Une ordonnance rédigée par le ministère de la Justice pourrait porter atteinte au financement des AGS, régime de garantie des salaires, pourtant vital en période de crise économique.
Le sujet est technique mais pourrait avoir
des répercussions sur la vie de dizaines de milliers de salariés. Depuis
plusieurs mois, le ministère de la Justice planche sur une ordonnance réformant
l’ordre des créanciers lors des procédures collectives. Derrière cette formule
barbare se cache une réalité très simple. Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise se
retrouve placée en liquidation judiciaire (ce que l’on appelle une procédure
collective), le mandataire judiciaire, nommé par le tribunal de commerce, va
commencer par payer les salaires. Lorsque l’argent fait défaut dans les caisses
de l’entreprise, il verse ces salaires à partir d’une avance faite par le
régime de garantie des salaires (AGS). Ensuite, il va vendre les actifs de
l’entreprise (machines, murs du magasin, véhicules automobiles,
stock, etc.), ce qui va lui permettre de payer les créanciers, selon un
ordre fixé par la loi. Actuellement, l’AGS bénéficie d’un « super-privilège »,
c’est-à-dire qu’il est très bien positionné sur la liste : il peut ainsi se
rembourser des sommes avancées précédemment. C’est précisément ce qui est en
jeu aujourd’hui.
« Ce texte va déstabiliser le régime de garantie des salaires »
Le texte de l’ordonnance gouvernemental,
extrêmement technique, donne lieu à une furieuse bataille d’interprétations
depuis plusieurs semaines. Les opposants, qui réunissent pour une fois dans le
même camp syndicats de salariés et patronat, accusent le gouvernement de
vouloir assécher les finances de l’AGS, en le rétrogradant dans l’ordre des
créanciers. Fondé en 1974, sur fond de crise économique, le régime de garantie
des salaires risque bien sûr de jouer un rôle majeur dans les mois qui
viennent, si une vague de faillites s’abat sur le pays : en plus du versement
des salaires, il avance également les indemnités de licenciement lorsque les
finances de l’entreprise ne le permettent pas. Aujourd’hui, l’AGS bénéficie de
deux sources de financements : une fraction des cotisations patronales, et les
sommes recouvrées par les mandataires judiciaires lors des liquidations, s’il
reste suffisamment de fonds.
« Si l’AGS touche moins d’argent lors des
liquidations, alors cela diminuera mécaniquement le niveau de ses fonds de
roulement, assure Michel Beaugas, secrétaire
confédéral de FO. Aujourd’hui, les salariés victimes de liquidation
judiciaire doivent souvent attendre jusqu’à deux mois pour percevoir les
sommes auxquelles ils ont droit (salaires, indemnités de licenciement, congés
payés). Le risque est que, demain, l’AGS mette encore plus de temps pour payer
les salariés. » Si jamais la réforme portait atteinte aux finances de
l’AGS, il y aurait bien sûr une façon très simple de compenser le manque à
gagner, en augmentant le montant des cotisations patronales… « Ce type
de solution est très peu du goût du Medef », ironise Michel Beaugas.
« C’est même le contraire qui se produit
systématiquement, abonde Denis Gravouil, de la
CGT. Lors des négociations concernant la réforme de
l’assurance-chômage, en 2017, le patronat disait vouloir faire un effort, en
augmentant de 0,5 % le montant des cotisations chômage. En réalité, dans
le même temps, il décidait de diminuer d’autant le montant de la cotisation
AGS ! Autant dire que, pour eux, il est toujours hors de question d’augmenter
leur contribution. »
Du côté de la CFDT, on est aussi vent
debout contre le projet de réforme. « Alors qu’une augmentation des
faillites d’entreprises est à craindre, ce texte va déstabiliser le régime de
garantie des salaires, voyant ses possibilités de récupération des sommes
avancées fortement réduites, écrit le syndicat. Au final, ce
sont les salariés qui en subiront les conséquences, avec une dégradation de la
prise en charge des salaires et de leurs indemnités. »
Pour les opposants à la réforme, il n’est pas question
pour autant de parer l’AGS de toutes les vertus : personne ne remet en cause
l’importance capitale de son rôle dans les faillites d’entreprises, à plus
forte raison dans la situation actuelle, mais beaucoup critiquent sa
gestion. « Cela fait des années que nous demandons que cet
organisme devienne véritablement paritaire, pour que les syndicats aient voix
au chapitre, confie Denis Gravouil. Aujourd’hui, ce sont
uniquement les organisations patronales qui y siègent. »
Des dépôts de bilan en hausse
À
l’automne, le nombre de dépôts de bilan a chuté de 40 % par rapport à la
même période l’an passé, grâce aux aides publiques et à la (relative)
mansuétude de l’Urssaf vis-à-vis des entreprises. Mais de nombreux instituts
craignent une hausse des faillites, en France et dans le monde, lorsque les
mesures de soutien à l’économie auront pris fin. Selon Euler Hermes, le nombre
de dépôts de bilan dans le monde pourrait grimper de 16 % cette année.
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