Des réflexions sur l’application d’un « objectif zéro
Covid » commencent à émerger en Europe et en France. Mais l’idée ne fait pas
l’unanimité au sein de la communauté scientifique, à l’heure où la progression
de souches mutantes interroge les mesures pour les freiner.
Vivre avec le virus ou s’en débarrasser
une bonne fois pour toutes ? La question peut paraître idiote. Qui ne
souhaiterait pas que le Covid-19 ne soit plus qu’un lointain souvenir ? Mais
les retards de la vaccination et la menace d’une reprise épidémique à base de
variants, surtout s’ils s’avéraient que certains résistent aux vaccins,
éloignent la perspective d’une délivrance rapide. Alors que faire ?
En France, l’objectif fixé par l’exécutif
est de « tout mettre en œuvre » pour éviter le confinement et
ses impacts économiques et sociaux très conséquents. Mais le gouvernement n’exclut
pas d’y recourir selon l’évolution de la circulation virale. Une méthode qui
accepte jusqu’ici que les hôpitaux assument une partie de la pression
épidémique, avec environ 3 000 patients actuellement pris en charge dans
les services de réanimation français.
Ripostes locales
Alors que la situation se dégrade à
l’échelle nationale, le littoral des Alpes-Maritimes et sa métropole Nice, qui
observe un taux d’incidence (nombre de cas pour 100 000 habitants) de 700
contre 190 pour la moyenne nationale, seront ainsi de nouveau sous cloche les
deux prochains week-ends.
Dans le département du Nord, la ville de
Dunkerque est également sur la sellette. « Ce n’est pas une politique
qui viserait à éradiquer le virus dans une zone, mais qui tente plutôt de le
contenir. C’est une façon de fonctionner uniquement sur la riposte
en cas de croissance exponentielle », analyse l’épidémiologiste suisse
Antoine Flahault. Ce dernier est un fervent défenseur d’une stratégie inverse,
visant à écraser le virus, quitte à passer par un durcissement plus drastique
des mesures. Avec un collectif de chercheurs européens, il a signé le
15 février une tribune en ce sens, parue dans le journal le Monde.
Le pari d’un freinage brutal
Venue de pays d’Asie (Chine, Corée du Sud,
Vietnam), puis adoptée par l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou l’Islande, la
doctrine « zéro Covid » fait le pari d’un freinage brutal et immédiat de
l’épidémie avant que celle-ci n’explose. C’est l’option choisie par la ville
néo-zélandaise Auckland, où trois jours de confinement ont été décrétés
mi-février, après la découverte de trois cas. Objectif : aboutir à des zones
débarrassées du virus ou qui ne recensent pas plus d’un cas par jour pour
100 000 habitants, et où peut s’opérer un retour à la vie normale (pas de
port du masque, restaurants et lieux culturels ouverts). Un principe qui
s’accompagne d’une application drastique du triptyque « tester-tracer-isoler ».
À première vue, une transposition de cet
objectif à l’échelle européenne ne paraît pas simple. La plupart des pays
l’ayant adopté sont en effet des îles. « Mais on pourrait imaginer
faire de l’espace Schengen une presqu’île séparée en zones vertes où
le nombre de nouveaux cas par jour serait inférieur à 1 pour
100 000 habitants, et en zones rouges où il faudrait continuer de faire
des efforts pour faire baisser la tendance », explique Antoine Flahault. En
d’autres termes, recourir à un reconfinement strict. Il serait possible de
circuler entre zones vertes, mais pas d’une zone verte à une zone rouge.
« Tester-tracer-isoler », un passage obligé
Certains pays de l’Union européenne,
notamment l’Allemagne et l’Irlande, se sont emparés de la question. En France,
où la stratégie pourrait s’appliquer par exemple en séparant les régions en
zones, les responsables politiques ne semblent pas prompts à se saisir du débat
pour l’instant. Une partie de la communauté scientifique, elle, reste
sceptique. « En France, un an après le début de l’épidémie, cela me
paraît impossible à mettre en place », jugeait Odile Launay, le 22 février,
sur France Info, l’infectiologue doutant de l’acceptabilité d’un reconfinement
par la population. « Cela fonctionne dans des pays d’Asie
où les mesures sont extrêmement astringentes », a-t-elle souligné, se
faisant l’écho de questionnements que soulève la stratégie au niveau des
libertés individuelles.
