Le premier ministre Jean Castex doit détailler, ce
jeudi, en fin de journée, les contours du dispositif envisagé pour notre pays.
De premiers éléments se dessinent, mais à un mois théorique du démarrage des
injections, les modalités de déploiement des sérums restent floues.
Après des cafouillages sur les masques et
les tests, l’exécutif, réuni mercredi lors d’un conseil de défense sanitaire,
ne veut pas rater le tournant des vaccins. D’autant que le Royaume-Uni est
devenu, mercredi, le premier pays à approuver l’utilisation massive du vaccin
de Pfizer/BioNTech, qui y sera déployé dès la semaine prochaine (lire
page 6). Si le calendrier de la campagne a gagné en lisibilité, de
nombreuses questions demeurent, notamment sur la mise en place logistique de la
vaccination. Décryptage.
1/ Quand pourra-t-on se faire vacciner ?
Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a
annoncé le début de la campagne de vaccination contre le Covid-19 entre « fin
décembre et début janvier ». Les personnes âgées en Ehpad devraient être
prioritaires, avant un élargissement pour le grand public entre « entre
avril et juin ». Voilà ce qu’on sait du calendrier, pour l’instant. Lors
d’un entretien accordé au Journal du dimanche (JDD), le
28 novembre, Stella Kyriakides, la commissaire européenne à la Santé, a
assuré que « les Européens auront tous accès aux vaccins en même temps ». Les
doses seront réparties dans chaque pays de l’Union en fonction de leur
population. La Commission européenne, qui négocie l’achat des vaccins pour
l’Union, a déjà signé six contrats, dont trois avec les laboratoires les plus
avancés dans la course à la mise sur le marché : le duo américano-germanique
Pfizer-BioNTech (jusqu’à 300 millions de doses), l’américain Moderna
(jusqu’à 160 millions de doses) et le suédo-britannique
AstraZeneca/Université d’Oxford (jusqu’à 400 millions de doses). En
France, Jean Castex a précisé qu’avait été « précommandé de quoi
vacciner 100 millions de personnes ». Sans préciser quels laboratoires
étaient concernés. Pfizer a déposé, lundi 30 novembre, une demande
d’autorisation conditionnelle auprès de l’Agence européenne du médicament, qui,
avec la Commission européenne, doit donner son feu vert à la commercialisation.
La firme espère ainsi pouvoir commencer sa distribution d’ici à la fin du mois.
Un accord ou non à la commercialisation est attendu pour le 29 décembre « au
plus tard ». Une date qui renverrait le départ de la campagne au début du
mois de janvier.
2/ Aura-t-on le choix entre ces trois sérums ?
Personne ne peut répondre à cette question
pour le moment. Les trois principaux sérums, qui pourraient être bientôt commercialisés,
reposent sur des techniques innovantes. « Ce qui est visé, c’est la
protéine S du virus, par laquelle il s’accroche aux cellules pulmonaires »,
explique Bruno Pitard, chercheur au CNRS et au centre d’immunologie de
Nantes-Angers. L’idée est de faire produire au patient des anticorps contre
cette protéine. Pour cela, le corps a besoin d’un coup de pouce. « L’aide
peut venir soit d’un virus, qu’on sélectionne justement pour son côté
“transporteur”, et qui introduit de l’ADN dans la cellule pour lui faire
fabriquer la protéine S », détaille-t-il. C’est la technique d’AstraZeneca.
Ou bien, dans le cas de l’ARN messager (acide ribonucléique), les transporteurs
sont « de petits assemblages lipidiques qui vont faire pénétrer l’ARN
dans la cellule pour lui ordonner de produire la protéine S », achève le
chercheur. C’est la technique de Pfizer et de Moderna. Inédite, elle n’avait
encore jamais été testée sur l’être humain.
3/ Qui vacciner en priorité ?
Le 30 novembre, la Haute Autorité de
santé (HAS) a présenté des recommandations préliminaires qui dessinent la
campagne vaccinale en cinq phases par ordre de priorité. Les résidents en Ehpad
et le personnel de ces établissements présentant des comorbidités devraient
être les premiers à se faire vacciner. Dans les trois autres phases, l’ensemble
des professionnels de santé et des publics vulnérables. La cinquième phase
concernerait les personnes de plus de 18 ans. Ces recommandations
pourraient changer en fonction des connaissances qui restent à acquérir. Les vaccins
qui pourraient bloquer la transmission du virus « seraient plus adaptés
aux professionnels de santé », tandis que d’autres pourraient être « plus
efficaces sur les personnes âgées », estime la HAS.
