Le chef de l’État doit prononcer ce vendredi matin un discours solennel et ferme sur « l’ordre républicain ». Une démarche non dénuée d’arrière-pensées électoralistes, alors qu’il est accusé de manque d’autorité par la droite.
C’est un des grands écarts dont Emmanuel
Macron a le secret : entre le discours qu’il doit prononcer ce vendredi au
Panthéon pour célébrer le 150e anniversaire de la proclamation de la République
– la IIIe – et l’objet de ce discours, dont une bonne part doit être
consacrée au sujet de « l’ordre républicain », l’abîme est profond. Car si le
chef de l’État a prévu de convoquer les mânes républicains, il semble avoir des
visées plus bassement politiciennes : couper l’herbe sous le pied de ses
détracteurs en matière d’insécurité et de « séparatisme ». « Ce sera un
discours ferme pour faire bloc derrière la République », indique-t-on à
l’Élysée, le chef de l’État considérant qu’il « est temps de rappeler
aux Français ce que signifie être citoyen en République ». Au menu, une
cérémonie solennelle de remise de la citoyenneté à cinq personnes naturalisées,
puis l’éloge de plusieurs « personnalités républicaines », avant la
prise de parole d’Emmanuel Macron. La date ne doit rien au hasard : le
4 septembre 1870, Léon Gambetta proclamait une République encore
incertaine depuis le balcon de l’hôtel de ville de Paris.
Mais en toile de fond, c’est bien l’énième
polémique sur la prétendue montée de l’insécurité qui est dans tous les
esprits : depuis le début de l’été, la droite et le RN n’ont de cesse de s’en
prendre au prétendu « laxisme » du gouvernement et de la justice, et ce malgré
– ou à cause, c’est selon – l’hyperactivisme du ministre de
l’Intérieur, Gérald Darmanin, lequel n’a pas hésité, en juillet, à imiter le
discours sécuritaire de Nicolas Sarkozy en parlant « d’ensauvagement » de
la société.
Une réponse fumeuse à la « banalisation de la violence »
Outre cette offensive, la fameuse « loi
sur les séparatismes » est attendue dans quelques semaines, et le discours
d’aujourd’hui portera fortement sur ce thème, que l’Élysée définit comme
pouvant être « d’extrême droite, d’extrême gauche, religieux, voire
éditorial ». Un curieux méli-mélo qui donne surtout l’occasion au chef de
l’État de poser en garant de la République. Mais, interrogé sur les promesses
non tenues de la République – racisme, discriminations, inégalités –,
l’Élysée botte en touche. L’heure n’est pas aux contritions mais au « patriotisme
républicain », le nouveau concept fumeux d’Emmanuel Macron censé répondre à
la « banalisation de la violence ».
L’été a été rythmé par des faits divers
marquants qui ont choqué le pays – d’autant qu’ils ont été fortement
médiatisés. Meurtre d’un chauffeur de bus à Bayonne, maires agressés, jusqu’au
viol et au meurtre d’une jeune fille de 15 ans par un récidiviste. Autant
de drames qui interrogent notre société et que LR et RN n’ont pas tardé à
instrumentaliser : Marine Le Pen a accusé le chef de l’État d’avoir « un
problème avec l’autorité », quand Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, deux
potentiels candidats présidentiels à droite, jouaient la surenchère en parlant
respectivement « d’été Orange mécanique » et
de « nouveaux barbares ».
Le député (LR) du Pas-de-Calais
Pierre-Henri Dumont explicite : « L’avenir de la droite, c’est plus dur
sur le régalien et plus souple sur les questions sociétales. Or, la sécurité,
c’est le talon d’Achille de Macron. » Voix discordante au
gouvernement, celle du garde des Sceaux Éric Dupond- Moretti, qui fustige
une « surenchère populiste » et rappelle que « la
France n’est pas un coupe-gorge ». Des propos corroborés par les
statistiques, et notamment l’enquête « Cadre de vie et sécurité » menée par
l’Insee et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales
(ONDRP) : celle-ci indique que le nombre annuel de victimes de vols avec
violence est passé de 361 000 en 2006 à 166 000 en 2018. Forte baisse également
des homicides, avec un taux passé de 1,9 homicide pour 100 000 habitants
en 2002 à 1,3 en 2018. Seul chiffre en hausse, celui des coups et blessures volontaires :
de 198 600 en 2008 à 240 200 en 2018. Mais il s’agit là des actes
enregistrés par les forces de l’ordre, ce qui ne signifie donc pas une
explosion de violence mais une meilleure prise en compte policière. Christophe
Soullez, de l’ONDRP, estime « qu’on ne peut pas dire à travers les
données disponibles que l’on est dans une explosion de la violence ».
En attendant le séminaire gouvernemental du
9 septembre consacré à cette question, le gouvernement a annoncé la
création de 550 postes de greffiers et magistrats supplémentaires, et le
ministre de la Justice a aussi prévu de mieux protéger les maires en retenant
en cas d’agression verbale le caractère d’outrage, qui relève du droit pénal,
et non d’injure publique, qui relève du droit de la presse. Au final,
l’utilisation à outrance d’une question réelle telle que l’insécurité met
également en exergue la crainte d’Emmanuel Macron d’un « syndrome Jospin »,
référence à une campagne présidentielle de 2002 marquée par ce thème – avec
l’aide de certains médias volontiers alarmistes – et qui aboutit à
l’élimination du candidat socialiste. C’est bien pour répondre à cette
éventualité et se positionner en vue de 2022 que le chef de l’État met en scène
une intransigeance droitière. Quitte à se poser en Père Fouettard de la
République.
Benjamin König
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