Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont
envahi, dimanche après-midi, la grande place parisienne, deux jours après
l’assassinat de Samuel Paty, professeur de collège à Conflans-Sainte-Honorine.
Beaucoup d’enseignants rechignent à se ranger derrière une « union sacrée »
avec le gouvernement.
Plus la foule se masse, moins le brouhaha
s’installe. Les longues salves d’applaudissements qui, à intervalles réguliers,
partent d’un côté à l’autre de la place de la République, à Paris, ce dimanche
après-midi, deux jours après l’assassinat de Samuel Paty, enseignant
d’histoire-géo au collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine
(Yvelines), découpent un manteau de silence pour le temps du rassemblement. Un
silence qui va bien au-delà de la minute officielle, déclenchée depuis la
tribune par Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, co-organisateur de la
manifestation avec les syndicats d’enseignants. Même la Marseillaise,
entonnée dans la foulée, paraîtra murmurée, avec cet effet de canon entre les
chœurs multiples sur la place… Quelques instants plus tôt, quand, d’un cortège
de voitures officielles, débarquent le premier ministre et le ministre de
l’Éducation nationale, une prof les repère et se met à les huer, elle est vite
rabrouée par ses collègues : « Non, non, faut pas faire ça, on
l’ignore, Blanquer, on va se le faire une autre fois ! » Un peu plus
loin, des militants des Stylos rouges, un collectif d’enseignants en colère né
dans le sillage des gilets jaunes, fustigent un « sinistre qui détruit
l’école », mais choisissent ostensiblement de l’ignorer, eux aussi.
« L’école pleure, mais n’a pas peur »
Sur la place de la République, les
enseignants sont très nombreux. Beaucoup se tiennent un peu à l’écart du parvis
où Bernard-Henri Lévy, Raphaël Enthoven ou encore Manuel Valls jouent des
coudes pour poser aux côtés d’une partie de la rédaction de Charlie
Hebdo. Sur leurs pancartes, les adjectifs se bousculent : « Triste »,
« atterré(e) », « en colère ». Et cette autre, encore, qui proclame : « L’école
pleure, mais n’a pas peur. » « Cela fait froid dans le dos, confie
toutefois Valentin, 23 ans, qui commence tout juste cette année sa
carrière de prof de sciences de la vie et de la Terre (SVT). Cette
fois, c’est un prof d’histoire-géo, une matière dans laquelle on aborde des
sujets parfois compliqués. Mais en SVT, je me dirais que ça aurait pu m’arriver
à moi aussi. En cours, on parle de sexualité, de contraception… » Enseignantes
à Sarcelles (Val-d’Oise), respectivement depuis 30 et 11 ans, Nathalie et
Morgane abondent : « Les parents qui viennent râler en fonction des
enseignements, c’est une grosse pression sur les profs. On a eu droit à Charlie et
au débat sur les caricatures, à l’éducation sexuelle, aux délires sur
l’enseignement de la masturbation en école maternelle… »
Prof de musique dans un établissement de
la banlieue parisienne, Virginie va beaucoup plus loin, au diapason d’une
partie des manifestants. « Je suis venue pour revendiquer les valeurs de
la République, liberté, égalité, fraternité, laïcité, explique-t-elle. La
haine engendre la haine. Nous avons le droit à la défense, de nous battre avec
nos valeurs… Il faut en finir avec la bien-pensance pour n’offusquer
personne. » Retraitée après avoir été longtemps prof de lettres, se
revendiquant à la fois de Jeanne d’Arc et de Louise Michel, Claire s’inscrit
dans le combat contre « l’escroquerie de l’islamophobie », dénoncée par
Charb : « La gauche française doit se réveiller, estime-t-elle. La
vraie laïcité, ce n’est pas la liberté religieuse, c’est la neutralité de
l’État. Il nous faut une police des cultes pour contrôler le pouvoir des
religions. À gauche, il ne faut plus accepter certaines
alliances. » Même inspiration pour Guillaume, un informaticien de
43 ans, qui manifeste, comme beaucoup d’autres, avec une une de Charlie
Hebdo à la main : « J’attends des actes forts, plus d’intransigeance
à l’égard des communautarismes et des séparatismes, glisse-t-il. Et cette
affaire pose aussi la question des réseaux sociaux. On ne peut pas décider
d’attaquer les gens comme ça, caché derrière des pseudos. Il faut être aussi
moins angélique à l’égard de certaines communautés, mais affirmer notre
solidarité lorsqu’il y a des violences contre les musulmans. »
« Ne rien céder aux appels visant à répondre à la haine par la haine »
À la tribune, après que Dominique Sopo a,
lui, appelé à « ne rien céder aux appels visant à répondre à la haine par
la haine », Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, se lance dans un
plaidoyer sous des applaudissements nourris. « À la colère, la tristesse,
le désarroi ou la sidération dans lesquels est désormais plongée toute la
communauté éducative, nous proposons une réponse qui doit être la cohésion
autour des professeurs, autour de la mission d’émancipation de l’école. Nous
affirmons également notre soutien à nos compatriotes musulmans sur qui nous
pouvons compter dans ce combat. » Dans la foule, une maman promène un
carton avec les mots de Léa, sa fille de 6 ans : « Quand on n’aime
pas un dessin, on ne tue pas les gens, on en fait un plus joli. » En
matière de sagesse républicaine et de refus de la haine, cette enfant a sans
doute de l’avance...
Plus de 120 rassemblements partout en france
Devant
les établissements scolaires ou sur les places publiques, les hommages à Samuel
Paty se sont déclinés, ce dimanche à 15 heures, sur tout le territoire,
rassemblant des centaines de milliers de personnes. À Paris, ils étaient des
« dizaines de milliers » place de la République, solidaires face à l’indicible.
À Toulouse, la place du Capitole, noire de monde, a accueilli
5 000 personnes. Selon les chiffres du syndicat Snes-FSU, qui appelait aux
rassemblements, on dénombrait 12 000 personnes à Lyon, 5 000 à Nantes,
4 000 à Caen, plus de 1 000 à Lille, Angers et Albi, 2 000 à Lorient, 500 à Castres,
Bastia, Dunkerque et Nice. Prises au Havre, à Marseille, à Gap, à Épinal, à
Dijon, à Poitiers comme à Rodez, les images de ces recueillements combatifs ont
défilé sur les réseaux sociaux.
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