vendredi 12 février 2021

« Lepénisation », l’éditorial de Christophe Deroubaix dans l’Humanité.



Le débat politique en France semble bien se porter. Jeudi soir, une émission phare du service public a organisé une confrontation entre deux élus de premier rang. Si on voulait ratiociner, on soulignerait qu’il ne s’agissait que d’une sorte de débat interne entre la droite extrême et l’extrême droite. À l’heure où ces lignes étaient écrites, la joute n’avait pas encore eu lieu mais il ne fallait pas être grand clerc pour en deviner le contenu. « Non, c’est moi, consultez les archives, jugez par l’antériorité », a attaqué la présidente du RN. « Mais, pas du tout, c’est moi, regardez ma loi », aura rétorqué le ministre de l’Intérieur. France 2 avait cadré cette « émission exceptionnelle » autour d’un fallacieux triptyque (laïcité, sécurité, immigration), offrant à la cheffe de l’extrême droite un match sur son propre terrain face à un ministre qui met toute son énergie à convaincre que lui ne se contente pas d’utiliser les mêmes mots (« ensauvagement », « séparatisme »), mais qu’il les met en actes.

« Lepénisation des élites » : la formule du sociologue Ugo Palheta, cette semaine dans nos colonnes, prend tout son sens. Elle est accélérée – facilitée ? – par le choix tactique de la Macronie : Marine Le Pen au second tour, c’est l’assurance tous risques pour leur champion. La récente batterie de sondages – pour ce qu’ils valent à telle distance de l’échéance – dit néanmoins l’enracinement des idées d’extrême droite dans la société française, à moins que ce ne soit – aussi – l’immense lassitude d’électeurs qui se sentent éternellement pris au piège d’une alternance aux nuances de plus en plus indistinctes.

Le pari macroniste relève d’une immense bulle spéculative. On n’insistera pas plus sur le risque d’explosion de cette « triangulation », l’aspiration des idées de l’adversaire afin de le priver de sa sève. Bill Clinton en a été le maître, avec le soutien du sénateur Joe Biden. Ce dernier a sans doute compris une chose de son long et consensuel parcours : on ne combat pas l’extrême droite en empruntant ses idées et armes.

 

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