jeudi 25 février 2021

Stratégie « zéro Covid » ou apprendre à vivre avec le virus ? Les enjeux du débat



Lola Scandella

Des réflexions sur l’application d’un « objectif zéro Covid » commencent à émerger en Europe et en France. Mais l’idée ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique, à l’heure où la progression de souches mutantes interroge les mesures pour les freiner.

Vivre avec le virus ou s’en débarrasser une bonne fois pour toutes ? La question peut paraître idiote. Qui ne souhaiterait pas que le Covid-19 ne soit plus qu’un lointain souvenir ? Mais les retards de la vaccination et la menace d’une reprise épidémique à base de variants, surtout s’ils s’avéraient que certains résistent aux vaccins, éloignent la perspective d’une délivrance rapide. Alors que faire ?

En France, l’objectif fixé par l’exécutif est de « tout mettre en œuvre » pour éviter le confinement et ses impacts économiques et sociaux très conséquents. Mais le gouvernement n’exclut pas d’y recourir selon l’évolution de la circulation virale. Une méthode qui accepte jusqu’ici que les hôpitaux assument une partie de la pression épidémique, avec environ 3 000 patients actuellement pris en charge dans les services de réanimation français.

Ripostes locales

Alors que la situation se dégrade à l’échelle nationale, le littoral des Alpes-Maritimes et sa métropole Nice, qui observe un taux d’incidence (nombre de cas pour 100 000 habitants) de 700 contre 190 pour la moyenne nationale, seront ainsi de nouveau sous cloche les deux prochains week-ends.

Dans le département du Nord, la ville de Dunkerque est également sur la sellette. « Ce n’est pas une politique qui viserait à éradiquer le virus dans une zone, mais qui tente plutôt de le contenir. C’est une façon de fonctionner uniquement sur la riposte en cas de croissance exponentielle », analyse l’épidémiologiste suisse Antoine Flahault. Ce dernier est un fervent défenseur d’une stratégie inverse, visant à écraser le virus, quitte à passer par un durcissement plus drastique des mesures. Avec un collectif de chercheurs européens, il a signé le 15 février une tribune en ce sens, parue dans le journal le Monde.

Le pari d’un freinage brutal

Venue de pays d’Asie (Chine, Corée du Sud, Vietnam), puis adoptée par l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou l’Islande, la doctrine « zéro Covid » fait le pari d’un freinage brutal et immédiat de l’épidémie avant que celle-ci n’explose. C’est l’option choisie par la ville néo-zélandaise Auckland, où trois jours de confinement ont été décrétés mi-février, après la découverte de trois cas. Objectif : aboutir à des zones débarrassées du virus ou qui ne recensent pas plus d’un cas par jour pour 100 000 habitants, et où peut s’opérer un retour à la vie normale (pas de port du masque, restaurants et lieux culturels ouverts). Un principe qui s’accompagne d’une application drastique du triptyque « tester-tracer-isoler ».

À première vue, une transposition de cet objectif à l’échelle européenne ne paraît pas simple. La plupart des pays l’ayant adopté sont en effet des îles. « Mais on pourrait imaginer faire de l’espace Schengen une presqu’île séparée en zones vertes où le nombre de nouveaux cas par jour serait inférieur à 1 pour 100 000 habitants, et en zones rouges où il faudrait continuer de faire des efforts pour faire baisser la tendance », explique Antoine Flahault. En d’autres termes, recourir à un reconfinement strict. Il serait possible de circuler entre zones vertes, mais pas d’une zone verte à une zone rouge.

« Tester-tracer-isoler », un passage obligé

Certains pays de l’Union européenne, notamment l’Allemagne et l’Irlande, se sont emparés de la question. En France, où la stratégie pourrait s’appliquer par exemple en séparant les régions en zones, les responsables politiques ne semblent pas prompts à se saisir du débat pour l’instant. Une partie de la communauté scientifique, elle, reste sceptique. « En France, un an après le début de l’épidémie, cela me paraît impossible à mettre en place », jugeait Odile Launay, le 22 février, sur France Info, l’infectiologue doutant de l’acceptabilité d’un reconfinement par la population. «  Cela fonctionne dans des pays d’Asie où les mesures sont extrêmement astringentes », a-t-elle souligné, se faisant l’écho de questionnements que soulève la stratégie au niveau des libertés individuelles.

