Forte de son triomphe dans la plupart des
grandes villes aux municipales, entre une crise du Covid-19 lui donnant raison
à plusieurs titres et une urgence écologique et sociale aujourd’hui dans toutes
les consciences, la gauche prépare une rentrée active. Mais le spectre de la
présidentielle pourrait néanmoins raviver les rivalités.
La rentrée politique bat déjà son plein à gauche. Les différentes
formations tiennent ces jours-ci leurs universités d’été pour préparer la
riposte à Macron et la conquête du pouvoir. « Nous n’avons pas d’autre choix
que de réussir au plus vite. Les citoyens se sont déjà sentis trahis plusieurs
fois. La crise sociale s’aggrave, et nous n’avons plus le temps d’attendre face
à l’urgence écologique », alerte Marine Tondelier, qui chapeaute les journées
d’été d’EELV, tenues cette année en partenariat avec Génération.s. Le périmètre
aurait pu être plus large : un temps, l’idée d’un rendez-vous estival commun à
toute la gauche a même été évoquée, avant d’être écartée. Mais si chaque
formation se réunit chacune de son côté, le dialogue a rarement été aussi
nourri depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron.
Une forte exigence de contenu
D’une part parce que la crise du Covid-19 est passée par là. En montrant
les failles béantes du néolibéralisme, la pandémie a révélé à quel point les
choix politiques pris depuis vingt ans ont rendu le pays plus fragile. D’une
autre parce que les municipales ont également marqué les esprits. Rassemblée,
la gauche l’a emporté dans l’immense majorité des plus grandes villes du pays,
dont Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Lille, Nantes et Rennes…
« Il y a un véritable sens à travailler ensemble avec une forte exigence de
contenu. Si nous voulons faire face à Macron et à l’extrême droite en
embuscade, les options de rassemblement paraissent nécessaires », mesure
Guillaume Roubaud-Quashie, qui organise la journée d’été du PCF.
La gauche est cependant encore loin d’avoir remporté la bataille
idéologique en cours. Les municipales ont de plus été frappées par une
abstention record, notamment des classes populaires, dont la reconquête n’est
pas le moindre des enjeux. Et la droite a obtenu de solides résultats, malgré
la perte de grandes villes. Surtout, le piège du présidentialisme se profile
déjà, avec le risque de voir les rivalités de personnes prendre le pas sur les
questions de fond. Voilà pourquoi Julien Bayou appelle à la création d’une
« maison commune » à toute la gauche, au sein de laquelle chaque parti se
« dépasserait ». Mais dès l’ouverture des journées d’été des écologistes,
l’eurodéputée Karima Delli a affirmé que son camp était prêt « à prendre le
pouvoir ». Et au même moment, Yannick Jadot préparait déjà la présidentielle de
2022 en lançant que « l’écologie doit avoir sa candidature avant janvier ».
L’ancienne tête de liste aux européennes, arrivée en tête de la gauche avec
13,48 % des voix, a d’emblée été appelée à davantage de mesure par Julien
Bayou. « Jadot a tout à fait le droit de proposer une option, mais c’est le
collectif qui tranchera. Le temps des désignations n’est pas venu », insiste
ainsi le dirigeant d’EELV. La ligne politique incarnée par Jadot, qualifiée
d’« aile assez libérale » par Jean-Luc Mélenchon, divise également à gauche. Le
député FI se dit beaucoup plus proche d’Éric Piolle, maire EELV de Grenoble,
qui a été invité aux rendez-vous d’été des insoumis. L’insoumis ajoute
d’ailleurs que FI et EELV « peuvent s’entendre » pour les régionales et les
départementales de 2021. Mais beaucoup moins pour la présidentielle, car « des
divergences sérieuses » existent aussi. Du reste, le coordinateur national de
la FI, Adrien Quatennens, a rappelé que son mouvement disposait du « meilleur
candidat » possible pour 2022 en la personne de Jean-Luc Mélenchon, et estime
que la base programmatique la plus solide pour penser le monde d’après reste
celui de « l’Avenir en commun ».
« Nous devons débattre avant tout sur les problèmes concrets : si nous
aspirons à diriger le pays, nous ne pouvons pas nous contenter d’un minimum
syndical programmatique », prévient également le député FI Ugo Bernalicis. « Il
y a des questions qu’il faut que l’on discute, ajoute Marine Tondelier. Celle
du productivisme reste un sujet avec certains partis de gauche, sans être
insurmontable. Le nucléaire par contre, ce n’est même pas une question : la
seule à poser, c’est comment en sortir. » Pas si simple… Et les réflexions sur
les institutions européennes divisent elles aussi, notamment la construction
d’une « Europe des régions » défendue par EELV. « Nous devons aussi parler de
République, de nation et de laïcité, et il y a encore des clarifications qui
s’imposent vis-à-vis de la social-démocratie », mesure pour sa part Éric
Piolle. Mais celui qui rêve de construire « un arc humaniste » assure qu’à
gauche, « le socle des projets est largement partagé ». « Ce qui nous rassemble
est extrêmement fort, à la fois comme valeurs, comme désir de victoire, et
comme volonté de transformer la société. Il y a là un appétit pour dépasser de
nombreux préjugés, et la certitude que les justices sociale et climatique
marchent ensemble. »
LE SOCIAL ET L’ÉCOLOGIE COMME MATRICE
Reste à savoir si cela se concrétisera, ou non, en période électorale.
« Dans l’idéal, il faudrait une cohérence entre les séquences régionale et
départementale et la présidentielle », invite Ugo Bernalicis. Mais l’insoumis
craint que parce qu’il « croit avoir le vent en poupe », EELV fasse cavalier
seul « dans 11 des 13 régions ». « Je suis pour un accord sur les 13 régions
avec l’ensemble des forces politiques à gauche et écologistes », insiste pour
sa part Olivier Faure. Le premier secrétaire du PS regrette l’absence
d’université d’été commune à toute la gauche. « Il ne suffit pas que les
dirigeants se parlent entre eux. Nous avons besoin que les militants se
rencontrent dans un cadre commun et puissent échanger ne serait-ce qu’autour
d’un verre pour constater leurs désaccords et convergences. On ne peut pas seulement
faire un accord du haut vers le bas entre des Jupiter. Ça, c’est la politique
du XXe siècle », pointe-t-il.
Le socialiste, qui indique que les
insoumis « ont vite déchanté au lendemain de la présidentielle » et constate
que « maintenant ce sont les écologistes qui pensent que leur heure est venue
quitte à plier tous les autres à leurs desiderata », appelle à changer de
paradigme. « Il faut hybrider nos projets. Nous devons penser l’État-providence
de demain ensemble. Sans quoi le patriotisme de parti peut nous amener dans
l’impasse et nous conduire à contribuer de toutes nos forces à un second tour
entre fachos et libéraux que nous voulons pourtant éviter. » Une menace que le
PCF veut lui aussi conjurer. Fabien Roussel appelle ainsi la gauche « à ne pas
s’enfermer dans un débat sur les personnes ». Le secrétaire national du PCF
assure que pour 2022, « la question qui doit se poser est celle du contenu du
changement de société profond que nous voulons défendre ».
Aurélien Soucheyre
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