lundi 1 février 2021

Vaccins. Valse-hésitation de l’Europe face à AstraZeneca



Thomas Lemahieu

Pour obtenir les doses promises par la multinationale, Bruxelles met en avant un mécanisme de contrôle des exportations. Un geste symbolique, mais inefficace.

Big Pharma ne manque pas d’air. Après être resté coi, depuis des semaines, devant la revendication montante, sur toute la planète, d’un partage des brevets, des technologies et des savoir-faire visant à assurer une production de vaccins contre le Covid-19 à la hauteur du défi, le lobby des multinationales du secteur a retrouvé sa langue pour garder jalousement la main sur une chaîne de distribution bien peu transparente et largement défaillante. Après l’annonce par AstraZeneca d’une réduction drastique des livraisons de son sérum – l’entreprise ne s’engageant plus à fournir que 25 % des vaccins promis pour le premier trimestre 2021 dans son contrat avec l’Union européenne –, la Commission de Bruxelles a mis sur pied, vendredi, un mécanisme pour contrôler les acheminements hors de l’UE et interdire les exportations non légitimes à ses yeux.

Tous les soupçons se portent, en fait, vers le Royaume-Uni qui, alors que la pénurie pousse les pays européens à arrêter, pour beaucoup, leurs campagnes de vaccination, bat chaque jour des records : samedi, Boris Johnson, son premier ministre, a pu annoncer près de 500 000 injections de première dose en une seule journée… Pour les Européens, qui ont publié vendredi une version largement expurgée de leur contrat avec le groupe pharmaceutique, les deux usines anglaises devraient fournir les doses promises, et non pas les réserver au marché britannique. Pascal Soriot, le PDG du groupe anglo-suédois, a rétorqué, dans un premier temps, que les Britanniques étaient servis en priorité, en récompense de leurs précommandes arrivées bien avant celles de l’Union européenne. Inacceptable pour l’UE, qui refuse la règle du « premier arrivé, premier servi ».

Derrière les accusations de plus en plus précises des Européens, l’annonce de la Commission fait hurler l’Organisation mondiale de la santé : elle relie cette décision au « nationalisme vaccinal » et la décrit comme « profondément inquiétante ». Mais elle indigne également la Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques (Efpia), qui, non sans un opportunisme grossier, n’hésite pas à se remaquiller à la hâte en partisane de l’accès universel aux vaccins. « L’établissement par la Commission européenne d’un système d’autorisation des exportations des vaccins anti-Covid-19 risque de repousser et de compromettre la distribution aux citoyens en Europe et dans le monde entier », écrit le lobby dans un communiqué.

Les Européens devraient revoir leur angle d’attaque

Mais en réalité, la fronde des Européens risque de demeurer symbolique : ce sont bien plus les importations vers l’Union européenne qui font défaut dans l’affaire AstraZeneca, que les éventuelles exportations vers d’autres pays, absolument dérisoires à ce stade. Ce qu’admet, en creux, un haut fonctionnaire bruxellois cité par le quotidien londonien The Guardian : « Nous avons un sérieux différend avec une entreprise qui a signé avec nous un contrat stipulant qu’elle mettra à notre disposition des vaccins provenant de deux de ses usines au Royaume-Uni et qui ne nous a pas livré une seule dose provenant de ces usines… De plus, il a été clairement affirmé qu’avec le soutien du gouvernement britannique, ces deux usines ne livreraient pas un seul vaccin à l’Uni on européenne tant que le Royaume-Uni n’aura pas reçu les 100 millions de doses qu’il attend. »

Comme ils le font depuis que Pfizer a baissé unilatéralement ses livraisons, il y a deux semaines, certains, à l’instar des Allemands et des Français désormais, menacent de lancer des actions en justice pour obtenir d’AstraZeneca leurs doses contractuelles. Mais sans rien remettre en cause de la mainmise des multinationales sur la chaîne de production et de distribution. Ce qui ressemble à des paroles en l’air, une fois de plus…

Alors que le vaccin d’AstraZeneca vient d’être homologué par l’Agence européenne des médicaments (lire notre encadré), les Européens devraient revoir leur angle d’attaque. Signe que ça commence peut-être à bouger, Charles Michel, le président du Conseil européen, vient de proposer de recourir à des dispositions légales nouvelles et à des « mesures obligatoires » visant à amplifier la production de vaccins, aujourd’hui « en difficulté sévère ». Ce qui pourrait conduire, si cette perspective est prise au sérieux, à une forme de planification de la production en partageant les brevets et en mobilisant toutes les infrastructures existantes. Un tout autre programme que le « chacun pour soi » face au Covid-19.

Des doutes qui chamboulent le plan de vaccination

Désormais validé dans l’UE, le vaccin signé par l’université d’Oxford et AstraZeneca tenait la corde pour le grand public : il est censé être moins cher, plus facile à produire ou à distribuer que ceux, à base d’ARN messager, de Moderna ou Pfizer-BioNTech. Mais des doutes importants demeurent quant à son efficacité sur les cibles prioritaires des campagnes actuelles. Les dirigeants de l’autorité vaccinale allemande ont ainsi recommandé de ne pas l’injecter aux personnes de plus de 65 ans, tandis que ses homologues italiens le déconseillent pour les plus de 55 ans.

 

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