L’assemblée générale des
actionnaires, ce vendredi, est l’occasion pour le géant pétrolier et gazier
d’obtenir la bénédiction des investisseurs sur sa nouvelle stratégie : un
nouveau nom, une pincée de vert et encore bien trop de fossiles.
Total, c’est fini. Ce 28 mai, après le vote de son assemblée générale,
le géant pétrolier français s’appellera officiellement TotalEnergies. Un
nouveau nom pour une nouvelle vie ? C’est en tout cas ce que dit son PDG,
Patrick Pouyanné. « Le groupe affirme sa volonté de se transformer en
une compagnie multi-énergies pour répondre au double défi de la transition
énergétique : plus d’énergie, moins d’émissions », résume-t-il. À plus long
terme, l’objectif a pour l’heure tout d’un vœu pieux : faire de Total, l’une
des cinq « supermajors » mondiales des hydrocarbures – donc l’une des
multinationales ayant le plus de responsabilité dans le dérèglement climatique
–, une entreprise neutre en carbone d’ici à 2050. Rappelons-le d’emblée, le
concept n’a aucun sens à l’échelle d’une entreprise. Car parvenir à un
équilibre entre les rejets de CO2 dans l’atmosphère et leur absorption ne peut
s’apprécier qu’au niveau de la planète, voire d’un pays. Mais cela a au moins
le mérite de poser l’ambition
Certains actionnaires voteront contre la « stratégie climat »
Depuis des jours, les ONG écologistes martèlent que le plan du pétrolier
est totalement insuffisant. Plus étonnant, elles sont rejointes depuis quelques
jours par certains actionnaires de Total, alors que la « stratégie climat » de
la firme est pour la première fois au menu de son assemblée générale : ce
vendredi, le groupe présente, entre autres, la résolution 14, feuille de route
de sa transition énergétique pour les dix prochaines années. Le vote est certes
consultatif, mais il a une portée symbolique forte. Un taux de rejet élevé
viendrait enfoncer un sérieux coin dans la crédibilité des manœuvres de
verdissement de Total.
Déjà, sa stratégie climatique n’a pas convaincu un groupe d’une trentaine
d’investisseurs de Climate Action 100+, une coalition de plus de 575 sociétés
de gestion gérant collectivement 44 000 milliards d’euros. La déclaration
publiée le 20 mai, tout en saluant les efforts de Total, émet des doutes
sur sa capacité à atteindre la neutralité carbone espérée. Singulièrement, elle
pose la question de la poursuite des activités pétrolières du groupe, alors que
ce dernier indique simplement que sa production de pétrole « n’augmentera
plus, voire diminuera d’ici à 2030 ». La société de gestion Meeschaert, membre
de Climate Action 100+, a annoncé qu’elle votera contre la résolution 14
et réclame « l’arrêt de l’exploration de nouveaux gisements pétroliers
et gaziers, tel que demandé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ».
L’AIE, pas franchement réputée pour sa fibre écolo radicale, exhorte en effet
le monde à aller dans ce sens dans sa dernière feuille de route pour limiter le
réchauffement climatique autour de 1,5 °C et rester dans les clous de
l’accord de Paris. Ses recommandations ont secoué tout un secteur. Meeschaert
rejoint d’autres investisseurs comme OFI, l’Ircantec, Sycomore, la Française et
Actiam. Crédit mutuel indique qu’il s’abstiendra. La Banque postale pourrait
aussi voter contre.
« Total essuie camouflet après camouflet, se réjouit Lucie Pinson, fondatrice
de Reclaim Finance. Sa tentative de dissimuler ses velléités
d’expansion dans les énergies fossiles derrière une communication bien rodée a
échoué. Les investisseurs ne sont pas dupes, l’étau se resserre », veut
croire la directrice générale de l’ONG.
La multinationale n’entend pas freiner ses expéditions polluantes
Dans un rapport paru mercredi 26 mai, Oxfam France s’emploie
d’ailleurs à décrypter les ressorts du greenwashing de Total, dont la
résolution 14 ne serait que la suite logique. L’ONG rappelle que près de
80 % des investissements du groupe seront toujours alloués, sans
distinction, aux énergies fossiles en 2030. Or, pour le géant français, tous
les hydrocarbures ne se valent pas. Il considère le gaz comme « l’un
des deux grands piliers de croissance du groupe » et prévoit d’en
tirer 50 % de ses ventes d’ici à 2030. Le PDG de Total s’en est expliqué
dans un entretien accordé au journal Investir : « Oui, le
gaz naturel est une énergie fossile, mais c’est également la meilleure énergie
de transition pour accompagner les renouvelables. (…) Total assume parfaitement
ce mix. » Le groupe préfère donc voir le verre à moitié plein,
considérant qu’il vaut mieux du gaz que du charbon. Certes, il émet presque
deux fois moins de CO2 que son frère fossile, mais stratégie du « moins pire »
et réchauffement climatique ne font pas bon ménage.
La multinationale
pétro-gazière n’entend pas freiner ses multiples expéditions polluantes à
travers le globe. Elle vient de relancer un grand projet de gaz naturel en
Papouasie-Nouvelle-Guinée, participe à un gigantesque chantier d’exploitation
gazière en Arctique, signe des accords pour de nouveaux puits pétroliers sur
les rives du lac Albert, en Ouganda, ainsi qu’un pipeline de près de 1 500
kilomètres à travers la Tanzanie avec à la clé 200 000 barils de pétrole par
jour. La liste pourrait s’allonger. Malgré tout, la résolution climat du
conseil d’administration de Total devrait être adoptée lors de l’assemblée
générale. Reste à savoir à combien s’élèvera le taux de rejet. Contacté, le
groupe se refuse à toute spéculation sur les conséquences d’un vote en amont de
son résultat. Ce dernier sera, quoi qu’il advienne, un bon indicateur pour
distinguer les investisseurs conscients du péril climatique de ceux pour qui
les dividendes restent l’unique horizon.
Coup de com sur la birmanie
Pressé, depuis le coup d’État militaire du
1er février, par la résistance birmane de mettre fin à ses activités qui
alimentent les caisses de l’armée, Total a opéré un coup de communication avant
son assemblée générale, le 28 mai. Mercredi, le groupe annonçait la suspension
des versements de dividendes aux actionnaires du gazoduc de Yadana, dont le
conglomérat Myanmar Oil and Gas Enterprise, contrôlé par l’armée, qui y prend
part à hauteur de 15 %. Seulement, la décision ne met pas fin à la
majorité des paiements à la junte qui passe par la part de l’État dans les
recettes, les redevances et le recouvrement des coûts d’exploitation. Au final,
Total continue d’exploiter le champ offshore qui profite très peu aux Birmans,
puisque la majeure partie du gaz est achetée par l’autorité pétrolière
thaïlandaise.
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