À Beyrouth, le président français a parlé
aide humanitaire avec la société civile et politique avec les partis
confessionnels. Il n’a pas entendu les manifestants dénoncer sa présence.
«Veni, vidi, vici. » Ainsi pourrait se résumer le déplacement – le
deuxième en moins d’un mois – d’Emmanuel Macron à Beyrouth. Incontestablement,
le président français a remporté une manche non négligeable dans un Liban où la
colère le dispute à la détresse. Cela, si l’on prend en considération l’état de
la population. Pour ce qu’il est convenu d’appeler ici la « classe politique »,
c’était plutôt l’impasse avec une mise en accusation qui les désigne
tous. « Tous, c’est tous ! » criaient déjà les manifestants le
17 octobre 2019 en appelant les partis confessionnels à quitter le
pouvoir. Las, ces partis sont toujours présents et restent aux manettes. Merci
Emmanuel Macron.
« C’est un pari risqué que je fais. J’en suis conscient. Je mets sur la table
la seule chose que j’ai : mon capital politique », a-t-il déclaré à
Politico, un site d’information américain, ce qui ne doit rien au hasard. Sa
visite comportait donc deux volets. L’un, consacré à la « société civile »,
pour discuter non pas de l’avenir du Liban, mais pour dresser un premier bilan
des aides acheminées vers le Liban, et les défis, notamment organisationnels,
auxquels les ONG sont confrontées. Il a annoncé être prêt à accueillir, en
octobre 2019, à Paris, « une conférence internationale de soutien avec
les Nations unies », afin de lever de nouveaux fonds pour le
Liban. « 80 % des médicaments qui arrivent au Liban ne sont pas
adaptés » aux besoins réels, a cependant déploré Antoine Zoghbi, le
président de la Croix-Rouge libanaise.
« Il faut qu’on continue à mobiliser toute la communauté
internationale », a exhorté Macron. Une question évidemment importante
pour les centaines de milliers de Libanais gravement touchés – physiquement,
moralement et matériellement – par l’explosion du port, le 4 août. Mais
qui ne saurait être découplée du processus politique. Or, en ce domaine,
Emmanuel Macron assume de s’appuyer sur les neuf partis confessionnels
existants, au détriment de la revendication essentielle exprimée au mois
d’octobre : la déconfessionnalisation.
Avec les responsables politiques libanais, le président français
assure : « Ma position est toujours la même : celle de l’exigence sans
ingérence. » La frontière est ténue, voire meuble. Il veut ainsi les
pousser à former rapidement un nouveau gouvernement et à mettre en œuvre
de « véritables réformes », pour une meilleure gouvernance et
contre la corruption endémique, notamment dans les secteurs énergétique et
financier. Corruption directement en lien avec le clientélisme communautaire,
justement. De la même manière, il a évoqué le calendrier du « processus
électoral » pour que « dans six à douze mois, de nouvelles
élections puissent se tenir qui permettront (…) de faire émerger une autre
réalité politique, si le peuple le souhaite ».
Après la carotte, le bâton. Au cours de sa visite au port, Emmanuel Macron
a indiqué au site Brut qu’il y aurait « un mécanisme de suivi » aux
discussions qu’il mène avec les responsables politiques « en octobre
puis en décembre ». Et de menacer : « On ne libérera pas
l’argent du programme Cèdre » – la conférence de soutien au Liban
parrainée par Paris en 2018 – « tant que ces réformes ne sont pas
enclenchées sur le calendrier qui a été prévu ». Tout en assurant
qu’il allait « mettre le poids pour que ces réformes passent par un
engagement des forces politiques », au lendemain de la nomination d’un
nouveau premier ministre, Mustapha Adib.
Alors qu’il annonçait vouloir revenir en
décembre, Emmanuel Macron n’a visiblement pas porté attention aux
manifestations qui se sont déroulées pour dénoncer sa présence et la remise en
selle des partis corrompus. « Le premier besoin de notre pays, c’est
d’avoir un État de droit. C’est ce qui nous manque aujourd’hui. On cherche un
État véritable avec des responsables. C’est le cri de nos jeunes », lui
a déclaré le président de l’ONG Offre Joie et bâtonnier de l’ordre des avocats
de Beyrouth, Melhem Khalaf. Les Libanais sont peut-être « comme des
frères pour les Français », selon la formule du chef de l’État. Ils
n’ont pas nécessairement besoin du même père.
Pierre Barbancey
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