Ebru Timtik est morte en détention le
27 août, après 238 jours de grève de la faim. Elle exigeait la tenue d’un
procès équitable. Elle appartenait à l’Association des avocats progressistes.
Ceren Uysal dénonce les attaques en cours.
Pourquoi les avocats en Turquie sont-ils souvent la cible du pouvoir ?
Ceren Uysal : Tout d’abord, je tiens à souligner que nous ne discutons pas de
quelque chose de nouveau. Dans l’histoire de la Turquie, les avocats, qui
représentent les gens de gauche ou le peuple kurde, ont toujours été attaqués.
Dans les années 1990, de nombreux avocats ont été abattus, enlevés ou torturés.
Dans notre génération, la première opération de masse contre les avocats a été
en 2011 : 45 collègues ont été arrêtés à la suite d’une opération de police et
accusés d’être membres de KCK (Union des communautés du Kurdistan) simplement
parce qu’ils étaient les avocats d’Abdullah Öcalan.
Plus tard, en 2013, la police a lancé une opération de masse contre
l’Association des avocats progressistes à laquelle j’appartiens et 9 collègues
ont été arrêtés. Ils ont également été accusés d’être membres d’une
organisation terroriste. L’accusation du procureur était basée sur le profil de
leurs clients. C’était un simple problème mathématique pour le procureur
: « Vous représentez X nombre de personnes qui ont été accusées d’être
membres de cette organisation, donc vous devez également en être membre. » Cette
interprétation est une simple violation de tous les principes de la profession
juridique. Ces procès sont tous deux en cours.
Après l’état d’urgence, les attaques du gouvernement turc se sont élargies.
Maintenant, ils attaquent simplement « quiconque » ne les soutient
pas. En 2016, mon association a été interdite par un décret gouvernemental et
accusée d’être en relation avec le terrorisme. À ce moment-là, nous avions plus
de 2 000 membres ! Après l’interdiction, ils ont de nouveau fait une opération
de police contre les avocats membres de l’association. Cette fois, ils en ont
arrêté 17 du même bureau juridique, le « bureau du droit du peuple ».
L’accusation est la même que précédemment.
Les avocats sont attaqués en Turquie, parce que c’est nous qui sommes entre
l’État et ses cibles. L’État veut attaquer les prisons, l’environnement, les
droits des travailleurs, etc. Et nous défendons le contraire et essayons
d’éviter les dommages. Nous travaillons contre la torture, nous soutenons les
femmes qui font l’objet de violences domestiques, nous défendons les familles
des jeunes qui ont été abattus par la police, etc. Par conséquent, nous
sommes une sorte d’ennemis publics.
Une nouvelle loi concernant les barreaux a été votée au début de l’été.
Qu’en est-il ?
Ceren Uysal : Le nouveau règlement met l’accent sur deux choses. Avant, nous avions
un système très similaire avec l’Europe. Chaque ville a un barreau local et un
barreau national. Le conseil exécutif du Conseil national du barreau est élu
par les délégués des barreaux locaux. Maintenant, tout d’abord, si 2 000
avocats se réunissent et veulent établir un barreau, ils peuvent le faire. Cela
n’aura pas d’effet sur les petites villes, mais pour les plus grandes comme
Istanbul, Izmir, etc., à l’avenir, cela aura des répercussions. Le nombre
de délégués sera limité. Ainsi, les barreaux les plus importants en nombre ne
seront pas en mesure d’envoyer plus de délégués. Ce qui signifie que leur ratio
de représentation diminuera. C’est une tactique typique du parti de Recep
Tayyip Erdogan, le parti de la Justice et du Développement (AKP). Pendant des
années, le régime de l’AKP visait à restructurer les institutions. Mais il n’a
pas réussi avec les barreaux. Les associations de barreaux sont toujours en
mesure d’agir de façon indépendante. L’AKP veut changer cette situation et au
moins avoir des associations de barreaux qui le « soutiennent » directement.
Des attaques similaires pourraient avoir lieu contre l’ordre des médecins.
Quelle est la situation actuelle ?
Ceren Uysal : Les gens doivent
comprendre que les accusations de terrorisme, les nouveaux systèmes
électoraux, etc. sont autant d’« excuses ». Nous parlons d’un régime
autoritaire qui veut faire taire tout le monde. Et s’il n’est pas possible de
les faire taire, alors la prochaine étape est de les arrêter, de les torturer,
de mentir à leur sujet, etc. Ce 1er septembre était le jour de l’ouverture
de la nouvelle année judiciaire en Turquie. Et le président Erdogan a une fois
de plus fait un discours haineux qui nous menace tous. Il a qualifié Ebru
Timtik – notre collègue qui est décédée de sa grève de la faim alors qu’elle
réclamait simplement un procès équitable – de terroriste. Et il a accusé de
même tous les avocats qui ont participé à ses funérailles en robe, ainsi
que l’Association du barreau d’Istanbul en raison de la cérémonie qui a été
organisée en mémoire d’Ebru devant le bâtiment du barreau. Et, finalement, il a
dit : « Ce genre d’avocats » (c’est-à-dire nous) ne devraient
pas continuer à pratiquer leur profession. Oui, maintenant, il veut nous
retirer nos licences… Nous pensons qu’il s’agit d’un signal pour de nouvelles
attaques à venir.
propos recueilli par Pierre Barbancey
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