lundi 26 avril 2021

"Les lesbiennes tentent de percevoir les risques engendrés par l’affichage public de leur couple"



Elles ont marché pour se faire voir et se faire entendre. La première marche lesbienne, organisée dimanche 25 avril à Paris, à la veille de la journée de la visibilité lesbienne, a réuni plusieurs milliers de personnes. Des personnalités se sont mêlées à la manifestation, telles la réalisatrice Céline Sciamma, l'actrice Adèle Haenel et l'élue écologiste parisienne et activiste lesbienne Alice Coffin.  A l’occasion de la journée mondiale de la visibilité lesbienne qui a lieu ce lundi, comme chaque 26 avril, la sociologue Sarah Jean-Jacques revient sur la place qui leur est dévolue dans l’espace public. ENTRETIEN.

Quand on tape le mot « lesbienne » dans le moteur de recherche Google, nombreuses sont les références pornographiques qui s’affichent. En tant que femmes et homosexuelles, elles transgressent doublement la norme sociale de l’hétérosexisme, système dans lequel l’hétérosexualité est reine et l’homme le dominant. Ces mécanismes d’exclusion contribuent à l’invisibilisation des lesbiennes dans l’espace public. À la veille de la journée de visibilité des lesbiennes qui se tient lundi, analyse par la sociologue Sarah Jean Jacques, spécialiste des questions du genre et de la sexualité.

Quel constat peut-on faire aujourd’hui sur la place occupée par les lesbiennes dans l’espace public ?

SARAH JEAN-JACQUES : Les lesbiennes, bien que présentes dans la ville, sont constamment en hypervigilance. Elles font face à un ensemble de remarques qui leur rappelle que leur présence, de manière lisible dans la ville, n’est pas forcément la bienvenue. Ces réactions hostiles viennent majoritairement d’hommes, de tout âge confondu. Elles vont s’exprimer par un ensemble de regards agressifs, menaçants voir aussi sexualisant. La gamme des agressions verbales représente la partie principale de leurs expériences dans les lieux publics. « Sale gouine », « Sale lesbienne » sont des insultes courantes pour ces femmes. Elles sont aussi sujettes aux questions intrusives avec de multiples invitations à caractère sexuel. Ces remarques vont venir les hypersexualiser et les réduire à l’état d’objet. C’est le signe d’une réappropriation collective de l’espace public par les hommes hétérosexuels. Ils ne perçoivent pas un couple de femmes comme étant un couple légitime. Par leur regard, ils vont s’attribuer un fantasme qui répond à des codes très hétéronormés.

Les agressions physiques, bien qu’existantes, se font plus rares. Elles dépendent d’autres logiques. Si vous prenez un couple de lesbiennes ou une lesbienne qui ne répondent pas d’emblée aux codes d’hyperféminité, elle sera plus exposée aux violences physiques. Dans le cas inverse, si certaines lesbiennes vont à l’encontre des stéréotypes affiliés à leur orientation sexuelle, elles auront davantage tendance à être hypersexsualisé.

D’où l’intérêt de la marche, dimanche, organisée dans le cadre de la journée de visibilité lesbienne…

SARAH JEAN-JACQUES : Elle leur permet en effet, le temps d’une journée, de se réapproprier l’espace public. Elles peuvent agir et s’afficher comme elles le souhaitent. Cette journée permet de les rendre visibles et d’inverser l’hétéronormativité.

Voir aussi : Égalité. Une maman + une maman = un enfant

Avez-vous pu constater une évolution dans la considération des femmes lesbiennes depuis le mouvement #meetoo ?

SARAH JEAN-JACQUES SOS : Homophobie a fait état, dans son dernier rapport, d’une augmentation de la prise de paroles des lesbiennes. Depuis le mouvement meetoo, elles témoignent davantage de la lesbophobie régulière dont elles sont victimes. Pour autant, les violences subies au quotidien persistent. On en est encore au début de la conscientisation du problème.

En quoi l’espace public est-il révélateur d’une hiérarchie des orientations sexuelles ?

SARAH JEAN-JACQUES : Celui-ci est considéré comme un lieu hétérosexuel. Il est performé de manière répétitive par le biais des affiches publicitaires, par exemple. L’hétérosexualité est affichée comme la normalité entravant ainsi la liberté sexuelle de chacun. Les lesbiennes vont avoir tendance à adopter différents comportements plus ou moins conscients pour pouvoir vivre leur relation au grand jour. Elles essayent de percevoir les coûts et les risques engendrés par l’affichage public de leur couple. Ces femmes ont tendance à s’invisibiliser afin d’éviter les commentaires déplacés. En s’affranchissant de la domination masculine, les lesbiennes sont victimes d’insultes et d’agressions montrant ainsi le déni de leur sexualité.

Observe-t-on des différences de considération entre les gays et les lesbiennes ?

SARAH JEAN-JACQUES La différence que je peux noter concerne surtout les lieux dédiés à ces deux communautés. À Paris, le quartier du marais est reconnu symboliquement comme un repère dans la ville pour les gays et les lesbiennes. On y trouve plus de cent cinquante de lieux de consommation pour les gays, ce qui leur permet entre autres d’avoir un lieu de refuge pour rencontrer de nouvelles personnes. Or, les lieux dédiés aux lesbiennes se comptent sur les doigts d’une main. Ce sont souvent des lieux autogérés qui souffrent d’un manque de financement. Ces femmes disposent ainsi de peu d’espaces où elles peuvent se retrouver et afficher leur orientation sexuelle librement sans craindre d’être agressé.

Quels moyens pourraient être mis en place pour aller vers une acceptation de toutes les orientations sexuelles ?

SARAH JEAN-JACQUES : Au niveau urbain, la mairie de Paris a déjà mis en place les passages piétons arc en ciel (marquages au sol aux couleurs du drapeau LGBTQI +, NDLR). Cependant, je reste sceptique sur l’efficacité de ce type d’initiative. Pour moi, la prise en compte et l’acceptation des différentes orientations sexuelles passe essentiellement par l’éducation. Le rectorat de Paris a mis en place un projet pilote d’observatoire LGBT afin de lutter contre l’homophobie dans les établissements scolaires. De plus, avec l’essor des comptes militants sur les réseaux sociaux, tout le monde est apte à s’informer sur ces sujets-là. Il y a une approche pédagogique qui permet de faire prendre conscience aux gens des mécanismes de rejet dont sont victimes les homosexuels. La nouvelle génération est davantage sensibilisée à ces questions-là, c’est encourageant.

Entretien réalisé par Julie Chauvin

 

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