mardi 23 février 2021

Faillites. Menace sur les droits des salariés licenciés

 


Une ordonnance rédigée par le ministère de la Justice pourrait porter atteinte au financement des AGS, régime de garantie des salaires, pourtant vital en période de crise économique.

Le sujet est technique mais pourrait avoir des répercussions sur la vie de dizaines de milliers de salariés. Depuis plusieurs mois, le ministère de la Justice planche sur une ordonnance réformant l’ordre des créanciers lors des procédures collectives. Derrière cette formule barbare se cache une réalité très simple. Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise se retrouve placée en liquidation judiciaire (ce que l’on appelle une procédure collective), le mandataire judiciaire, nommé par le tribunal de commerce, va commencer par payer les salaires. Lorsque l’argent fait défaut dans les caisses de l’entreprise, il verse ces salaires à partir d’une avance faite par le régime de garantie des salaires (AGS). Ensuite, il va vendre les actifs de l’entreprise (machines, murs du magasin, véhicules automobiles, stock, etc.), ce qui va lui permettre de payer les créanciers, selon un ordre fixé par la loi. Actuellement, l’AGS bénéficie d’un « super-­privilège », c’est-à-dire qu’il est très bien positionné sur la liste : il peut ainsi se rembourser des sommes avancées précédemment. C’est précisément ce qui est en jeu aujourd’hui.

« Ce texte va déstabiliser le régime de garantie des salaires »

Le texte de l’ordonnance gouvernemental, extrêmement technique, donne lieu à une furieuse bataille d’interprétations depuis plusieurs semaines. Les opposants, qui réunissent pour une fois dans le même camp syndicats de salariés et patronat, accusent le gouvernement de vouloir assécher les finances de l’AGS, en le rétrogradant dans l’ordre des créanciers. Fondé en 1974, sur fond de crise économique, le régime de garantie des salaires risque bien sûr de jouer un rôle majeur dans les mois qui viennent, si une vague de faillites s’abat sur le pays : en plus du versement des salaires, il avance également les indemnités de licenciement lorsque les finances de l’entreprise ne le permettent pas. Aujourd’hui, l’AGS bénéficie de deux sources de financements : une fraction des cotisations patronales, et les sommes recouvrées par les mandataires judiciaires lors des liquidations, s’il reste suffisamment de fonds.

« Si l’AGS touche moins d’argent lors des liquidations, alors cela diminuera mécaniquement le niveau de ses fonds de roulement, assure Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO. Aujourd’hui, les salariés victimes de liquidation judiciaire doivent souvent attendre jusqu’à deux mois pour percevoir les sommes auxquelles ils ont droit (salaires, indemnités de licenciement, congés payés). Le risque est que, demain, l’AGS mette encore plus de temps pour payer les salariés. » Si jamais la réforme portait atteinte aux finances de l’AGS, il y aurait bien sûr une façon très simple de compenser le manque à gagner, en augmentant le montant des cotisations patronales… « Ce type de solution est très peu du goût du Medef », ironise Michel Beaugas.

« C’est même le contraire qui se produit systématiquement, abonde Denis Gravouil, de la CGT. Lors des négociations concernant la réforme de l’assurance-chômage, en 2017, le patronat disait vouloir faire un effort, en augmentant de 0,5 % le montant des cotisations chômage. En réalité, dans le même temps, il décidait de diminuer d’autant le montant de la cotisation AGS ! Autant dire que, pour eux, il est toujours hors de question d’augmenter leur contribution. »

Du côté de la CFDT, on est aussi vent debout contre le projet de réforme. « Alors qu’une augmentation des faillites d’entreprises est à craindre, ce texte va déstabiliser le régime de garantie des salaires, voyant ses possibilités de récupération des sommes avancées fortement réduites, écrit le syndicat. Au final, ce sont les salariés qui en subiront les conséquences, avec une dégradation de la prise en charge des salaires et de leurs indemnités. »

Pour les opposants à la réforme, il n’est pas question pour autant de parer l’AGS de toutes les vertus : personne ne remet en cause l’importance capitale de son rôle dans les faillites d’entreprises, à plus forte raison dans la situation actuelle, mais beaucoup critiquent sa gestion. «  Cela fait des années que nous demandons que cet organisme devienne véritablement paritaire, pour que les syndicats aient voix au chapitre, confie Denis Gravouil. Aujourd’hui, ce sont uniquement les organisations patronales qui y siègent. » 

Des dépôts de bilan en hausse

À l’automne, le nombre de dépôts de bilan a chuté de 40 % par rapport à la même période l’an passé, grâce aux aides publiques et à la (relative) mansuétude de l’Urssaf vis-à-vis des entreprises. Mais de nombreux instituts craignent une hausse des faillites, en France et dans le monde, lorsque les mesures de soutien à l’économie auront pris fin. Selon Euler Hermes, le nombre de dépôts de bilan dans le monde pourrait grimper de 16 % cette année.

 

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