Les régions et
départements ont leur mot à dire en matière de développement économique,
d’aides sociales, de transport ou d’insertion professionnelle. Pourtant, les
scrutins des 20 et 27 juin risquent d’être boudés par une large partie de
l’électorat.
Faut-il s’attendre, les 20 et 27 juin, à un nouveau fiasco
démocratique ? L’abstention massive lors des municipales de 2020 (55 % au
1er tour, 59 % au second) fait craindre le pire. Pour cause : les
conditions particulières dues à la pandémie de Covid-19, qui ont expliqué pour
partie la désertion des urnes, pèsent encore et toujours sur la vie électorale.
Pas de meetings, pas de porte-à-porte, peu de contacts, et un manque de
visibilité médiatique des enjeux locaux… Autant d’éléments qui ankylosent les
campagnes en cours.
À cela s’ajoute le fait que les élections régionales et départementales
sont des scrutins qui, en dehors du contexte sanitaire, sont déjà
structurellement frappés par une forte démobilisation. Pour les régionales,
l’abstention était de 31 % en 1992, 39 % en 2004, avant de battre son
record en 2010 (54 % au 1er tour). En 2015, malgré un léger sursaut, un
Français sur deux ne s’est pas rendu aux urnes. Pour les départementales
(ex-cantonales), c’est la même chose, avec 50 % d’abstention en 2015 et
56 % en 2011, alors que la participation se maintenait entre 60 % et
65 % jusqu’en 2008.
Les régionales et départementales, deux scrutins honnis ? « C’est
un immense échec de la décentralisation, soupire le politiste Rémi
Lefebvre. Les études montrent que les citoyens se désintéressent de ces
échelons notamment parce qu’ils ne comprennent rien à la répartition des
compétences, et donc aux enjeux. » Illustration avec la dernière vague
de sondages OpinionWay, commandée par les Échos le
29 avril. Interrogés sur ce qui motive leur vote pour les régionales,
47 % des Français placent la sécurité comme priorité de la campagne… alors
que ce n’est pas une compétence des régions.
Les lycées ou les transports, qui, eux, appartiennent bien au champ
d’action des conseils régionaux, arrivent dans les dernières places. Pourtant,
les réformes territoriales successives ont cherché, sur le papier, à attribuer
plus de compétences aux régions. C’est tout le paradoxe : alors que les régions
et départements sont appelés à jouer un rôle plus important, leur légitimité
démocratique s’effrite à mesure que l’abstention prend racine, notamment chez
les jeunes et parmi les classes populaires. Les régions ont pourtant de quoi se
sentir concernées : elles ont leur mot à dire en matière de formation et
d’insertion professionnelle, ainsi que de développement économique, à travers
les aides directes et indirectes accordées aux entreprises. De là, un des
grands thèmes de la campagne à gauche : que les régions s’affirment en
conditionnant leurs aides à des critères environnementaux et sociaux, en
suspendant les plans de licenciement par exemple.
Une décentralisation en trompe-l’œil
Idem pour les départements. Outre la gestion des collèges et du transport
scolaire, ils gèrent les caisses d’allocations, parmi lesquelles le RSA ou
l’aide sociale à l’enfance. Une compétence qui les place en première ligne du
front social, ce qu’a encore tristement révélé la pandémie avec l’explosion des
demandes de RSA (plus 10 %, voire plus 20 % dans certains
départements très populaires) et la mise à mal des finances départementales.
