Sous pression malgré le
déconfinement progressif, les équipes soignantes des établissements de
Montreuil et de Montfermeil espèrent voir baisser l’activité liée au
coronavirus. Mais elles redoutent aussi les conséquences de cette crise. Les
manques de personnel et de matériel, qui datent d’avant l’épidémie, se font
sentir et pourraient s’aggraver.
Alors que les Français s’apprêtent à profiter de la réouverture des
terrasses, eux n’osent pas encore se projeter dans l’après. Eux, ce sont les
soignants hospitaliers. « Il y a une lente décrue du nombre de patients
Covid dans les services de réanimation, mais , au
quotidien , les équipes ne sentent pas la baisse. Le travail
continue d’être très important », constate Vincent Das, médecin et
chef du service de réanimation de l’hôpital André-Grégoire de Montreuil
(Seine-Saint-Denis). Le téléphone de service toujours rangé dans une poche de
sa blouse blanche, il passe à grandes enjambées dans les couloirs. « Quinze
lits, quinze malades du Covid », compte-t-il. Derrière les stores
vénitiens baissés sur les parois vitrées se dessinent les silhouettes de
soignants affairés autour de patients allongés, intubés, inertes. Certains sont
là depuis quelques jours, d’autres depuis plus d’un mois. Leur lente
respiration et les signaux sonores réguliers émis par les moniteurs placés à
côté de chaque lit rythment l’espace de travail d’un service sous pression
depuis plus d’un an. Entre deux conversations, Vincent Das prend un appel du
Samu 93. Non, il n’a pas de lits disponibles. Il faut frapper à la porte d’un
autre hôpital. « Ce week-end, nous avons encore dû transférer deux
patients », précise-t-il.
L’approvisionnement ne suit pas
Depuis le mois d’octobre et la deuxième puis la troisième vagues, les
équipes n’ont pas eu le temps de souffler. « Si je ne pars pas en
vacances, je vais craquer », soupire une aide-soignante devant une
chambre. Près d’elle, Lionel, un infirmier, se prépare à y entrer. Il enfile
une blouse bleue, se crispe au moment de mettre les gants. « Ils ne
sont pas à la bonne taille », souligne-t-il. Puis il pénètre dans la
chambre, sans lunettes de protection ni charlotte. « On n’en a presque
plus, déplore le quadragénaire. L’utilisation de ces matériels
a explosé et les approvisionnements ne suivent pas, peut-être parce qu’on est
un petit hôpital de banlieue… » Un an et demi après la première vague
et son manque criant de matériel, la pénurie laisse l’infirmier amer.
L’été qui approche et le relâchement des contraintes sanitaires ne
rassurent pas les équipes. « L’an dernier, nous avons connu une
accalmie en juillet et août. L’activité Covid était descendue à un niveau
résiduel. J’espère que, avec l’avancée de la vaccination, ce sera identique
cette année », glisse le chef de service. Mais le niveau encore élevé de
contaminations quotidiennes, environ 15 000, et la présence des variants font
planer sur ces promesses d’embellie la crainte d’une nouvelle flambée.
Cohabitation avec les cas de Covid
Au-delà des services de réanimation, la présence de patients Covid, qui
risque de perdurer, complique l’organisation des services hospitaliers. À
quelques kilomètres de Montreuil, à l’hôpital de Montfermeil, les soignants du
service de cardiologie continuent, eux aussi, d’adapter leur unité à la
présence du virus, malgré une baisse des hospitalisations qui se fait un peu
plus clairement sentir. « Notre activité en cardiologie est revenue
quasi à la normale », souligne Olivier Nallet, le chef de service.
L’unité a toutefois subi plusieurs réorganisations au cours des deux dernières
vagues afin de libérer des lits et du personnel pour la réanimation. La
difficulté réside à présent dans « la cohabitation des patients
infectés et des autres », explique Céline Smets, cadre de santé.
Une mixité compliquée à gérer qui s’illustre à l’heure des repas. Parmi les
douze occupants des lits de soins intensifs, l’un est positif au Covid. Avant
d’entrer dans sa chambre pour lui amener son déjeuner, Cyrielle, une
aide-soignante du service, masque FPP2 déjà sur le nez, enfile la tenue réglementaire :
blouse, gants, lunettes, charlotte, surchaussures. Elle entre dans la chambre,
dépose le plateau sur le bord du lit puis ressort, enlève tout et se désinfecte
les mains pour pouvoir se rendre dans la chambre suivante. Quelques minutes
plus tard, elle est rappelée par le patient. « Les couverts ont été
oubliés, je suis désolé », lance le malade avec un sourire
contrit. « Évidemment, il fallait que ce soit sur ce plateau-là », s’agace
l’aide-soignante en revêtant à nouveau l’ensemble des protections nécessaires
pour entrer dans la chambre. « Le secteur des soins intensifs est le
plus complexe à gérer, explique Olivier Nallet, car les
patients y arrivent souvent avec des difficultés respiratoires et on ne sait
pas, tant qu’on n’a pas le résultat d’un test PCR, si c’est le Covid ou une
autre pathologie. »
« La semaine prochaine, le service va se diviser en secteurs avec trente
lits de cardiologie, douze lits de soins intensifs et sept lits pour des
patients Covid », avance Céline Smets. Un découpage qui devrait permettre d’éviter aux
soignants plusieurs allers-retours. Malgré tout, « dans les semaines à
venir, puisque l’incidence diminue, nous allons devoir continuer de vivre avec
le virus, en alternant les chambres occupées par des patients Covid et
d’autres malades, tout en appliquant les précautions de contacts », estime
Olivier Nallet. Des contraintes logistiques qui alourdissent les tâches des
soignants et risquent d’entamer encore un peu plus l’attractivité, déjà en
berne, de leurs professions.