4/ Un véritable défi logistique
Déployer les vaccins implique de les
transporter et de les stocker. Le sérum de Pfizer doit être conservé entre -80
et -70 degrés dans des supercongélateurs, pour l’instant très rares. « En
ce qui concerne ce vaccin, quelque 3 millions de doses devraient arriver
dans les trois prochains mois, a indiqué la Fédération hospitalière de
France (FHF), mardi 1er décembre. Aujourd’hui, les établissements
de santé ne sont pas équipés pour stocker 3 millions de doses dans leur
pharmacie à usage interne (PUI) . » L’endroit où les doses pourraient
être conservées doit être tranché, mais un stockage au niveau départemental
serait envisagé. Le ministère de la Santé aurait déjà commandé 50
supercongélateurs. Un stockage par département nécessiterait le double. La
question logistique, qui doit donc être éclaircie, se pose aussi pour le vaccin
de Moderna, dont la conservation s’effectue à très basse température, mais
qui peut rester stable trente jours, entre 2 et 8 degrés. Plus classique, le
sérum d’AstraZeneca a l’avantage de pouvoir être conservé entre 2 et 8 degrés
pendant six mois.
5/ Où auront lieu les injections ?
La FHF propose de coordonner les premières
phases de la vaccination au niveau local, avec la mise en place « d’équipes
mobiles de vaccination qui pourraient être assurées par les groupements
hospitaliers de territoire, mais également en contractualisant ou en
réquisitionnant la médecine de ville pour aller vacciner dans les Ehpad ».
Cette médecine pourrait également être actrice de la campagne pour le grand public. « Il
faut que les médecins généralistes s’impliquent à tous les stades de la
vaccination, du conseil à la réalisation », plaide Jacques Battistoni,
président du syndicat MG France. Les pharmaciens sont aussi volontaires pour
aider à « établir la confiance », assurer « la
pharmacovigilance » et éventuellement « assurer les rappels »,
explique le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France,
Philippe Besset. La vaccination prendrait en effet la forme d’une première
piqûre, suivie d’un rappel vingt-six jours après.
6/ Une campagne menacée par la défiance
L’efficacité de la campagne de vaccination
dépendra aussi de son succès. Un retour à une vie normale pourrait s’effectuer
à condition que « 80 à 90 % » de la population soient
vaccinés, a estimé la semaine dernière l’épidémiologiste Arnaud Fontanet.
Sachant que le vaccin ne sera pas obligatoire. Mais, selon un récent sondage
Ifop pour le JDD, seulement 41 % des Français prévoient
de se faire vacciner. Le gouvernement devra redoubler de pédagogie et faire
preuve de transparence. Après la pénurie de masques et de tests, il n’a plus
droit à l’erreur. « Nous devrons avoir un rôle de sensibilisation
également au sein de nos propres troupes », souligne Daniel Guillerm,
président de la Fédération nationale des infirmiers, qui indique que, si le
taux de vaccination pour la grippe est d’environ 60 % pour les libéraux,
il descend en dessous de 50 % dans les établissements. Faut-il rendre le
vaccin obligatoire pour les soignants ? Le milieu est divisé entre les
partisans de l’obligation, pour qui doit primer la protection des patients, et
ceux qui estiment qu’elle ne ferait que braquer les professionnels.
7/ L’immunité toujours en question
C’est l’une des grandes interrogations sur les vaccins
et une inconnue majeure qui persiste à leur propos. Combien de temps dure
l’immunité conférée par les différents sérums ? Selon certains connaisseurs,
elle semble durer six mois. Mais impossible, pour le moment, d’obtenir une
réponse définitive, à défaut de connaître en détail les dossiers des trois
candidats les plus avancés, qui n’ont pas encore publié leurs essais cliniques
dans des revues scientifiques. Les autorités sanitaires doivent également
trancher sur la nécessité ou non de vacciner les personnes ayant déjà été
infectées par le virus. Enfin, si on sait que les vaccins protègent des formes
graves, reste à savoir, pour une campagne vraiment efficace, s’ils peuvent
empêcher la contagion.

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