« Les mesures actuellement appliquées sont
déjà très restrictives et perdurent depuis des mois. Ce n’est pas forcément
plus facile à vivre pour la population »,
objecte l’épidémiologiste Renaud Piarroux. Le chef de service des maladies
infectieuses à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) doute plutôt de la
faisabilité d’une telle stratégie en France. Peine perdue, selon lui, sans que
le triptyque « tester-tracer-isoler » ne soit amélioré. Et sans forcément
parier sur un traçage numérique. « On peut définir une stratégie, mais
il faut également être capable d’être opérationnel. Comme cela se fait dans
quelques endroits en France, il faudrait pouvoir organiser sur l’ensemble du
territoire des antennes capables d’accueillir, dépister, informer et
accompagner, tout cela sur un même lieu. Il y a beaucoup à faire sur
l’explication, l’application des gestes barrières et leur adaptation, puisque
tout le monde ne vit pas dans les mêmes conditions. On pourrait imaginer la
mise en place d’équipes de médiateurs mobiles qui soient formés pour cela »,
argue-t-il.
Un printemps attendu
Pour d’autres encore, le gouvernement a
raté le coche l’été dernier, quand la circulation virale était basse et aurait
pu permettre la mise en place d’une telle stratégie . « On ne peut plus
parler de zéro Covid car le virus est endémique. Tout le monde va être en
contact avec ce virus », estimait l’épidémiologiste Didier Pittet, le
18 février, sur France Inter. L’avancée de la vaccination, le déploiement
de nouveaux moyens de dépistage et l’arrivée des beaux jours pourraient tout de
même faire enfin reculer l’épidémie.
Avec l’acquisition de l’immunité entraînée
par la propagation soutenue du virus, une décrue pourrait avoir lieu au
printemps. Une aubaine pour les défenseurs d’un objectif « zéro Covid ». « Nous
aurons alors une fenêtre d’opportunité : moins il y aura de contaminations et
plus on pourra se concentrer sur des mesures locales, mais prises plus
rapidement, et agir sur les derniers cas et sur leur entourage », espère
Renaud Piarroux.
Un « nouveau contrat social »
Le Conseil scientifique, qui guide le
gouvernement mais dont le dernier avis publié date du 12 janvier, ne s’est
pas prononcé spécifiquement sur cette stratégie. Mais certains de ses membres,
l’immunologue Jean-François Delfraissy et l’anthropologue Laëtitia
Atlani-Duault, proposent, dans un article paru le 18 février dans la revue médicale The Lancet Public Health, l’adoption d’un « nouveau contrat social » face
à l’ « impact énorme à la fois de la pandémie et des mesures prises
pour y répondre », détaille Laëtitia Atlani-Duault. « Les
générations les plus jeunes, donc moins vulnérables individuellement,
pourraient s’approprier la contrainte de mesures indifférenciées (masques,
distanciation sociale, dépistage régulier) sous condition que les populations
les plus à risque, en particulier les aînés, s’approprient en plus des mesures
de protection vis-à-vis du risque infectieux, par exemple sous la forme d’un auto-isolement
volontaire », détaille-t-elle. Une idée alternative aux « confinements
successifs » pour lutter contre l’épidémie.
Face à la montée des variants que le couvre-feu ne
parvient vraisemblablement pas à enrayer suffisamment, la question de l’adoption
de nouvelles mesures, globales ou localisées, va finir par se poser clairement
à l’image des arbitrages en cours à Dunkerque. « Notre proposition zéro
Covid est aussi faite pour que le gouvernement se positionne clairement sur une
stratégie. Le pire, c’est l’impression de ne pas en avoir », conclut
Antoine Flahault.
À Dunkerque, « dernière chance » avant le
confinement
Le
taux d’incidence de Dunkerque, dans le département du Nord, explose. Il s’est
envolé à 901 cas pour 100 000 habitants et inquiète les autorités
sanitaires. Face à l’aggravation de la situation, le maire Patrice Vergriete a
prié, mardi, le gouvernement de donner « une dernière chance » à son
agglomération pour freiner l’emballement épidémique sans passer par un
confinement. Une « immense campagne de prévention » pour imposer le « zéro
rassemblement » a été proposée à l’exécutif, qui devra finalement trancher ce
mercredi. Le maire a toutefois ajouté qu’il ne « s’opposerait pas » à une
décision de reconfinement.
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