Elles ont marché pour se
faire voir et se faire entendre. La première marche lesbienne, organisée
dimanche 25 avril à Paris, à la veille de la journée de la visibilité
lesbienne, a réuni plusieurs milliers de personnes. Des personnalités se
sont mêlées à la manifestation, telles la réalisatrice Céline Sciamma,
l'actrice Adèle Haenel et l'élue écologiste parisienne et activiste lesbienne
Alice Coffin. A l’occasion de la journée mondiale de la visibilité
lesbienne qui a lieu ce lundi, comme chaque 26 avril, la sociologue Sarah
Jean-Jacques revient sur la place qui leur est dévolue dans l’espace
public. ENTRETIEN.
Quand on tape le mot « lesbienne » dans le moteur de recherche Google,
nombreuses sont les références pornographiques qui s’affichent. En tant que femmes
et homosexuelles, elles transgressent doublement la norme sociale de
l’hétérosexisme, système dans lequel l’hétérosexualité est reine et l’homme le
dominant. Ces mécanismes d’exclusion contribuent à l’invisibilisation des
lesbiennes dans l’espace public. À la veille de la journée de visibilité des
lesbiennes qui se tient lundi, analyse par la sociologue Sarah Jean Jacques,
spécialiste des questions du genre et de la sexualité.
Quel constat peut-on faire aujourd’hui sur la place occupée par les lesbiennes
dans l’espace public ?
SARAH JEAN-JACQUES : Les lesbiennes, bien
que présentes dans la ville, sont constamment en hypervigilance. Elles font
face à un ensemble de remarques qui leur rappelle que leur présence, de manière
lisible dans la ville, n’est pas forcément la bienvenue. Ces réactions hostiles
viennent majoritairement d’hommes, de tout âge confondu. Elles vont s’exprimer
par un ensemble de regards agressifs, menaçants voir aussi sexualisant. La
gamme des agressions verbales représente la partie principale de leurs
expériences dans les lieux publics. « Sale gouine », « Sale lesbienne » sont
des insultes courantes pour ces femmes. Elles sont aussi sujettes aux questions
intrusives avec de multiples invitations à caractère sexuel. Ces remarques vont
venir les hypersexualiser et les réduire à l’état d’objet. C’est le signe d’une
réappropriation collective de l’espace public par les hommes hétérosexuels. Ils
ne perçoivent pas un couple de femmes comme étant un couple légitime. Par leur
regard, ils vont s’attribuer un fantasme qui répond à des codes très
hétéronormés.
Les agressions physiques, bien qu’existantes, se font plus rares. Elles
dépendent d’autres logiques. Si vous prenez un couple de lesbiennes ou une
lesbienne qui ne répondent pas d’emblée aux codes d’hyperféminité, elle sera
plus exposée aux violences physiques. Dans le cas inverse, si certaines
lesbiennes vont à l’encontre des stéréotypes affiliés à leur orientation
sexuelle, elles auront davantage tendance à être hypersexsualisé.
D’où l’intérêt de la marche, dimanche, organisée dans le cadre de la
journée de visibilité lesbienne…
SARAH JEAN-JACQUES : Elle leur permet en effet,
le temps d’une journée, de se réapproprier l’espace public. Elles peuvent agir
et s’afficher comme elles le souhaitent. Cette journée permet de les rendre
visibles et d’inverser l’hétéronormativité.
Voir aussi : Égalité. Une
maman + une maman = un enfant
Avez-vous pu constater une évolution dans la considération des femmes
lesbiennes depuis le mouvement #meetoo ?
SARAH JEAN-JACQUES SOS : Homophobie a
fait état, dans son dernier rapport, d’une augmentation de la prise de paroles
des lesbiennes. Depuis le mouvement meetoo, elles témoignent davantage de la
lesbophobie régulière dont elles sont victimes. Pour autant, les violences
subies au quotidien persistent. On en est encore au début de la
conscientisation du problème.
En quoi l’espace public est-il révélateur d’une hiérarchie des orientations
sexuelles ?
SARAH JEAN-JACQUES : Celui-ci est considéré
comme un lieu hétérosexuel. Il est performé de manière répétitive par le biais
des affiches publicitaires, par exemple. L’hétérosexualité est affichée comme
la normalité entravant ainsi la liberté sexuelle de chacun. Les lesbiennes vont
avoir tendance à adopter différents comportements plus ou moins conscients pour
pouvoir vivre leur relation au grand jour. Elles essayent de percevoir les
coûts et les risques engendrés par l’affichage public de leur couple. Ces
femmes ont tendance à s’invisibiliser afin d’éviter les commentaires déplacés. En
s’affranchissant de la domination masculine, les lesbiennes sont victimes
d’insultes et d’agressions montrant ainsi le déni de leur sexualité.
Observe-t-on des différences de considération entre les gays et les
lesbiennes ?
SARAH JEAN-JACQUES La différence que je
peux noter concerne surtout les lieux dédiés à ces deux communautés. À Paris,
le quartier du marais est reconnu symboliquement comme un repère dans la ville
pour les gays et les lesbiennes. On y trouve plus de cent cinquante de lieux de
consommation pour les gays, ce qui leur permet entre autres d’avoir un lieu de
refuge pour rencontrer de nouvelles personnes. Or, les lieux dédiés aux
lesbiennes se comptent sur les doigts d’une main. Ce sont souvent des lieux
autogérés qui souffrent d’un manque de financement. Ces femmes disposent ainsi
de peu d’espaces où elles peuvent se retrouver et afficher leur orientation
sexuelle librement sans craindre d’être agressé.
Quels moyens pourraient être mis en place pour aller vers une acceptation
de toutes les orientations sexuelles ?
SARAH JEAN-JACQUES : Au niveau urbain, la
mairie de Paris a déjà mis en place les passages piétons arc en ciel (marquages
au sol aux couleurs du drapeau LGBTQI +, NDLR). Cependant, je reste sceptique
sur l’efficacité de ce type d’initiative. Pour moi, la prise en compte et
l’acceptation des différentes orientations sexuelles passe essentiellement par
l’éducation. Le rectorat de Paris a mis en place un projet pilote
d’observatoire LGBT afin de lutter contre l’homophobie dans les établissements
scolaires. De plus, avec l’essor des comptes militants sur les réseaux sociaux,
tout le monde est apte à s’informer sur ces sujets-là. Il y a une approche
pédagogique qui permet de faire prendre conscience aux gens des mécanismes de
rejet dont sont victimes les homosexuels. La nouvelle génération est davantage
sensibilisée à ces questions-là, c’est encourageant.
Entretien réalisé par Julie Chauvin
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