Son nom résonnera longtemps comme un élan
national, inachevé certes, mais qui a bouleversé le cours de l’histoire.
Mohamed Bouazizi était un marchand ambulant, un va-nu-pieds de la ville
miséreuse de Sidi Bouzid. Au pays de Ben Ali, où les libertés bafouées tutoient
l’indigence, cet homme de 26 ans subvenait aux besoins de sa famille, à
coups de sacrifices, de privations. Alors, lorsque la police lui a confisqué
son gagne-pain, sa rage contenue a explosé. Il s’est immolé par le feu le
17 décembre 2010. Un geste extrême, comme l’était sa condition. Son
suicide embrase la Tunisie.
Jeunes, femmes, vieillards n’ont plus
peur ; ils montrent le poing. « Dégage », intiment-ils au
dictateur reclus dans son palais. La foule a soif de justice sociale ; elle ne
veut pas seulement vivre, mais exister et s’exprimer librement. Les tirs à
balles réelles n’auront pas raison de cette lame de fond qui ose crier ses
rêves confisqués. La complaisance de la France à l’égard du despote frise alors
l’ignominie, lorsque la ministre des Affaires étrangères de l’époque propose à
Tunis son savoir-faire sécuritaire pour briser le soulèvement. Encore
aujourd’hui, personne ne doit oublier la complicité des autorités françaises
qui ont caressé leur ami tunisien, au point de fermer les yeux sur ses crimes
sanguinaires en échange de juteux marchés et de voyages tout frais payés au
pays de l’enfant au jasmin.
Mohamed Bouazizi n’avait certainement pas
conscience que son acte désespéré allait entraîner la chute de
l’indéboulonnable Ben Ali, le 14 janvier. Une onde de choc qui gagnera,
par la suite, le Maghreb et le Moyen-Orient. Ces printemps arabes de 2011
seront vite dévoyés par les contre-révolutions des anciens régimes, le djihadisme,
les puissances régionales et atlantistes, soucieuses de préserver leur
influence dans la région. Mais peut-on croire que ces jours extraordinaires,
qui ont ébranlé des despotismes que l’on croyait intouchables, n’étaient qu’une
réaction épidermique, vite relégable à un passé révolu ? Les ferments de la
colère demeurent en cette partie du monde, et ailleurs.
Les dérives liberticides et répressives, pour ne pas
dire autocratiques, en Europe comme réponses invariables aux contestations
sociales sont, elles aussi, condamnables. On ne peut indéfiniment mépriser,
étouffer les souffrances et leur expression publique. Elles nous rappellent
cette pensée de Bertolt Brecht, qui devrait être méditée avec minutie sous les
ors de la République française : « On dit d’un fleuve emportant tout
qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui
l’enserrent. »

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