En matière d’affaires scolaires, l’État
essaierait-il d’échapper à ses responsabilités pour les faire peser sur les
régions, villes et départements ? La question se pose face aux mesures
matérielles envisagées pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Le 22 avril
dernier, les collectivités territoriales ont été « encouragées » par
le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer à équiper les
établissements scolaires en capteurs de CO2 et purificateurs d’air, lors d’une
conférence de presse commune avec le Premier ministre et ses homologues de la
Santé et de l’Intérieur. Un capteur de CO2 vaut entre 80 euros et 300 euros, et il en
faudrait un par salle de classe. Il y a un certain nombre de salles dans chacun
des 61510 établissements de France,
sans compter les réfectoires, les halls, les bibliothèques qu’il faudrait aussi
logiquement équiper. On voit l’ampleur du problème à résoudre non seulement
pour ce qui concerne la production industrielle à mettre en place, mais aussi
quant à sa dimension financière qui s’ajouterait aux efforts de plus en plus
conséquents consentis de fait par les collectivités territoriales.
Loi de
décentralisation
En 1980, à la veille de la loi de
« décentralisation », la part des collectivités territoriales dans
les dépenses intérieures d’éducation était de 14 %. Elle atteint
actuellement 24 % selon les statistiques ministérielles.
On aurait pu croire que les principes de
base de ce qui a été appelé « la décentralisation » avaient été
dûment et solidement établis dans le cadre de la réforme institutionnelle mise
en œuvre à partir de la loi du 2 mars 1982, initiée notamment par le
ministre de l’Intérieur du gouvernement Mauroy, Gaston Defferre. Une nouvelle
collectivité territoriale est alors créée : la région.
Il y a transfert à l’ensemble des collectivités (régions,
départements et communes) de plus grandes responsabilités exercées plus
librement : les procédures du contrôle a priori sont supprimées et les
décisions prises sont immédiatement exécutoires. Les régions ont en charge les
lycées ; les conseils généraux (appelés maintenant conseils départementaux),
les collèges ; les communes, les écoles.
Chaque niveau de collectivités reçoit un
même bloc de compétences : construction, reconstruction, extension,
fonctionnement des établissements scolaires. Et une plus grande participation
des collectivités territoriales aux décisions est instituée au sein des
établissements scolaires et dans les conseils situés au niveau départemental ou
académique.
L’État se réserve un certain nombre de
compétences (et des pouvoirs importants) :
·
les programmes et les horaires d’enseignement ;
·
les conditions d’obtention des diplômes et l’organisation des examens du
second degré ;
·
le contrôle des enseignements scolaires par plusieurs corps
d’inspection ;
·
la gestion et la rémunération des personnels enseignants et de certains
personnels non enseignants notamment.
La règle la plus générale est finalement
celle des compétences partagées, dans la mesure où l’État conserve la
responsabilité du service public d’enseignement (qui est inscrite dans le
préambule de la Constitution : « l’organisation de l’enseignement
public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir d’État »).
En principe, les compétences respectives
de l’État et des collectivités territoriales sont clairement délimitées, l’État
faisant de la fixation des programmes et de la gestion pédagogique son domaine
réservé. Mais des interférences sont possibles. Et aussi des extensions assez
inattendues du rôle effectif des collectivités territoriales.
Développement de
l’enseignement supérieur
Cette extension du rôle des
collectivités commence très tôt et très fort avec le rôle qu’elles vont
finalement assumer dans l’accélération du développement des enseignements
supérieurs alors que ceux-ci ne faisaient pas du tout partie de leurs
attributions définies par la loi de « décentralisation »…
Dès le mois de mai 1990, le gouvernement
annonce son intention d’engager 16 milliards de francs entre 1991 et
1995 pour développer l’enseignement supérieur,
construire 1,5 million de mètres carrés de locaux supplémentaires, des
milliers de places de bibliothèque universitaires, des locaux de recherche, des
logements et restaurants universitaires. Et il sollicite une aide
complémentaire des collectivités locales de l’ordre de 7 milliards de francs.
Au terme de longues négociations, menées
de l’été 1990 au mois de janvier 1992, région par région, et entérinées par
trois comités interministériels d’aménagement du territoire, ce sont finalement
16 milliards de francs (autant que l’État) que les régions, les
départements et les villes (à part à peu près égales) apportent, portant
l’enveloppe à 32 milliards de francs, un chiffre vraiment considérable.
Les collectivités territoriales y ont
gagné la délégation de maîtrise d’ouvrage sur
des équipements souvent prestigieux dont elles pourront se prévaloir. Elles ont
pu peser de tout leur poids sur la future carte universitaire, en implantant
des formations d’enseignement supérieur dans les villes moyennes (IUT, sections
de techniciens supérieurs, antennes voire embryons d’universités).
Enfin, elles ont de fait été associées à
la définition des filières et des formations nouvelles, en particulier en ce
qui concerne les filières technologiques les mieux à même de servir de point
d’appui au développement économique local.
On le voit, rien n’est simple dans la
répartition effective des rôles de collectivités territoriales d’une part et de
l’État d’autre part. Leurs intérêts peuvent diverger, même s’ils peuvent
parfois se conjuguer. C’est le cas lorsque les efforts consentis par les
collectivités territoriales peuvent les valoriser ainsi que leurs dirigeants,
notamment lorsqu’il s’agit d’implanter de nouveaux établissements et d’innover.
Mais c’est moins évident – tant s’en faut – lorsqu’il s’agit du strict
fonctionnement ordinaire et/ou nécessaire.
On entre dans les campagnes électorales
en vue du renouvellement des conseils départementaux et des conseils régionaux.
On va voir si ce volet matériel de précaution va être ou non pris en compte,
par qui, et de quelle manière.
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