mardi 24 novembre 2020

Larem. Macron tout schuss sur la pente autoritaire.


Cyprien Caddeo

Manifestations violemment réprimées, séparation des pouvoirs piétinée… Depuis 2017, le chef de l’État a franchi plusieurs lignes rouges du cadre démocratique.

En janvier 2018, lors de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron s’alarmait de la pente autoritaire sur laquelle s’étaient engagées, selon lui, certaines démocraties européennes : « à chaque fois c’est la presse qui est la première menacée », analysait alors le président.

Dont acte. En France, la loi de « sécurité globale » doit être mise au vote ce mardi à l’Assemblée nationale, tandis que le schéma de maintien de l’ordre a été durci, provoquant une fronde des journalistes contre un texte qui contraint les couvertures de manifestation. « Comment va-t-on demander à la Pologne et à la Hongrie de respecter l’État de droit alors qu’en France on est en train de tout faire pour le mettre à mal ? » interroge Pablo Aiquel, journaliste syndiqué au SNJ-CGT, comme en écho au discours de 2018.

S’il y a une pente autoritaire, le macronisme la dévale allègrement depuis le début du quinquennat. Se repasser les trois ans et demi de mandat d’Emmanuel Macron, c’est remonter le fil rouge d’un régime intransigeant face aux contestations, sûr de son bon droit démocratique d’avoir seul raison contre tous.

L’opposition a maintes fois alerté sur cette question, dans la rue ou au Parlement. L’Assemblée nationale est symbolique du mode de gestion macroniste : réformée pour réduire les temps de débats, pressée par le recours aux ordonnances, voire à l’article 49-3. L’exécutif considère que sa majorité parlementaire lui est inféodée, bien aidée, il est vrai, par les institutions de la Ve République. Une vision partagée par une partie des députés LaREM, élus en 2017 sans assise locale et donc dépourvus de poids politique à opposer à leur chef. En résultent un piétinement du principe de séparation des pouvoirs et une concentration de toutes les responsabilités entre les mains du seul gouvernement.

La France épinglée par l’ONU

Cette absence de négociations démocratiques se lit aussi dans son rapport au corps social, et notamment aux syndicats. «  Emmanuel Macron a eu dès le départ un projet volontariste de modifier le système social français, avec une “modernisation” à marche forcée vers le néolibéralisme, analyse Luc Rouban, politologue au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po. Il y a une volonté de rupture avec les partis, les corps intermédiaires. » Mais élus et syndicats ne sont pas les seuls à sonner l’alerte. Depuis trois ans et demi, les signalements s’accumulent contre la Macronie, qui fait la sourde oreille. Elle a par exemple été épinglée deux fois par le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU. Le 12 novembre, l’institution basée à Genève a pointé le risque d’ « atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » induit par la loi de « sécurité globale ».

Avant cela, il y avait eu le 6 mars 2019, en plein mouvement des gilets jaunes (qui a fait entre 2 000 et 3 000 blessés dont 82 graves, 152 à la tête, 17 éborgnés et quatre mains arrachées, selon le décompte du journaliste David Dufresne). L’ONU s’inquiétait de l’ « usage violent et excessif de la force » face aux mobilisations, rejoignant des conclusions identiques d’Amnesty International datées de décembre 2018. L’usage du LBD y est notamment pointé du doigt : une arme de guerre déjà critiquée par le Défenseur des droits Jacques Toubon plus tôt dans l’année.

La réponse de la France ne tarde pas, concoctée par les services des ministères de l’Intérieur et de la Justice : les violences sont légitimes car les cibles sont des casseurs. Dès lors, « il ne s’agit plus de manifestants, mais de participants à un attroupement violent et illégal ». En mars 2020, l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, qu’on ne peut taxer de gauchisme, publie un autre rapport, fruit d’observations conduites depuis novembre 2018. Elle y déplore le « règne de l’opacité » et le « déni des autorités » françaises face aux critiques contre l’usage de « violences illégitimes ».

Contenir les revendications sociales

La France d’Emmanuel Macron a-t-elle basculé du mythe de la « start-up nation » ouverte au règne violent de « l’extrême centre », que le philosophe Alain Deneault définit comme « l’intolérance avec ce qui ne cadre pas avec un juste milieu arbitrairement proclamé » ? Luc Rouban y voit davantage la suite logique d’une pensée néolibérale et de la croyance en « l’efficacité au détriment de la démocratie », voire un « pragmatisme managérial » à sens unique, ersatz du « no alternative » théorisé par Margaret Thatcher. Comme l’ex-Dame de fer, le président Macron est en effet un néolibéral convaincu. Or ce courant de pensée se distingue du libéralisme classique par son désir d’un État fort, pour contenir les revendications sociales, mais qui renonce à juguler les dérives du libre marché. L’État bras armé de la « main invisible », en somme. « Je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme », résumait Friedrich Hayek, apôtre du néolibéralisme.

Emmanuel Macron n’en est pas là mais les procès en « autoritarisme » qui se multiplient disent néanmoins quelque chose de l’état d’une partie de l’opinion vis-à-vis de la gouvernance macroniste, du sentiment de défiance croissant à mesure que LaREM s’arc-boute sur sa politique. Et doit inquiéter tout républicain : qui, désormais, croira la Macronie quand elle jouera face au Rassemblement national la carte du chevalier blanc de la démocratie ?

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire