Les critères de pauvreté sont actuellement exclus du calendrier vaccinal. Un choix qui ne peut qu’aggraver les conditions sociales, que subissent les personnes les plus défavorisées, explique Fabienne El Khoury. Entretien.
FABIENNE EL KHOURY, Chercheuse
en épidémiologie sociale à l’Inserm
Certaines catégories de personnes semblent accéder moins facilement à la
vaccination. Comment l’expliquer ?
Fabienne El Khoury Les inégalités sont la marque de fabrique de
l’épidémie. Depuis le début, la surexposition des plus précaires à la
maladie est une réalité. Pour plusieurs raisons : parce que, parmi eux, les
travailleuses et travailleurs essentiels, plus exposés, sont surreprésentés.
Mais aussi parce que plus on est défavorisé, plus la mortalité est élevée. Ces
personnes ne sont pas plus faibles face à la maladie. Elles sont plus à risques
d’avoir des comorbidités du fait d’inégalités structurelles (obésité, diabète,
maladie cardiaque), qui expliquent aussi qu’elles sont moins aptes à être
vaccinées.
De quelles inégalités structurelles parlez-vous ?
Fabienne El Khoury La politique de vaccination, au moins au début, était
celle du « premier inscrit, premier vacciné ». Il fallait s’inscrire en ligne,
donc avoir accès à Internet, ce qui est moins le cas chez les personnes
précaires. Mécaniquement, ce dispositif touche donc moins les personnes
défavorisées. Ces dernières sont également plus hésitantes face au Covid. Ce
n’est pas parce qu’elles sont pauvres : cela passe par des facteurs
intermédiaires, notamment le fait qu’elles ont moins accès aux soins. Certaines
n’ont pas de médecin traitant, pas de mutuelle. Et, quand on n’a pas de
mutuelle, on va moins chez le médecin. Or les médecins ont un rôle primordial
pour conseiller sur les vaccins et, dans un climat où on est bombardé par les
fake news, il est plus dur de savoir quelle est la bonne information. C’est une
tendance qui a été remarquée aux États-Unis, où existent des données
« ethniques » : à niveau de diplôme égal, les personnes victimes de racisme
sont plus méfiantes vis-à-vis des vaccins. Cela s’explique notamment par une
méfiance vis-à-vis du pouvoir plus marquée que chez les personnes défavorisées « blanches ».
Je pense que la même logique est à l’œuvre en France.
Pourtant, les disparités de santé ne semblent toujours pas prises en compte
par le gouvernement…
Fabienne El Khoury Dès le début du Covid, on a observé des inégalités de
santé, notamment avec l’exposition plus marquée de celles et ceux qui
travaillent en première ligne, et la surmortalité dans certains territoires
défavorisés. Je ne nie pas que des mesures ont été prises. D’ailleurs, depuis
quelques jours, les travailleuses et travailleurs essentiels de plus de
55 ans sont éligibles à la vaccination. C’est mieux que rien, mais il
aurait fallu élargir ce critère à toute cette population. C’est une mesure
indirecte qui permettrait de ne pas accroître les injustices. Des mesures
supplémentaires pourraient également être prises pour réduire l’hésitation face
à la vaccination. On peut imaginer des interventions dans les quartiers
populaires, avec des gens de confiance – pas des représentants du gouvernement,
envers qui ces personnes sont plus méfiantes… Là, avec ce système de
vaccination qui repose sur les classes d’âge, on renforce les inégalités de
santé.
Les inégalités d’accès à la santé préexistantes à la crise du
Covid expliquent-elles ces différences d’accès aux vaccins ?
Fabienne El Khoury Sur
la majorité des mesures de prévention étudiées en épidémiologie sociale, on en
est sûr et certain : les inégalités de santé ne sont pas prises en compte, ce
qui est générateur d’injustice. Prenez la lutte contre le tabac : à chaque fois
qu’une campagne est menée, ce sont les plus riches qui arrêtent de fumer. Pour
les mammographies et la prévention du cancer du sein, ce sont les plus
favorisées qui en bénéficient. À chaque fois, on risque d’aggraver les
inégalités.
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