Marie Toulgoat. Clotilde Mathieu
Après avoir été
applaudis de toutes parts, les salariés de deuxième ligne continuent de subir
la rigueur. Face à un patronat qui freine des quatre fers, les syndicats
appellent à négocier dans les branches et exigent une hausse du Smic.
De la lumière, les 4,6 millions de salariés de « deuxième ligne » qui
ont assuré la continuité de la vie quotidienne pendant les confinements sont
retournés dans l’ombre. Plus d’un an après le premier confinement, à
l’exception d’une prime de 1 000 euros obtenue trop souvent après des
journées de grève, les promesses de revalorisation du printemps dernier se sont
envolées pour ces conducteurs de véhicules, agents d’entretien, salariés de
l’agroalimentaire, caissiers et employés de libre-service, travailleurs du
bâtiment, aides à domicile et agents de sécurité. Or, affirme le secrétaire
général de FO, Yves Veyrier, « le versement d’une prime défiscalisée et
exonérée de cotisations sociales ne peut remplacer des augmentations de salaire
pérennes ».
À Locminé, dans le Morbihan, les employés de la pâtisserie industrielle Gaillard,
propriété du groupe Goûters magiques, ont bien reçu une prime de 200 euros
en 2020, pour les remercier d’avoir maintenu l’usine à flot alors que
l’économie du pays était presque à l’arrêt. Il y a une dizaine de jours
pourtant, les petites mains des gâteaux industriels ont décidé pour la première
fois depuis 1992 de débrayer puis de se mettre en grève, face aux « pressions »
psychologiques et salariales. « Il fallait ça pour qu’on obtienne plus
de reconnaissance. La direction n’avait pour nous aucun respect, aucune
considération. On nous fait travailler plus sans rien nous donner », souffle
Brigitte (1), conductrice de machine dans l’usine. Avec ses plus de vingt
ans d’ancienneté, sa prime de travail de nuit et son statut de machiniste, la
salariée s’estime chanceuse : elle touche 1 850 euros net par mois. « Mais,
pour quelqu’un qui débute dans l’équipe de jour, c’est le Smic », indique-t-elle.
Les « indispensables » sont aussi les plus fragiles face aux crises
Face aux revendications des travailleurs de l’ombre, le patronat, lui,
freine des quatre fers. « Le séminaire prévu début juillet, qui devait
marquer le démarrage des négociations dans les 15 branches qui regroupent
l’ensemble de ces métiers, a été refusé par le Medef », raconte
Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Avec un salaire
1 634 euros net par mois, contre 2 337 euros pour la moyenne des
salariés du secteur privé, les travailleurs de deuxième ligne perçoivent en
moyenne des salaires inférieurs de 30 % de ceux des salariés d’autres
professions, démontre une étude de la Dares publiée en mai. Un gouffre
spectaculaire qui se creuse avec l’âge (de 17 % pour les plus jeunes à
37 % en fin de parcours), du fait de la faible possibilité d’évolution
dans leur parcours professionnel. Selon les données récoltées par l’institut
affilié au ministère du Travail, ces faibles rémunérations s’expliquent aussi
par « une structure très particulière de l’emploi par genre » : les
femmes sont par exemple quasi absentes des métiers du bâtiment (1,2 %
parmi les ouvriers non qualifiés du gros œuvre), tandis qu’elles représentent
95 % des aides à domicile et aides ménagères. La grande précarité de ces
métiers est également un facteur explicatif. « En 2019, les salariés de
la deuxième ligne sont plus souvent en contrat à durée déterminée (10,5 %)
que l’ensemble des salariés du secteur privé (7,5 %) », relève
l’organisme statistique. Idem pour les intérimaires, qui représentent
7,2 % des effectifs des deuxièmes lignes, contre 3,1 % pour
l’ensemble des salariés.
Ce phénomène est particulièrement marqué chez les ouvriers non qualifiés de
la manutention (36 %). Outre la forme de leur contrat de travail, les
« indispensables » sont aussi les plus fragiles face aux crises économiques.
Entre 2010 et 2015, leur probabilité de se retrouver privés d’emploi a été bien
plus élevée que celle des autres salariés (10,9 %, contre 6,8 %).
