Pour obtenir les doses promises par la multinationale,
Bruxelles met en avant un mécanisme de contrôle des exportations. Un geste
symbolique, mais inefficace.
Big Pharma ne manque pas d’air. Après être
resté coi, depuis des semaines, devant la revendication montante, sur toute la
planète, d’un partage des brevets, des technologies et des savoir-faire visant
à assurer une production de vaccins contre le Covid-19 à la hauteur du défi, le
lobby des multinationales du secteur a retrouvé sa langue pour garder
jalousement la main sur une chaîne de distribution bien peu transparente et
largement défaillante. Après l’annonce par AstraZeneca d’une réduction
drastique des livraisons de son sérum – l’entreprise ne s’engageant plus à
fournir que 25 % des vaccins promis pour le premier trimestre 2021 dans
son contrat avec l’Union européenne –, la Commission de Bruxelles a mis sur
pied, vendredi, un mécanisme pour contrôler les acheminements hors de l’UE et
interdire les exportations non légitimes à ses yeux.
Tous les soupçons se portent, en fait,
vers le Royaume-Uni qui, alors que la pénurie pousse les pays européens à
arrêter, pour beaucoup, leurs campagnes de vaccination, bat chaque jour des
records : samedi, Boris Johnson, son premier ministre, a pu annoncer près de
500 000 injections de première dose en une seule journée… Pour les Européens,
qui ont publié vendredi une version largement expurgée de leur contrat avec le
groupe pharmaceutique, les deux usines anglaises devraient fournir les doses
promises, et non pas les réserver au marché britannique. Pascal Soriot, le PDG
du groupe anglo-suédois, a rétorqué, dans un premier temps, que les
Britanniques étaient servis en priorité, en récompense de leurs précommandes
arrivées bien avant celles de l’Union européenne. Inacceptable pour l’UE, qui
refuse la règle du « premier arrivé, premier servi ».
Derrière les accusations de plus en plus
précises des Européens, l’annonce de la Commission fait hurler l’Organisation
mondiale de la santé : elle relie cette décision au « nationalisme
vaccinal » et la décrit comme « profondément inquiétante ». Mais
elle indigne également la Fédération européenne des industries et associations
pharmaceutiques (Efpia), qui, non sans un opportunisme grossier, n’hésite pas à
se remaquiller à la hâte en partisane de l’accès universel aux vaccins. « L’établissement
par la Commission européenne d’un système d’autorisation des exportations des
vaccins anti-Covid-19 risque de repousser et de compromettre la distribution
aux citoyens en Europe et dans le monde entier », écrit le lobby dans
un communiqué.
Les Européens devraient revoir leur angle d’attaque
Mais en réalité, la fronde des Européens
risque de demeurer symbolique : ce sont bien plus les importations vers l’Union
européenne qui font défaut dans l’affaire AstraZeneca, que les éventuelles
exportations vers d’autres pays, absolument dérisoires à ce stade. Ce qu’admet,
en creux, un haut fonctionnaire bruxellois cité par le quotidien
londonien The Guardian : « Nous avons un sérieux différend avec
une entreprise qui a signé avec nous un contrat stipulant qu’elle mettra à
notre disposition des vaccins provenant de deux de ses usines au Royaume-Uni et
qui ne nous a pas livré une seule dose provenant de ces usines… De plus, il a
été clairement affirmé qu’avec le soutien du gouvernement britannique, ces deux
usines ne livreraient pas un seul vaccin à l’Uni on européenne tant
que le Royaume-Uni n’aura pas reçu les 100 millions de doses qu’il
attend. »
Comme ils le font depuis que Pfizer a
baissé unilatéralement ses livraisons, il y a deux semaines, certains, à
l’instar des Allemands et des Français désormais, menacent de lancer des
actions en justice pour obtenir d’AstraZeneca leurs doses contractuelles. Mais
sans rien remettre en cause de la mainmise des multinationales sur la chaîne de
production et de distribution. Ce qui ressemble à des paroles en l’air, une
fois de plus…
Alors que le vaccin d’AstraZeneca vient d’être
homologué par l’Agence européenne des médicaments (lire notre encadré), les
Européens devraient revoir leur angle d’attaque. Signe que ça commence
peut-être à bouger, Charles Michel, le président du Conseil européen, vient de
proposer de recourir à des dispositions légales nouvelles et à des « mesures
obligatoires » visant à amplifier la production de vaccins,
aujourd’hui « en difficulté sévère ». Ce qui pourrait
conduire, si cette perspective est prise au sérieux, à une forme de
planification de la production en partageant les brevets et en mobilisant
toutes les infrastructures existantes. Un tout autre programme que le « chacun
pour soi » face au Covid-19.
Des doutes qui chamboulent le plan de vaccination
Désormais
validé dans l’UE, le vaccin signé par l’université d’Oxford et AstraZeneca
tenait la corde pour le grand public : il est censé être moins cher, plus
facile à produire ou à distribuer que ceux, à base d’ARN messager, de Moderna
ou Pfizer-BioNTech. Mais des doutes importants demeurent quant à son efficacité
sur les cibles prioritaires des campagnes actuelles. Les dirigeants de
l’autorité vaccinale allemande ont ainsi recommandé de ne pas l’injecter aux
personnes de plus de 65 ans, tandis que ses homologues italiens le
déconseillent pour les plus de 55 ans.
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