Après la mort de deux adolescents en 24 heures
dans des affrontements entre bandes de différentes communes de l’Essonne,
retour sur ce phénomène avec le sociologue Michel Kokoreff qui appelle à mieux
travailler sur la médiation.
MICHEL KOKOREFF Sociologue, professeur à
l’université de Saint-Denis
Après le décès, lundi, à Saint-Chéron,
d’une jeune fille de 14 ans, un autre adolescent a perdu à son tour la vie
dans une rixe, mardi, à Boussy-Saint-Antoine. Ces violences ont donné lieu à un
emballement politico-médiatique. Le ministre de l’Intérieur s’est immédiatement
rendu sur place et s’est saisi de ces drames pour annoncer l’envoi dans le
département d’une centaine de policiers et gendarmes.
Beaucoup d’acteurs évoquent une aggravation du phénomène des bandes. Qu’en
pensez-vous ?
MICHEL KOKOREFF : Des drames comme ceux de ces
derniers jours sont dramatiques pour les familles et les proches. Mais il est
obscène d’instrumentaliser la mort de jeunes à des fins politiques,
sécuritaires ou syndicales, sans s’atteler aux problèmes de fond. Il y a ce
discours de dramatisation qui dit que les jeunes sont de plus en plus violents,
de plus en plus tôt. Les rixes entre bandes ont toujours existé, au moins
depuis les Apaches à la fin du XIXe siècle. De plus, on n’a pas de
thermomètre fiable pour évaluer le phénomène, d’outils pour déterminer le
nombre de bandes, de rixes, leur augmentation ou l’inverse. Les bandes sont,
par définition, un phénomène dynamique, dont les membres ne cessent de se
grouper ou de se dégrouper. Elles sont des groupes informels, qui se réunissent
sur une base de sociabilité. Ce ne sont ni des mafias ni des organisations
criminelles et leurs membres ne sont pas forcément des délinquants.
Il n’y a pas de liens avec le trafic de drogue ?
MICHEL KOKOREFF : Si on reprend les termes utilisés
dans les quartiers populaires, ceux qui s’occupent du trafic s’appellent des
équipes ou des réseaux. Elles ont mieux à faire que s’entretuer pour un regard
de travers ou des histoires de filles, ou des contentieux immémoriaux. Il peut
y avoir une porosité. Les équipes peuvent recruter dans les bandes. Mais entrer
dans le business, c’est comme un job. C’est obtenir une activité avec une
rémunération et éventuellement une promesse de promotion. Ce n’est pas la même
logique que celle d’une bande.
Comment expliquer ce phénomène de bandes ?
MICHEL KOKOREFF : Elles se forment dans les angles
morts du groupe familial, qui a du mal à gérer ces adolescents, et de l’école,
qui est à la fois un impératif pour la réussite et une barrière pour les
classes populaires. La bande est un univers séduisant et valorisant qui s’offre
aux jeunes garçons que la famille et l’école ne parviennent pas à socialiser.
Ils peuvent y exprimer leur sens de la virilité, de la solidarité groupale. La
culture du virilisme, support identitaire des hommes des milieux populaires
depuis longtemps, y joue un rôle très fort. Le problème sous-jacent de ces
jeunes marginalisés, c’est qu’ils sont en décrochage scolaire. Or, sur ce
plan, rien n’est fait. L’optique répressive ne prend pas en compte cette
dimension sociale. ant que l’on persiste à y voir une « excuse sociologique »,
on ne peut pas avancer. À la place, on nourrit les pages faits divers et on
joue sur la peur.
Comment expliquer les logiques territoriales à l’œuvre ?
MICHEL KOKOREFF : C’est un vieux truc de village. On
se définit en s’opposant. Le groupe construit son identité dans l’altérité, par
rapport à ceux d’en face. La bande définit un territoire et une identité. Elle
assure une reconnaissance, fait peur autant qu’elle protège. On en parle dans
les journaux, sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont un effet
démultiplicateur et même incitateur, mais ils n’en sont pas la cause. Ils
accélèrent la diffusion. Ils font l’événement et entretiennent la compétition.
On va y montrer ses « exploits ». Paradoxalement, on est dans une société où
chacun a droit à un quart d’heure de visibilité. Les réseaux sociaux offrent
cette visibilité à ceux qui n’en ont pas, même si c’est sous la forme d’images
de violence.
Comment faudrait-il aborder ce problème ?
MICHEL
KOKOREFF : L’enjeu est d’identifier quelles
sont les médiations possibles, faire de la prévention. Qui peut intervenir pour
faire baisser la tension, trouver des gestes de désescalade ? La police ne peut
pas jouer ce rôle. Ce sont parfois des pairs qui parviennent à casser la
logique de représailles. Il y a les éducateurs aussi. Quelquefois, cela peut
venir des anciens, quitte à être eux-mêmes des délinquants ou anciens
délinquants, qui parviennent à produire les gestes d’apaisement et à mettre en
place des logiques de désescalade.
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