Les injonctions répétées
aux électeurs de gauche sur fond de chantage électoral pour éviter une victoire
du Rassemblement national masquent mal la réalité : la convergence idéologique
de la droite avec son extrême, de LaREM à LR, de Xavier Bertrand à Valérie
Pécresse. La bourgeoisie semble avoir choisi son camp : plutôt le RN que la
gauche.
En 2022, cela fera vingt ans. Vingt ans d’un choc politique
majeur : l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection
présidentielle, éliminant la gauche et créant un émoi dans tout le pays, qui se
mobilisait dans la rue comme dans les urnes pour battre l’extrême droite et
réélire Jacques Chirac avec 82,21 % des voix. Un anniversaire au goût
amer, puisque, vingt ans après, le fameux « front républicain » n’a
jamais paru aussi effrité, et le danger de voir l’héritière Marine Le Pen
accéder au second tour et l’emporter est plus réel que jamais. Pire : ses idées
ont infusé dans toute la société, notamment au sein d’une droite contaminée qui
ne défend plus le « cordon sanitaire » de 2002, et dont l’électorat et les
discours ont atteint un haut degré de porosité.
Dans un paysage politique profondément bouleversé, le délitement des partis
politiques traditionnels et l’irruption du macronisme semblent avoir agi comme
un accélérateur de la montée du parti d’extrême droite. Au point que, selon une
étude de la Fondation Jean-Jaurès parue le 21 avril – date symbolique
s’il en est –, le risque de voir la cheffe du Rassemblement national (RN)
accéder à la présidence de la République constitue « une possibilité
non négligeable ». Rédigée par Antoine Bristielle, Tristan Guerra et
Max-Valentin Robert, cette enquête pointe trois faits majeurs : la banalisation
du RN, la porosité de plus en plus marquée au sein de l’électorat de droite,
entre LR et le RN, et la défiance, voire le rejet d’un Emmanuel Macron qui n’a
de cesse de dérouler le tapis rouge aux thèses du RN, tout en se présentant
comme le rempart républicain.
Les emprunts répétés de la Macronie à l’extrême droite
La tragique actualité du week-end, avec la nouvelle attaque terroriste au
commissariat de Rambouillet (Yvelines), le 23 avril, offre encore une fois
l’illustration d’une nouvelle surenchère sécuritaire. L’occasion pour Xavier
Bertrand, d’ores et déjà candidat à la présidentielle, de dérouler un programme
ultrasécuritaire amalgamant immigration et insécurité, avec une proposition
choc : une peine incompressible de 50 années d’emprisonnement pour les
individus condamnés pour des faits de terrorisme. Dans le même temps, sa
potentielle rivale à droite, Valérie Pécresse, n’a pas hésité à affirmer la
nécessité de « cesser de nier le lien entre terrorisme et
immigration ». Et dans cette funeste course à l’échalote, la Macronie
n’est pas en reste : le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé un
énième renforcement de la législation antiterroriste via un projet de loi qui
doit être présenté dès ce mercredi 28 avril en Conseil des ministres (lire
encadré ci-contre), alors même que le Parlement vient d’adopter la loi de
« sécurité globale » et que celle sur le « séparatisme » doit prochainement
revenir devant l’Assemblée après avoir été considérablement durcie par la
droite sénatoriale.
