations, via des primes. Lorsqu’on se
penche plus attentivement sur les données de l’Insee, on constate par exemple
que les trois déciles les moins bien rémunérés de la fonction publique d’État
(jusqu’à 2 053 euros de salaire mensuel) ont vu leur rémunération en euros
constants reculer. En outre, les femmes percevaient des salaires inférieurs de
13,6 % à leurs collègues masculins. Des disparités salariales et une
opacité que le développement de la rémunération au mérite, amplifiée par la loi
de 2019, risque d’aggraver. D’autant que le même texte prive les commissions
administratives paritaires (CAP), où les représentants du personnel composent
la moitié des membres, de leur droit de regard sur les avancements et les
promotions.
Surtout, sur le terrain, les syndicalistes constatent une paupérisation des
agents. « On voit bien par exemple que les AESH (accompagnants des
élèves en situation de handicap – NDLR) ne touchent même pas le Smic,
qu’ils n’ont pas de primes prévues tellement ce métier est méprisé », rappelle
Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « Dans la fonction publique
territoriale, il faut rappeler que c’est 75 % de catégorie C, des agents
qui ont des salaires inférieurs à 2 000, voire 1 500 euros, même avec de
l’ancienneté. J’ai des collègues qui sont inscrits aux Restos du cœur, qui
rognent sur les dépenses de santé, qui ne se mettent pas en arrêt maladie à
cause du jour de carence », témoigne Karim Lakjaâ, responsable CGT à
la Ville de Reims. Dans la fonction publique hospitalière, le Ségur est loin
d’avoir réglé la question salariale non plus (lire ci-contre).
Mais, au-delà des préoccupations liées aux rémunérations, d’autres facteurs
contribuent à précariser les agents et à affaiblir les services publics. « La
loi de transformation de la fonction publique permet des mobilités forcées. On
en voit les conséquences avec les fermetures de trésoreries et de centres des
impôts pour les particuliers qui doivent être remplacés d’ici quelques années
par des centres départementaux. Pour certains agents, ça signifie être mutés à
30 kilomètres de chez eux ou sur un poste différent du leur et de manière
totaleme nt subie », dénonce Olivier Villois, secrétaire
national de la CGT finances publiques.
La facilité de supprimer des emplois, une fois la mission achevée
Le recours accru aux vacataires sur des contrats de droit privé constitue
un autre point saillant de la loi Dussopt. « C’est une manière de
supprimer des emplois de fonctionnaires, mais cela pousse aussi les agents
précaires à être dans une logique d’obéissance et de loyauté vis-à-vis de leur
hiérarchie, alors qu’un fonctionnaire se doit d’être loyal envers l’État », rappelle
Olivier Villois. La raison d’être du statut des fonctionnaires créé en 1946
consistait précisément en une sécurité de l’emploi destinée à garantir
l’indépendance des agents vis-à-vis de toute pression politique. « Les
contractuels représentent aujourd’hui environ 28 % des emplois dans la
fonction publique territoriale, contre 25 % il y a une dizaine d’années », affirme
Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT fonction publique.
« On a d’abord eu un glissement des emplois statutaires vers des
contractuels classiques. Maintenant, on voit un nouveau glissement vers des
contrats de projet, qui peuvent durer de un à six ans, et auxquels l’employeur
peut mettre fin du jour au lendemain alors qu’on est sur des missions qui en
réalité sont pérennes », souligne Karim Lakjaâ, qui en comptabilise une
dizaine sur sa collectivité, essentiellement pour des postes de catégories A et
B. « C’est le cas d’une chef de projet en charge de l’éducation
culturelle, bac + 5, qui se retrouve payée 1 500 euros au lieu
des 3 000 qu’elle toucherait pour un emploi statutaire équivalent », précise-t-il.
Une précarisation qui rend les agents moins coûteux et plus flexibles aux
demandes de leur hiérarchie, mais qui facilite également la suppression de leur
emploi une fois la mission achevée. « On a l’impression que la fonction
publique est en train de subir une mutation structurelle. Un peu comme ce qui
s’est passé chez France Télécom, à La Poste ou à la SNCF, on sent que le
gouvernement procède par une technique de grignotage des statuts et des
emplois », ajoute Karim Lakjaâ.
Des impacts directs sur la qualité et l’accès aux services publics
La loi de 2019 a permis en outre d’étendre la possibilité d’« encadrement »
du droit de grève à la fonction publique territoriale en vue d’instaurer un
service minimum dans les cantines, les crèches et la collecte des déchets. Dans
les collectivités qui appliquent cette disposition, les agents doivent
respecter un délai de prévenance d’au moins 48 heures avant la grève et un
délai de rétractation minimal de 24 heures avant la mobilisation. « Dans
notre ville, les agents des services concernés ne peuvent plus faire une
demi-journée de grève, c’est soit une journée entière, soit rien », déplore
Éric Varea, secrétaire général de la CGT des territoriaux de Montpellier. Dans
les cantines, notamment, il était fréquent que les agents ne posent que
quelques heures de grève afin de limiter la perte de salaire.
Si les effets de la loi Dussopt commencent donc à se faire sentir, d’autres
dispositions devraient rentrer en application prochainement, notamment la
fusion des instances représentatives du personnel, calquée sur celle imposée
dans le privé. Obtenus en 2012, soit avec trente ans de retard par rapport au
privé, les CHSCT (comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail)
de la fonction publique sont appelés à être dissous avec les comités techniques
dans des comités sociaux. Le risque étant, comme dans le privé, que les élus ne
finissent submergés et que les questions de conditions de travail ne soient reléguées
au second plan.
Si ces revendications
peuvent paraître corporatistes, les syndicalistes rappellent que la
précarisation des fonctionnaires a des impacts directs sur la qualité et
l’accès aux services publics. « Dans le climat politique actuel, si on
veut reconstruire un projet de société progressiste, créer du lien social, il
faut s’appuyer sur la fonction publique et lui donner des moyens », souligne
Benoît Teste.

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