Ce jeudi est le point d’orgue des mobilisations
lancées depuis mi-janvier à l’appel de la CGT, la FSU,
Solidaires, l’Unef et d’organisations de jeunesse. Philippe Martinez,
secrétaire général de la CGT, défend ce « printemps social » des revendications.
L’heure du « printemps social ». C’est
en ces termes que Philippe Martinez a présenté cette journée nationale
interprofessionnelle de mobilisations et de grèves. Ce jeudi, des
manifestations sont prévues partout dans le pays. « La réponse aux besoins de
toute la population, l’avenir de la jeunesse (...) imposent la création de
millions d’emplois. Cela passe aussi par le partage et la réduction du temps de
travail », affirment les organisateurs (CGT, FSU, Solidaires, Unef, Fidl, MNL,
UNL) dans un communiqué commun.
Quel sens donnez-vous à cette journée de mobilisation sociale ?
PHILIPPE MARTINEZ : C’est la fin d’un premier cycle de
mobilisations, ponctué de journées d’action comme dans la santé, l’éducation
nationale ou l’énergie. Ce jeudi, nous affirmons, aux niveaux national et
interprofessionnel, qu’il est impossible de mettre de côté les luttes actuelles
pour l’emploi et l’amélioration des conditions de travail au nom d’une
pseudo-unité nationale contre le Covid-19. Bruno Le Maire nous dit que ce n’est
pas le moment de faire un printemps social. Au contraire. On entend souvent que
le pire est à venir, mais les licenciements, l’explosion de la pauvreté, la
question des salaires, c’est maintenant, pas demain !
L’emploi est-il la mère des batailles ?
PHILIPPE MARTINEZ : C’est une porte d’entrée. La
question de l’emploi touche à celle des salaires, des conditions de travail,
mais aussi de la Sécurité sociale, donc des cotisations sociales. C’est le sens
de la campagne « 10% », menée par la CGT des secteurs publics : 10% d’emploi en
plus, 10 % d’augmentation des salaires et 10 % de réduction du temps de
travail. D’ailleurs, quand on interroge le gouvernement sur la revalorisation
des première et deuxième lignes, il ne sait pas quoi répondre. Sa seule
décision, c’est l’augmentation du Smic de 0,99 % pour 2021.
Comment décririez-vous la situation économique et sociale ?
PHILIPPE MARTINEZ : On connaît les très nombreux plans
de licenciement dans les grandes entreprises, de Sanofi à Renault, ADP, Airbus…
Mais il est compliqué de totaliser tous les emplois supprimés ailleurs. Les
milliers de ruptures conventionnelles sont souvent des licenciements déguisés,
sans oublier les 700 000 fins de CDD ou de contrats d’intérim en 2020.
Les mesures de restriction sanitaire prises dans d’autres pays ont provoqué
des manifestations parfois violentes. Une telle colère pourrait-elle s’exprimer
en France ?
PHILIPPE MARTINEZ : Remarquons d’abord que les
« Gaulois réfractaires » sont très conscients du contexte sanitaire. La colère
survient quand les gens constatent qu’on ne les entend pas. D’autant plus
quand les décisions prises sont incompréhensibles. Pourquoi fermer les lieux de
culture alors qu’on s’entasse dans des supermarchés ? Pourquoi ne pas aménager
des halls d’exposition, titulariser les trop nombreux professeurs vacataires et
embaucher des étudiants pour aider les universités à faire cours ? Pourquoi les
géants du tourisme, Accor, Club Med et autres, perçoivent-ils autant d’argent
public quand pas un centime n’est alloué au tourisme social ? Sur tous ces sujets,
on fait face à un mur idéologique.
Quelles mesures prendre ?
