dimanche 25 avril 2021

« Farce ou tragédie ? », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



La pièce en deux actes qui se déroule sous les yeux incrédules des responsables de gauche doit servir de leçon et d’avertissement. Les deux textes publiés coup sur coup dans la presse d’extrême droite, l’un par des gradés militaires, l’autre en réponse par la candidate du RN à la présidentielle, lèvent un coin du voile sur les projets extrêmement graves auxquels rêvaient jusqu’alors en coulisses les cercles qui n’ont de « nationaux » que le nom.

Dans un texte stupéfiant, des ex- généraux à la retraite, voire carrément radiés de l’armée, soutenus, au dire de Valeurs actuelles, par une « centaine de gradés » et « plus d’un millier » de militaires actifs, menacent ouvertement notre pays d’un coup d’État militaire pour, disent-ils, sauver la France du « péril » réuni de l’ « antiracisme » et de l’ « islamisme », cristallisé dans « les hordes de banlieue », comme ces « patriotes » désignent ceux qui y vivent. Pour lever toute ambiguïté, la date de publication a été soigneusement choisie : le 21 avril 2021, soit soixante ans jour pour jour après le putsch des généraux d’Alger qui avait tenté de renverser la République, en 1961… et accessoirement dix-neuf ans après la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, un certain 21 avril 2002. La boucle est bouclée.

On sait ce que Marx disait de l’histoire qui se répète : la première fois, c’est une tragédie ; la deuxième, une farce. Cette histoire-là aurait pu rester une sinistre farce, celle d’une tribune confidentielle que personne, trois jours après sa publication, n’avait remarquée, signée de généraux à qui il reste à peine le grade et qui ne représentent qu’eux-mêmes et surtout pas l’armée, et dont certains étaient déjà notoirement engagés à l’extrême droite… Mais l’entrée en scène de la candidate du Rassemblement national à la présidentielle Marine Le Pen change la donne.

Au lieu de condamner, comme devrait le faire tout démocrate, un appel menaçant explicitement le pays d’une « intervention » armée et d’une « guerre civile » qui serait cause de « milliers » de morts, selon ses auteurs, la prétendante à l’Élysée leur propose une alliance en bonne et due forme. « Je souscris à vos analyses », écrit-elle, ajoutant, comme pour les conforter dans leur motivation criminelle, que le « devoir de tous les patriotes » est « de se lever » pour « le salut du pays ». Et de les inviter, plutôt qu’à prendre les armes, à « se joindre » à sa campagne présidentielle. Une prise de distance avec la tactique, mais non le fond du projet. Certains y verront un moyen de faire entrer les factieux dans le rang de l’ordre démocratique, alors que, en réalité, Marine Le Pen ne leur dit rien d’autre que ceci : pas besoin d’un coup d’État pour appliquer votre projet fascisant, il suffit de voter pour moi. Farce ou tragédie ? La suite de l’histoire le dira.

 

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