« Les mesures actuellement appliquées sont déjà très restrictives et perdurent depuis des mois. Ce n’est pas forcément plus facile à vivre pour la population », objecte l’épidémiologiste Renaud Piarroux. Le chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) doute plutôt de la faisabilité d’une telle stratégie en France. Peine perdue, selon lui, sans que le triptyque « tester-tracer-isoler » ne soit amélioré. Et sans forcément parier sur un traçage numérique. « On peut définir une stratégie, mais il faut également être capable d’être opérationnel. Comme cela se fait dans quelques endroits en France, il faudrait pouvoir organiser sur l’ensemble du territoire des antennes capables d’accueillir, dépister, informer et accompagner, tout cela sur un même lieu. Il y a beaucoup à faire sur l’explication, l’application des gestes barrières et leur adaptation, puisque tout le monde ne vit pas dans les mêmes conditions. On pourrait imaginer la mise en place d’équipes de médiateurs mobiles qui soient formés pour cela », argue-t-il.

Un printemps attendu

Pour d’autres encore, le gouvernement a raté le coche l’été dernier, quand la circulation virale était basse et aurait pu permettre la mise en place d’une telle stratégie . « On ne peut plus parler de zéro Covid car le virus est endémique. Tout le monde va être en contact avec ce virus », estimait l’épidémiologiste Didier Pittet, le 18 février, sur France Inter. L’avancée de la vaccination, le déploiement de nouveaux moyens de dépistage et l’arrivée des beaux jours pourraient tout de même faire enfin reculer l’épidémie.

Avec l’acquisition de l’immunité entraînée par la propagation soutenue du virus, une décrue pourrait avoir lieu au printemps. Une aubaine pour les défenseurs d’un objectif « zéro Covid ». «  Nous aurons alors une fenêtre d’opportunité : moins il y aura de contaminations et plus on pourra se concentrer sur des mesures locales, mais prises plus rapidement, et agir sur les derniers cas et sur leur entourage », espère Renaud Piarroux.

Un « nouveau contrat social »

Le Conseil scientifique, qui guide le gouvernement mais dont le dernier avis publié date du 12 janvier, ne s’est pas prononcé spécifiquement sur cette stratégie. Mais certains de ses membres, l’immunologue Jean-François Delfraissy et l’anthropologue Laëtitia Atlani-Duault, proposent, dans un article paru le 18 février dans la revue médicale The Lancet Public Health, l’adoption d’un « nouveau contrat social » face à l’ « impact énorme à la fois de la pandémie et des mesures prises pour y répondre », détaille Laëtitia Atlani-Duault. « Les générations les plus jeunes, donc moins vulnérables individuellement, pourraient s’approprier la contrainte de mesures indifférenciées (masques, distanciation sociale, dépistage régulier) sous condition que les populations les plus à risque, en particulier les aînés, s’approprient en plus des mesures de protection vis-à-vis du risque infectieux, par exemple sous la forme d’un auto-isolement volontaire », détaille-t-elle. Une idée alternative aux « confinements successifs » pour lutter contre l’épidémie.

Face à la montée des variants que le couvre-feu ne parvient vraisemblablement pas à enrayer suffisamment, la question de l’adoption de nouvelles mesures, globales ou localisées, va finir par se poser clairement à l’image des arbitrages en cours à Dunkerque. « Notre proposition zéro Covid est aussi faite pour que le gouvernement se positionne clairement sur une stratégie. Le pire, c’est l’impression de ne pas en avoir », conclut Antoine Flahault.

À Dunkerque, « dernière chance » avant le confinement

Le taux d’incidence de Dunkerque, dans le département du Nord, explose. Il s’est envolé à 901 cas pour 100 000 habitants et inquiète les autorités sanitaires. Face à l’aggravation de la situation, le maire Patrice Vergriete a prié, mardi, le gouvernement de donner « une dernière chance » à son agglomération pour freiner l’emballement épidémique sans passer par un confinement. Une « immense campagne de prévention » pour imposer le « zéro rassemblement » a été proposée à l’exécutif, qui devra finalement trancher ce mercredi. Le maire a toutefois ajouté qu’il ne « s’opposerait pas » à une décision de reconfinement.

 

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