jeudi 3 juin 2021

« Démission interdite », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité



On savait que, aujourd’hui, tout est marchandise ou a vocation à le devenir. L’acceptation ou la lutte contre ce monde est d’ailleurs l’un des clivages qui devrait structurer beaucoup plus fortement le débat politique actuel. La santé, que nous avons longtemps cru ­relevant naturellement du domaine public, ne fait pas exception. Elle est même devenue un immense champ de bataille, notamment au travers de nos données personnelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles on a tant de mal à faire machine arrière dans la privatisation du système de santé, quand bien même la pandémie a mis ses ravages en lumière.

C’est que les enjeux financiers sont colossaux et se comptent en milliards d’euros. Ce n’est pas pour rien que les nouveaux acteurs s’appellent Amazon, Apple, Microsoft ou encore Google. Le marché américain, par sa taille autant que par sa mansuétude envers le non-respect de la vie privée, est un terrain de jeu tout trouvé pour ces géants insatiables. Mais la France l’est aussi pour d’autres raisons. On a ­appris, récemment, grâce à une ­remarquable enquête, que la carte Vitale servait d’aspirateur de nos données à des fins douteuses. Notre système de Sécurité sociale permet d’ordonner les données comme nulle part ailleurs dans le monde.

Aux mains du privé, cette mine conduirait à tout l’inverse de ce pour quoi nous avons bâti la « Sécu », il y a soixante-quinze ans. Les assurances pourraient choisir qui elles assurent et à quel prix, en fonction de l’état de santé du patient et de ses habitudes sportives ou alimentaires… Ce serait une rupture d’égalité inacceptable et la double peine pour nombre de ­citoyens, premières victimes de ­maladies pour lesquelles ils seraient les derniers à pouvoir se soigner. ­Gérée par le public, ce serait une chance extraordinaire afin de renforcer l’efficacité du système de santé, prévenir et guérir des maladies pour tous. Dans la santé, encore plus qu’ailleurs, face aux appétits privés, la démission collective est interdite.

 

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