« C’est vital, pour nous protéger et protéger les patients, mais passer sa
journée à s’habiller et se déshabiller donne parfois l’impression de perdre son
temps, et de dépenser plus d’énergie à se préparer qu’à faire les soins », regrette Cyrielle, les
bras croisés sur l’une des tables du poste de soins. À côté d’elle, l’une de
ses collègues confie avoir « pensé cette année, pour la première fois,
à prendre (sa) retraite » après vingt ans de carrière. « C’est
moins le rush, alors tu prends un peu de recul, tu te rends compte que ta vie professionnelle,
c’est de la merde, que tu as passé un an à ne t’occuper presque que du Covid,
une pathologie dont la prise en charge est répétitive et peu intéressante, où
tu fais moins de traitement que d’accompagnement, soit jusqu’à la sortie, soit
jusqu’au cimetière », décrit l’aide-soignante.
Moins de lits faute de personnel
L’aperçu d’un début de période « post-Covid » fait craindre à beaucoup de soignants
les conséquences d’une « décompression » qui se traduirait par
une fuite des personnels. À Montfermeil, le secteur de cardiologie non Covid
compte une infirmière pour quinze patients. À Montreuil, le service de
réanimation a été obligé de fermer trois lits lundi 10 mai, passant
de dix-huit à quinze, par manque de personnel suffisant. Une infirmière fait
les comptes. « Après la première vague, neuf membres de l’équipe
sont partis. Ceux qui sont restés sont à bout », souffle-t-elle. Un
constat partagé par Cécile Cotelle, cadre de santé, qui évoque plus pudiquement
des « conséquences difficiles », des risques de « burn
out », des « suivis psychologiques » en cours. « Je
crains que tout cela ne précipite des départs, s’inquiète le chef de
service, Vincent Das. D’autant plus en réanimation, où les soignants
expérimentés sont des piliers techniques très importants pour le fonctionnement
de l’unité. » Ces « anciens », comme les appelle Cécile
Cotelle, ont été « très sollicités pour former les nouveaux venus,
notamment des personnels arrivés en renfort et qui n’étaient pas formés à la
réanimation, ce qui a participé à l’épuisement général ». L’exigence
d’une formation obligatoire en réanimation pour les infirmiers et aides-soignants
qui s’y destinent fait partie des revendications portées par le secteur, qui
s’est mobilisé mardi 11 mai lors d’une journée d’action à l’échelle
nationale.
Le problème du sous-effectif, qui se posait déjà bien avant la crise
sanitaire, continue de peser sur les services. L’hôpital de Montreuil fait
partie, avec celui d’Aulnay-sous-Bois et celui de Montfermeil, d’un même
groupement hospitalier de territoire. Les trois structures ont en commun d’être
endettées depuis plusieurs années, ce qui a eu notamment pour conséquence « une
réduction des effectifs, des revalorisations et des évolutions de carrière en
berne et l’augmentation du nombre de contractuels », explique Brigitte
Moranne, infirmière de bloc et secrétaire générale de la CGT à l’hôpital de
Montreuil. « Cette situation a occasionné des difficultés en matière
de fonctionnement mais aussi dans l’investissement matériel et dans la
fidélisation des personnels. »
Ces manques risquent de
se faire sentir encore longtemps après la baisse des hospitalisations de
patients atteints du Covid. « Il va falloir rattraper tout le retard de
prise en charge engendré par la déprogrammation, et cela va entraîner de grands
besoins dans les mois à venir », ajoute Brigitte Moranne, qui estime
que « la pandémie n’a fait que révéler au grand jour ce qui est dénoncé
depuis des années ». Au-delà des revendications à l’échelle de
professions spécifiques, une journée d’action dans le secteur de la santé est
d’ores et déjà prévue le 15 juin. « La crise sanitaire a accru les
demandes de reconnaissance des spécificités des métiers hospitaliers et de
leurs compétences, de remise à niveau des effectifs et de revalorisation
salariale », poursuit Brigitte Moranne. « Aujourd’hui, les
hôpitaux ne tiennent que par la volonté de leur personnel. »
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