PHILIPPE MARTINEZ : On annonce 30 milliards
d’euros pour l’emploi dans le plan de relance. Mais ce sont d’abord les
entreprises qui les toucheront. Et le chômage partiel ne leur coûte rien. Nous
avons des propositions fortes et immédiates : le paiement du chômage partiel à
100 % pour les salariés, mais aussi la conditionnalité des aides aux
entreprises. Réformons l’assurance-chômage en y intégrant tous les privés
d’emploi et tous les jeunes qui sortent de leurs études sans travail. Nous
avons aussi proposé que, à l’occasion du couvre-feu, soit testée la réduction
du temps de travail. Permettre, plutôt que se masser dans les magasins, aux
salariés de partir une heure plus tôt ou de disposer d’une demi-journée par
semaine.
Comment jugez-vous la gestion des crises au sein même des entreprises ?
PHILIPPE MARTINEZ : D’abord, rappelons que l’accord
sur le télétravail n’en est pas un. Il s’agit juste de préconisations adressées
aux employeurs et contraignantes pour les salariés. Cette crise est gérée à
coups d’annonces faites à la va-vite, du jour pour le lendemain. Derrière,
c’est « débrouillez-vous ». Plus globalement, on ne peut pas se contenter d’une
vision à la semaine ou à la quinzaine, avec des déclarations contradictoires
entre ministres.
N’êtes-vous pas consulté ?
PHILIPPE MARTINEZ. : On a des réunions. On parle. Ils
parlent. Et ils font ce qu’ils veulent.
Comme pour les masques l’an passé, la stratégie vaccinale française est un
échec. Comment l’analysez-vous ?
PHILIPPE MARTINEZ : Les États-Unis ont leur vaccin,
les Chinois, les Russes, les Allemands, les Anglais, les Indiens, les Cubains
aussi… Sanofi est l’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques au monde,
et la France n’a pas de vaccin. Malgré tous les discours, l’État a accepté des
successions de restructurations, tout en versant des centaines de millions
d’euros en crédit d’impôt recherche, en Cice, en exonérations. On a sacrifié la
recherche, notamment fondamentale.
Les brevets des vaccins contre le Covid devraient-ils être publics ?
PHILIPPE MARTINEZ : S’il s’agit d’une cause mondiale,
il ne peut pas être question de propriété privée, d’autant plus que ces vaccins
ont été développés à l’aide de fonds publics.
Des aides qui doivent être conditionnées…
PHILIPPE MARTINEZ : Il est impensable de continuer à
donner de l’argent public à des patrons qui licencient. On met à mal l’avenir
de l’industrie. Chez Sanofi, PSA, Airbus, Renault, on vire les chercheurs, les
ingénieurs. Comment va-t-on relocaliser la production ou en développer de
nouvelles ? À Grandpuits, Total dit préparer l’avenir… en licenciant. Idem à
Chapelle-Darblay ou à Luxfer, où des activités indispensables sont liquidées.
On marche à l’envers. Ça fait, par exemple, dix ans qu’on se bat pour une
filière d’imagerie médicale autour de Thales. Rien ne bouge. Le gouvernement
veut relancer l’industrie ferroviaire et les trains de nuit ? On a tout pour :
la SNCF, Alstom-Bombardier. Mais derrière les annonces, on ne voit rien venir.
Dans ce contexte, comment les syndicats peuvent-ils influer ?
PHILIPPE MARTINEZ : Ce n’est pas facile. Le
syndicalisme, c’est l’opposé du confinement et du couvre-feu. Notre démarche
est d’aller vers les gens. Et puis, il y a les lois sur la « sécurité globale »
ou sur le « séparatisme » qui remettent en cause nos libertés individuelles et
collectives. Faudra-t-il dissoudre la CGT car une de nos militantes porte le
voile ? Plus ils parlent de démocratie, moins il y en a.
Les syndicats affichent pourtant un front uni sur des sujets aussi
importants que les réformes de l’assurance-chômage ou des retraites…
PHILIPPE
MARTINEZ : C’est une bonne chose. Même si on
n’est pas d’accord sur tout, on est capables, comme pour l’assurance- chômage,
de dégager des pistes qui nous rassemblent. Idem sur le projet Hercule et la
casse d’EDF. Mais nous faisons face à des postures dogmatiques. Ce gouvernement
n’a tiré aucune leçon de l’année passée.
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