lundi 24 août 2020

UNIVERSITÉS D’ÉTÉ. À GAUCHE, DIALOGUES POUR UNE ALTERNATIVE




Forte de son triomphe dans la plupart des grandes villes aux municipales, entre une crise du Covid-19 lui donnant raison à plusieurs titres et une urgence écologique et sociale aujourd’hui dans toutes les consciences, la gauche prépare une rentrée active. Mais le spectre de la présidentielle pourrait néanmoins raviver les rivalités.

La rentrée politique bat déjà son plein à gauche. Les différentes formations tiennent ces jours-ci leurs universités d’été pour préparer la riposte à Macron et la conquête du pouvoir. « Nous n’avons pas d’autre choix que de réussir au plus vite. Les citoyens se sont déjà sentis trahis plusieurs fois. La crise sociale s’aggrave, et nous n’avons plus le temps d’attendre face à l’urgence écologique », alerte Marine Tondelier, qui chapeaute les journées d’été d’EELV, tenues cette année en partenariat avec Génération.s. Le périmètre aurait pu être plus large : un temps, l’idée d’un rendez-vous estival commun à toute la gauche a même été évoquée, avant d’être écartée. Mais si chaque formation se réunit chacune de son côté, le dialogue a rarement été aussi nourri depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron.

Une forte exigence de contenu
D’une part parce que la crise du Covid-19 est passée par là. En montrant les failles béantes du néolibéralisme, la pandémie a révélé à quel point les choix politiques pris depuis vingt ans ont rendu le pays plus fragile. D’une autre parce que les municipales ont également marqué les esprits. Rassemblée, la gauche l’a emporté dans l’immense majorité des plus grandes villes du pays, dont Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Lille, Nantes et Rennes… « Il y a un véritable sens à travailler ensemble avec une forte exigence de contenu. Si nous voulons faire face à Macron et à l’extrême droite en embuscade, les options de rassemblement paraissent nécessaires », mesure Guillaume Roubaud-Quashie, qui organise la journée d’été du PCF.

La gauche est cependant encore loin d’avoir remporté la bataille idéologique en cours. Les municipales ont de plus été frappées par une abstention record, notamment des classes populaires, dont la reconquête n’est pas le moindre des enjeux. Et la droite a obtenu de solides résultats, malgré la perte de grandes villes. Surtout, le piège du présidentialisme se profile déjà, avec le risque de voir les rivalités de personnes prendre le pas sur les questions de fond. Voilà pourquoi Julien Bayou appelle à la création d’une « maison commune » à toute la gauche, au sein de laquelle chaque parti se « dépasserait ». Mais dès l’ouverture des journées d’été des écologistes, l’eurodéputée Karima Delli a affirmé que son camp était prêt « à prendre le pouvoir ». Et au même moment, Yannick Jadot préparait déjà la présidentielle de 2022 en lançant que « l’écologie doit avoir sa candidature avant janvier ».

L’ancienne tête de liste aux européennes, arrivée en tête de la gauche avec 13,48 % des voix, a d’emblée été appelée à davantage de mesure par Julien Bayou. « Jadot a tout à fait le droit de proposer une option, mais c’est le collectif qui tranchera. Le temps des désignations n’est pas venu », insiste ainsi le dirigeant d’EELV. La ligne politique incarnée par Jadot, qualifiée d’« aile assez libérale » par Jean-Luc Mélenchon, divise également à gauche. Le député FI se dit beaucoup plus proche d’Éric Piolle, maire EELV de Grenoble, qui a été invité aux rendez-vous d’été des insoumis. L’insoumis ajoute d’ailleurs que FI et EELV « peuvent s’entendre » pour les régionales et les départementales de 2021. Mais beaucoup moins pour la présidentielle, car « des divergences sérieuses » existent aussi. Du reste, le coordinateur national de la FI, Adrien Quatennens, a rappelé que son mouvement disposait du « meilleur candidat » possible pour 2022 en la personne de Jean-Luc Mélenchon, et estime que la base programmatique la plus solide pour penser le monde d’après reste celui de « l’Avenir en commun ».

« Nous devons débattre avant tout sur les problèmes concrets : si nous aspirons à diriger le pays, nous ne pouvons pas nous contenter d’un minimum syndical programmatique », prévient également le député FI Ugo Bernalicis. « Il y a des questions qu’il faut que l’on discute, ajoute Marine Tondelier. Celle du productivisme reste un sujet avec certains partis de gauche, sans être insurmontable. Le nucléaire par contre, ce n’est même pas une question : la seule à poser, c’est comment en sortir. » Pas si simple… Et les réflexions sur les institutions européennes divisent elles aussi, notamment la construction d’une « Europe des régions » défendue par EELV. « Nous devons aussi parler de République, de nation et de laïcité, et il y a encore des clarifications qui s’imposent vis-à-vis de la social-démocratie », mesure pour sa part Éric Piolle. Mais celui qui rêve de construire « un arc humaniste » assure qu’à gauche, « le socle des projets est largement partagé ». « Ce qui nous rassemble est extrêmement fort, à la fois comme valeurs, comme désir de victoire, et comme volonté de transformer la société. Il y a là un appétit pour dépasser de nombreux préjugés, et la certitude que les justices sociale et climatique marchent ensemble. »
LE SOCIAL ET L’ÉCOLOGIE COMME MATRICE

Reste à savoir si cela se concrétisera, ou non, en période électorale. « Dans l’idéal, il faudrait une cohérence entre les séquences régionale et départementale et la présidentielle », invite Ugo Bernalicis. Mais l’insoumis craint que parce qu’il « croit avoir le vent en poupe », EELV fasse cavalier seul « dans 11 des 13 régions ». « Je suis pour un accord sur les 13 régions avec l’ensemble des forces politiques à gauche et écologistes », insiste pour sa part Olivier Faure. Le premier secrétaire du PS regrette l’absence d’université d’été commune à toute la gauche. « Il ne suffit pas que les dirigeants se parlent entre eux. Nous avons besoin que les militants se rencontrent dans un cadre commun et puissent échanger ne serait-ce qu’autour d’un verre pour constater leurs désaccords et convergences. On ne peut pas seulement faire un accord du haut vers le bas entre des Jupiter. Ça, c’est la politique du XXe siècle », pointe-t-il.

Le socialiste, qui indique que les insoumis « ont vite déchanté au lendemain de la présidentielle » et constate que « maintenant ce sont les écologistes qui pensent que leur heure est venue quitte à plier tous les autres à leurs desiderata », appelle à changer de paradigme. « Il faut hybrider nos projets. Nous devons penser l’État-providence de demain ensemble. Sans quoi le patriotisme de parti peut nous amener dans l’impasse et nous conduire à contribuer de toutes nos forces à un second tour entre fachos et libéraux que nous voulons pourtant éviter. » Une menace que le PCF veut lui aussi conjurer. Fabien Roussel appelle ainsi la gauche « à ne pas s’enfermer dans un débat sur les personnes ». Le secrétaire national du PCF assure que pour 2022, « la question qui doit se poser est celle du contenu du changement de société profond que nous voulons défendre ».

Aurélien Soucheyre

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