Tout dans la crise accuse le capitalisme.
Utopie. Alors que nous
sommes quelquefois trop passifs et/ou remplis de crainte, il arrive que des
penchants obscurs nous livrent à des ennemis contre notre gré. «La
seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même», disait
Franklin Roosevelt, au cœur d’une guerre mondiale infiniment sanguinaire.
L’humain est l’être des lointains qui se projette à rebours, tantôt dans le
passé, par la mémoire, tantôt dans l’avenir, par le dessein. Aucun horizon sans
traces d’histoire et épaisseur du temps. Notre capacité à nous décentrer, à
nous abstraire du présent, permet, par la rêverie, l’espérance ou l’utopie, de
supporter l’époque quand celle-ci devient catastrophique. À chaque crise
majeure, un monde de certitudes s’effondre, dévoilant l’envers du décor et les
failles de nos sociétés, et, avec elles, nous découvrons soit notre naïveté,
notre cécité et notre cupidité, soit notre capacité à la déconstruction et à
mener des combats. Comme le notait Régis Debray dans Du bon usage des
catastrophes, «la» catastrophe est à ce titre un révélateur impitoyable.
Mais elle a surtout valeur de pédagogie : «Elle nous enjoint de tirer
des leçons qui s’imposent et de rectifier le tir à chaque fois que se découvre
une négligence ou une faute de notre part.» Souvenons-nous, c’était il
y a un peu moins d’un an. Tout occupés que nous étions alors collectivement à
franchir tant bien que mal la période du premier confinement, les bonnes âmes,
oublieuses de leurs pratiques libérales en capitalisme appliqué,
évoquaient «l’après» avec des mots quasiment révolutionnaires,
affirmant que «plus rien» ne serait «comme avant» et
que la gestion des «catastrophes» en cours modifierait dans le
temps long tous les paradigmes en vigueur. Qui y croyait vraiment que «tout»
allait changer, que nous reviendrions «aux fondamentaux» (lesquels ?), que
nous redéfinirions en termes de souveraineté «l’indépendance
industrielle de la nation» (la bonne blague), que Mac Macron était
sincère avec son «quoi qu’il en coûte» et qu’il requalifierait
son supposé «progressisme» à l’aune de l’humanité ?
Mutations. Le bloc-noteur,
néanmoins, ne doute pas de l’importance historique du «moment» que
nous traversons. Les conséquences et les mutations induites par la crise et les
crises modifient nos fondations en tant que bouleversements : notre intimité,
notre rapport aux autres, nos façons de travailler, et jusqu’à la géopolitique
– l’accès aux vaccins étant devenu le nouvel étalon de la puissance. À
quoi ressemblera le monde ? Et la France, qu’il conviendra de reconstruire de
fond en comble ? Tandis que nous annonçons l’effondrement-Covid du PIB, et
qu’il faudra une génération au moins pour s’en remettre, beaucoup oublient
encore d’expliquer que, en capitalisme, ledit effondrement vaut effondrement de
l’emploi et que ce désastre va s’abattre sur une société rongée de précarité,
d’angoisse matérielle et de doutes quasi anthropologiques.
Déclin. Quoi que nous en
pensions, sachant que la tâche s’avère rude à tout dirigeant, la gestion
globale de la crise épidémique et économique continue de révéler de si lourdes
failles et faiblesses que notre nation n’en finit plus de tomber de son
piédestal. Voilà la vérité morte de notre «présent» : le déclin français, sur
tous les plans. La lucidité, comme forme supérieure de la critique, a
semble-t-il gagné l’esprit de nos concitoyens, qui ont découvert peu à peu
l’extrême vulnérabilité de notre système de fonctionnement collectif, dépourvu
de toute anticipation stratégique. La France est bel et bien atteinte d’une
blessure narcissique profonde, durable, mortifère. «L’après» restera devant
nous, loin, très loin, si nous n’admettons pas collectivement que tout dans la
crise accuse le capitalisme, le néolibéralisme et toutes les politiques
conduites depuis des décennies.
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