Cette étude est « un travail de grande qualité, qui a le mérite de
mettre sur le devant de la scène la réalité des conditions de travail et de
rémunération de ces salariés-là », salue Catherine Perret. Pourtant,
malgré les intentions affichées, il n’y a pas grand-chose qui se passe, y
compris de la part de l’exécutif. Le gouvernement « manque de volonté » et
ne semble guère « courageux » pour affronter le patronat,
dénonce la dirigeante syndicale. Lors d’une réunion bilatérale avec le
ministère du Travail, la syndicaliste a senti comme une réticence de la part du
gouvernement à forcer la main du patronat sur les critères de rémunération
principale.
Dans les grands groupes, et pire encore dans les petites entreprises, la
pression sur les salaires reste ainsi identique au monde d’avant. Après une
augmentation de salaire à peine calquée sur l’inflation et la suppression de
leur prime d’intéressement l’année passée, les travailleurs de Gaillard
Pâtissier ont élevé la voix. Et n’ont obtenu une revalorisation de leurs
salaires qu’à la faveur de leur mobilisation. « Lorsqu’on a commencé à
faire grève, la direction nous a proposé une revalorisation de 0,5 %. On
l’a évidemment refusée, on demandait au moins 2 %. Au final, nous avons
obtenu une augmentation de 36 euros brut par mois, ce qui représente
jusqu’à 3 % pour les plus bas salaires », se félicite Brigitte.
Une augmentation de 0,5 % ? Une provocation
Après avoir multiplié les heures, c’est aussi une augmentation générale de
0,5 % que se sont vu proposer les salariés de LU, propriété du groupe
Mondelez. « Une provocation, à croire qu’ils nous font payer la prime
Covid », lance le délégué syndical CGT, Frédéric Jeanneau. Il aura
fallu une grève pour qu’ils se voient proposer une hausse de 1,1 %, alors
que celle des prix pourrait atteindre 1,5 % cette année. Malgré la perte
de pouvoir d’achat, ce sera l’ultime proposition. Selon le syndicaliste, il
faut remonter à plus de cinq ans, pour que l’augmentation décolle un peu pour
atteindre les 1,9 %. Alors que pour « les actionnaires de Mondelez
c’est en moyenne 5 % à 7 % d’augmentation tous les ans », ajoute-t-il.
En grève plus d’une semaine après l’échec de leurs négociations annuelles
obligatoires, c’est précisément 5 % de revalorisation de leurs
rémunérations que réclament les salariés de Zwickert, entreprise spécialisée en
bâtiment et en isolation à Colmar. « On a commencé par demander
3 % pendant les NAO (négociations annuelles obligatoires), mais
la direction était catégorique, on n’a le droit à rien du tout. Avec des
salaires bas comme les nôtres et parce que nos primes ont été supprimées il y a
quelques années, les salariés décident simplement de partir. La situation était
déjà critique, mais elle s’est tendue avec la crise sanitaire », explique
Romuald Lourenco, délégué syndical CGT de l’entreprise haut-rhinoise.
Face à de nombreux employeurs qui campent sur leurs positions et des
revalorisations qui se font attendre, la négociation via la branche semble
ainsi être la meilleure option possible : une fois signée, l’augmentation
s’applique à l’ensemble des salariés concernés. Début mai, les aides à domicile
se sont vu octroyer des hausses générales de 1 % à 15 % selon
l’ancienneté. Une négociation par branche « historique », même si celle-ci a
écarté les employés de trois conventions collectives du secteur.
Dans le nettoyage, la sécurité, où les travailleurs manquent du fait de la
faible attractivité des métiers, les négociations débutent également. Mais, en
dehors de ces discussions nécessaires, les syndicats réclament également une
hausse générale du Smic. Une option que le gouvernement avait balayée fin
2020 : en janvier, le salaire minimum avait augmenté de 0,99 %, soit
10,25 euros brut de l’heure. Une revalorisation tout ce qu’il y a de plus
automatique, et qui laisse les travailleurs de l’ombre sans aucune
reconnaissance.
(1) Le prénom a été modifié.
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