C’est dans ce contexte que les frontières programmatique et électorale
tendent à s’effacer, au profit d’un RN plus légitimé que jamais par les
polémiques nauséabondes parfois relayées par le gouvernement, à l’image des
attaques de la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, à
l’encontre du supposé « islamo-gauchisme » au sein des
universités, ou du débat télévisé entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen,
mi-février, dans lequel le premier accusait la seconde de « mollesse » face
à l’islamisme. Pour Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Centre de recherches
politiques de Sciences-Po, il est indéniable que « les thématiques sur
l’islamo-gauchisme, les thèses identitaires et la laïcité créent un climat
d’opinion favorable au RN ». Le gouvernement ne craint pourtant pas de
dénoncer l’érosion du front républicain, par la voix de son porte-parole,
Gabriel Attal, qui accuse les oppositions « de gauche comme de droite
de chouchouter le RN ». Déjà, à l’occasion de la publication d’un sondage
alarmant par Libération le 26 février, lequel donnait
Marine Le Pen à 47 % au second tour en cas de nouveau duel avec Emmanuel
Macron, François de Rugy s’en prenait à « la dérive d’une partie de la
gauche ». Un comble, alors que le rapport de la Fondation Jean-aurès
souligne non seulement « un rapprochement significatif entre les
électorats du Rassemblement national et de la droite modérée », mais
également « une convergence programmatique indéniable ». Ce que
reconnaît d’ailleurs Christophe Castaner dans Libération daté
du 22 avril : c’est bien « sur l’électorat de droite que le front
républicain est menacé ». Ce qu’omet de dire l’ex-ministre de l’Intérieur,
c’est que le tournant sécuritaire du gouvernement et les emprunts répétés à
l’extrême droite ne peuvent que créer « une spirale en boucle qui joue
pour la perception des propositions du RN », analyse Bruno Cautrès.
En 2012, Sarkozy estime Le Pen « compatible avec la République »
Les faits sont là : selon Tristan Guerra, « la droite modérée est
celle qui est la plus susceptible de se reporter sur les voix du RN ». Du
côté de LR, le rapprochement est plus marqué. Selon l’étude de la Fondation
Jean-Jaurès : « 97 % des proches de LR et du RN (sont) d’accord
pour dire qu’on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre. »
Voilà longtemps que le front républicain est en état de décomposition
avancée de ce côté-là de l’échiquier politique : en 2012, déjà, un certain
Nicolas Sarkozy déclarait que Marine Le Pen était « compatible avec la
République ». Et dès 2015, lors des départementales puis des régionales, la
droite adoptait la stratégie du « ni front républicain ni Front
national ». Ce faisant, elle a contribué à l’émergence du RN, avec lequel
elle est aujourd’hui d’accord sur nombre de sujets. Et si Christian Jacob, le
président des « Républicains », martèle : « Jamais d’accord avec
l’extrême droite », c’est à la base, au niveau local et sur le plan
idéologique que le rapprochement se réalise.
« C’est en faisant des concessions au RN qu’on le fait monter »
Ce que corrobore un
sondage réalisé par l’Ifop pour le Journal du dimanche du
11 avril : en cas de duel entre Marine Le Pen et un candidat de gauche au
second tour en 2022, l’électorat de droite s’abstiendrait ou se reporterait
massivement sur la candidate du RN qui gagnerait, que ce soit face à Jean-Luc
Mélenchon (40 %), Yannick Jadot (47 %), ou dans une moindre mesure
Anne Hidalgo, donnée à égalité. Chiffre révélateur s’il en est : en cas de
second tour Mélenchon et Le Pen, 71 % des électeurs d’Emmanuel Macron
s’abstiendraient et 12 % voteraient pour Marine Le Pen. Quant aux
électeurs de Xavier Bertrand, ils seraient seulement 10 % à défendre le
front républicain, 51 % à s’abstenir, et 39 % à voter pour la cheffe
du RN. Des chiffres qui marquent une vraie évolution : l’ensemble de l’électorat
de droite préfère aujourd’hui l’élection de l’extrême droite plutôt que de la
gauche. Certes, à un an de l’élection, les sondages sont à prendre avec des
pincettes, car « il manque beaucoup de paramètres », rappelle
Bruno Cautrès. Mais le directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation
Jean-Jaurès, Antoine Bristielle, rappelle ce qui devrait pourtant constituer
une évidence : « C’est en faisant des concessions programmatiques au RN
qu’on le fait monter. » De LaREM à LR, la droite en porte une lourde
responsabilité.
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