mercredi 2 septembre 2020

LIBAN. MACRON EN « PETIT PÈRE DES PEUPLES » LIBANAIS (PIERRE BARBANCEY)




À Beyrouth, le président français a parlé aide humanitaire avec la société civile et politique avec les partis confessionnels. Il n’a pas entendu les manifestants dénoncer sa présence.

«Veni, vidi, vici. » Ainsi pourrait se résumer le déplacement – le deuxième en moins d’un mois – d’Emmanuel Macron à Beyrouth. Incontestablement, le président français a remporté une manche non négligeable dans un Liban où la colère le dispute à la détresse. Cela, si l’on prend en considération l’état de la population. Pour ce qu’il est convenu d’appeler ici la « classe politique », c’était plutôt l’impasse avec une mise en accusation qui les désigne tous. « Tous, c’est tous ! » criaient déjà les manifestants le 17 octobre 2019 en appelant les partis confessionnels à quitter le pouvoir. Las, ces partis sont toujours présents et restent aux manettes. Merci Emmanuel Macron.

« C’est un pari risqué que je fais. J’en suis conscient. Je mets sur la table la seule chose que j’ai : mon capital politique », a-t-il déclaré à Politico, un site d’information américain, ce qui ne doit rien au hasard. Sa visite comportait donc deux volets. L’un, consacré à la « société civile », pour discuter non pas de l’avenir du Liban, mais pour dresser un premier bilan des aides acheminées vers le Liban, et les défis, notamment organisationnels, auxquels les ONG sont confrontées. Il a annoncé être prêt à accueillir, en octobre 2019, à Paris, « une conférence internationale de soutien avec les Nations unies », afin de lever de nouveaux fonds pour le Liban. « 80 % des médicaments qui arrivent au Liban ne sont pas adaptés » aux besoins réels, a cependant déploré Antoine Zoghbi, le président de la Croix-Rouge libanaise.

« Il faut qu’on continue à mobiliser toute la communauté internationale », a exhorté Macron. Une question évidemment importante pour les centaines de milliers de Libanais gravement touchés – physiquement, moralement et matériellement – par l’explosion du port, le 4 août. Mais qui ne saurait être découplée du processus politique. Or, en ce domaine, Emmanuel Macron assume de s’appuyer sur les neuf partis confessionnels existants, au détriment de la revendication essentielle exprimée au mois d’octobre : la déconfessionnalisation.

Avec les responsables politiques libanais, le président français assure : « Ma position est toujours la même : celle de l’exigence sans ingérence. » La frontière est ténue, voire meuble. Il veut ainsi les pousser à former rapidement un nouveau gouvernement et à mettre en œuvre de « véritables réformes », pour une meilleure gouvernance et contre la corruption endémique, notamment dans les secteurs énergétique et financier. Corruption directement en lien avec le clientélisme communautaire, justement. De la même manière, il a évoqué le calendrier du « processus électoral » pour que « dans six à douze mois, de nouvelles élections puissent se tenir qui permettront (…) de faire émerger une autre réalité politique, si le peuple le souhaite ».

Après la carotte, le bâton. Au cours de sa visite au port, Emmanuel Macron a indiqué au site Brut qu’il y aurait « un mécanisme de suivi » aux discussions qu’il mène avec les responsables politiques « en octobre puis en décembre ». Et de menacer : « On ne libérera pas l’argent du programme Cèdre » – la conférence de soutien au Liban parrainée par Paris en 2018 – « tant que ces réformes ne sont pas enclenchées sur le calendrier qui a été prévu ». Tout en assurant qu’il allait « mettre le poids pour que ces réformes passent par un engagement des forces politiques », au lendemain de la nomination d’un nouveau premier ministre, Mustapha Adib.

Alors qu’il annonçait vouloir revenir en décembre, Emmanuel Macron n’a visiblement pas porté attention aux manifestations qui se sont déroulées pour dénoncer sa présence et la remise en selle des partis corrompus. « Le premier besoin de notre pays, c’est d’avoir un État de droit. C’est ce qui nous manque aujourd’hui. On cherche un État véritable avec des responsables. C’est le cri de nos jeunes », lui a déclaré le président de l’ONG Offre Joie et bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth, Melhem Khalaf. Les Libanais sont peut-être « comme des frères pour les Français », selon la formule du chef de l’État. Ils n’ont pas nécessairement besoin du même père.

Pierre Barbancey

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