L’argent reste le nerf de la guerre. Et la marge de manœuvre de ces
collectivités demeure réduite par leurs contraintes budgétaires et le manque
d’autonomie fiscale. En résulte une décentralisation en trompe-l’œil. « Dans
les années 1990, les collectivités locales pouvaient davantage lever des
impôts, avaient une marge discrétionnaire plus grande : elles avaient moins de
compétences mais elles exerçaient davantage leur pouvoir de choix, explique
Raul Magni-Berton, politologue à Sciences-Po Grenoble . On a confondu
décentraliser et déléguer. Si on prend les pays vraiment
décentralisés comme l’Espagne ou l’Italie, l’échelon territorial est un
contre-pouvoir à l’État central. Pas en France. Si dans votre maison, vous
vivez avec quelqu’un qui décide de tout et tout à coup, il décide de vous
confier le nettoyage et la cuisine, on ne peut pas dire qu’il a décentralisé le
pouvoir. »
L’invention des super-régions en 2015 n’a pas changé les choses. C’est même
une « catastrophe démocratique », selon Rémi Lefebvre. Motivé par
des raisons essentiellement comptables et financières pour s’aligner sur les
recommandations européennes, le nouveau découpage ignore pour l’essentiel les
bassins de vie et les identités historiques. La Nouvelle-Aquitaine, qui
représente près d’un cinquième du territoire métropolitain et regroupe des
territoires aussi divers que le Pays basque, le Limousin et le marais poitevin,
en fournit un des pires exemples. Comment alors mobiliser des électeurs pour un
échelon qui leur paraît éloigné et technocratique ? « Les électeurs sont
en demande de proximité, mais les r égions, ce n’est pas la
proximité, reprend Rémi Lefebvre. Le conseiller régional n’est
pas un élu de proximité puisqu’il est élu sur un scrutin de liste sur un
territoire immense. À la rigueur on peut dire que c’est le cas du conseiller
départemental puisqu’il est élu dans un canton, mais honnêtement peu de gens
savent qui est leur conseiller départemental, surtout dans les espaces
urbains. »
Ce qui amène à un autre paramètre susceptible de miner la participation :
le flou autour du mode de scrutin. Les 20 et 27 juin, les électeurs sont
appelés à voter simultanément pour deux échelons non seulement aux compétences
différentes, mais avec deux logiques de scrutin qui leur sont propres. Un
quasi-chef-d’œuvre d’illisibilité démocratique. D’un côté, les régionales, sur
un mode proche des municipales : un scrutin proportionnel de liste à deux
tours, avec prime majoritaire. De l’autre, les départementales, qui ressemblent
quant à elles davantage aux législatives : le territoire départemental est
divisé en cantons, et y est élu un binôme de conseillers départementaux (un
homme, une femme) selon un classique scrutin majoritaire à deux tours.
Pas de meetings et peu de visibilité médiatique
Les candidats aux
régionales ont d’ailleurs bien compris la difficulté, et abattent soit la carte
de la personnalisation de la campagne, comme Valérie Pécresse et Xavier
Bertrand (qui jouent aussi leur destin pour 2022, et entretiennent la confusion
entre les élections), soit la carte du rassemblement, comme Karima Delli
(EELV) dans les Hauts-de-France. Encore faudra-t-il être audible dans une
campagne minimaliste, sous contraintes sanitaires. Le gouvernement a promis de
mettre davantage l’accent sur la communication institutionnelle pour compenser.
Des spots télévisés vont être diffusés sur les chaînes publiques pour rappeler
les dates du scrutin. Un débat entre têtes de liste pour les régionales sera
ensuite retransmis par la télévision et la radio locales la semaine précédant
chaque tour. Pour les départementales en revanche, rien n’a encore été annoncé.
L’impact « nocif » des réformes territoriales
En moins de dix ans, les lois se sont
succédé : réforme territoriale en 2010, loi de 2015 sur le redécoupage
modifiant les élections régionales et les départementales, loi Maptam
(modernisation de l’action publique et affirmation des métropoles) en 2014, puis
loi Notre (nouvelle organisation territoriale de la République) en 2015… Autant
de textes qui ont modifié la taille et le rôle des collectivités françaises, au
détriment des communes et des départements mais au profit des intercommunalités
et des régions. Le credo ? La sacro-sainte compétitivité et l’efficacité de
l’action publique, avec des résultats aujourd’hui désastreux. Pour Éliane
Assassi, présidente du groupe communiste au Sénat, toutes ces réformes « ont
entraîné une baisse de l’influence des élus locaux et un éloignement des
citoyens ». Des griefs pourtant déjà formulés à l’époque… Le député LaREM de
l’Eure Bruno Questel, coauteur d’un rapport d’information très critique sur les
impacts de la loi Notre publié en 2017, estime que ces bouleversements ont
« mis fin à la proximité et additionné les curseurs de l’éloignement des élus
avec la population ». Maire d’une commune de 4 000 habitants durant
quinze ans, il pointe des réformes qui « ont pleinement impacté les
collectivités, surtout les communes avec la loi Notre, que je considère comme
dévastatrice ». Quant aux régions, elles sont devenues avant tout d’immenses
« entités administratives » sans pertinence politique, selon le député LaREM.
D’autant que, pour Éliane Assassi, ces super-régions ont « effacé les
départements et distendu la relation entre élus, citoyens et tissu
associatif ».
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