Manifestations violemment réprimées, séparation des
pouvoirs piétinée… Depuis 2017, le chef de l’État a franchi plusieurs lignes
rouges du cadre démocratique.
En janvier 2018, lors de ses vœux à la
presse, Emmanuel Macron s’alarmait de la pente autoritaire sur laquelle
s’étaient engagées, selon lui, certaines démocraties européennes : « à
chaque fois c’est la presse qui est la première menacée », analysait
alors le président.
Dont acte. En France, la loi de « sécurité
globale » doit être mise au vote ce mardi à l’Assemblée nationale, tandis que
le schéma de maintien de l’ordre a été durci, provoquant une fronde des
journalistes contre un texte qui contraint les couvertures de
manifestation. « Comment va-t-on demander à la Pologne et à la Hongrie
de respecter l’État de droit alors qu’en France on est en train de tout faire
pour le mettre à mal ? » interroge Pablo Aiquel, journaliste syndiqué
au SNJ-CGT, comme en écho au discours de 2018.
S’il y a une pente autoritaire, le
macronisme la dévale allègrement depuis le début du quinquennat. Se repasser
les trois ans et demi de mandat d’Emmanuel Macron, c’est remonter le fil rouge
d’un régime intransigeant face aux contestations, sûr de son bon droit
démocratique d’avoir seul raison contre tous.
L’opposition a maintes fois alerté sur
cette question, dans la rue ou au Parlement. L’Assemblée nationale est
symbolique du mode de gestion macroniste : réformée pour réduire les temps de
débats, pressée par le recours aux ordonnances, voire à l’article 49-3.
L’exécutif considère que sa majorité parlementaire lui est inféodée, bien
aidée, il est vrai, par les institutions de la Ve République. Une vision
partagée par une partie des députés LaREM, élus en 2017 sans assise locale et
donc dépourvus de poids politique à opposer à leur chef. En résultent un
piétinement du principe de séparation des pouvoirs et une concentration de
toutes les responsabilités entre les mains du seul gouvernement.
La France épinglée par l’ONU
Cette absence de négociations
démocratiques se lit aussi dans son rapport au corps social, et notamment aux
syndicats. « Emmanuel Macron a eu dès le départ un projet volontariste
de modifier le système social français, avec une “modernisation” à marche
forcée vers le néolibéralisme, analyse Luc Rouban, politologue au Cevipof,
Centre de recherches politiques de Sciences Po. Il y a une volonté de
rupture avec les partis, les corps intermédiaires. » Mais élus et syndicats
ne sont pas les seuls à sonner l’alerte. Depuis trois ans et demi, les
signalements s’accumulent contre la Macronie, qui fait la sourde oreille. Elle
a par exemple été épinglée deux fois par le Haut-Commissariat des droits de
l’homme de l’ONU. Le 12 novembre, l’institution basée à Genève a pointé le
risque d’ « atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés
fondamentales » induit par la loi de « sécurité globale ».
Avant cela, il y avait eu le 6 mars
2019, en plein mouvement des gilets jaunes (qui a fait entre 2 000 et
3 000 blessés dont 82 graves, 152 à la tête, 17 éborgnés et
quatre mains arrachées, selon le décompte du journaliste David Dufresne). L’ONU
s’inquiétait de l’ « usage violent et excessif de la force » face
aux mobilisations, rejoignant des conclusions identiques d’Amnesty
International datées de décembre 2018. L’usage du LBD y est notamment pointé du
doigt : une arme de guerre déjà critiquée par le Défenseur des droits Jacques
Toubon plus tôt dans l’année.
La réponse de la France ne tarde pas, concoctée
par les services des ministères de l’Intérieur et de la Justice : les violences
sont légitimes car les cibles sont des casseurs. Dès lors, « il ne
s’agit plus de manifestants, mais de participants à un attroupement violent et
illégal ». En mars 2020, l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition
de la torture, qu’on ne peut taxer de gauchisme, publie un autre rapport, fruit
d’observations conduites depuis novembre 2018. Elle y déplore le « règne
de l’opacité » et le « déni des autorités » françaises
face aux critiques contre l’usage de « violences illégitimes ».
Contenir les revendications sociales
La France d’Emmanuel Macron a-t-elle
basculé du mythe de la « start-up nation » ouverte au règne
violent de « l’extrême centre », que le philosophe Alain
Deneault définit comme « l’intolérance avec ce qui ne cadre pas avec un
juste milieu arbitrairement proclamé » ? Luc Rouban y voit davantage la
suite logique d’une pensée néolibérale et de la croyance en « l’efficacité
au détriment de la démocratie », voire un « pragmatisme
managérial » à sens unique, ersatz du « no alternative » théorisé
par Margaret Thatcher. Comme l’ex-Dame de fer, le président Macron est en effet
un néolibéral convaincu. Or ce courant de pensée se distingue du libéralisme
classique par son désir d’un État fort, pour contenir les revendications
sociales, mais qui renonce à juguler les dérives du libre marché. L’État bras
armé de la « main invisible », en somme. « Je préfère un dictateur
libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme », résumait
Friedrich Hayek, apôtre du néolibéralisme.
Emmanuel Macron n’en est pas là mais les procès en
« autoritarisme » qui se multiplient disent néanmoins quelque chose de l’état
d’une partie de l’opinion vis-à-vis de la gouvernance macroniste, du sentiment
de défiance croissant à mesure que LaREM s’arc-boute sur sa politique. Et doit
inquiéter tout républicain : qui, désormais, croira la Macronie quand elle
jouera face au Rassemblement national la carte du chevalier blanc de la
démocratie ?
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