Ils s’activent dans les services de soins,
les chantiers du BTP ou les arrière-cuisines de restaurants. Depuis vendredi
dernier, des milliers de travailleurs encaissent la vague de chaleur qui s’est
abattue sur la France, sans réelle législation pour les protéger.
En temps normal, son métier n’a rien d’une promenade de santé. Mais depuis
que la canicule est venue se surajouter aux contraintes liées à la crise
sanitaire, le quotidien de Lisa, 21 ans, serveuse dans un restaurant de
grillades, s’est transformé en chemin de croix. « Nous sommes basés
dans une zone industrielle, près d’Angers (Maine-et-Loire), raconte-t-elle. Comme
nous n’allons pas installer des tables sur le parking, nous sommes obligés
d’accueillir tous les clients à l’intérieur. Le problème, c’est que la
climatisation est interdite à cause du Covid. Et que nous devons travailler
avec des masques. Vendredi soir, on frôlait les 40 °C dans la salle, et
jusqu’à 50 °C en cuisine ! Entre la pandémie et la chaleur, c’est l’enfer.
Pour ne rien arranger, le s clients se plaignent des
températures… »
Depuis la fin de semaine dernière et jusqu’à mercredi au moins, la France
vit au rythme de la canicule. Les records de température tombent les uns après
les autres (38,4 °C à Rouen ; 39,6 °C à Nantes ; 46 °C dans
l’Hérault, etc.), mettant les organismes des salariés à rude épreuve. Le
Code du travail brille par sa discrétion sur le sujet, puisqu’il ne fixe ni
température maximale au-delà de laquelle l’activité serait bannie, ni
protections spécifiques à mettre en place selon les professions. Bien souvent,
salariés et chefs d’entreprise se retrouvent renvoyés à leur liberté
individuelle, et ce n’est pas le numéro vert spécial « canicule », mis en place
cette année par le gouvernement, qui leur apportera une quelconque aide
pratique (voir ci-contre).
Dans le BTP, on trime sans mot dire, qu’il gèle ou qu’il brûle. En ce
moment, les chantiers tournent à plein régime pour rattraper une partie du retard
pris pendant la pandémie. « J’ai découvert en contrôlant un chantier
que le chef d’équipe ne partirait pas en vacances cet été, parce qu’on lui
avait “pris” trois semaines de congés, explique cet inspecteur du
travail opérant en Île-de-France. Depuis la fin du confinement, les
patrons du BTP sont obsédés par la volonté de mettre les bouchées doubles, afin
de combler le retard. » Le fonctionnaire alerte sur la dégradation des
conditions de travail en période de canicule : « En temps normal,
certains salariés bossent déjà dans des conditions exécrables. Sur les
chantiers de travaux publics, il n’est pas rare de voir des gens travailler
sans vestiaire, ni douche, ni même un point d’eau. Et je vous parle là de
grands noms du BTP. Imaginez ce que ça donne en ce moment… »
Hakim (*), délégué syndical dans le BTP en Seine-Saint-Denis, confirme
la situation : « Un exemple récent, dans une société de
terrassement à Villemomble (93), qui effectuait des travaux pour un riverain,
c’est moi qui ai dû apporter de l’eau. Les gars travaillaient dans des
conditions déplorables, sans casques, roulotte de cantonnement, ni bien sûr de
point d’eau. Un truc digne du XIXe siècle… »
Comme le précise un autre représentant syndical : « En cas de
chaleur vraiment trop importante, les salariés peuvent exercer leur droit de
retrait. Mais c’est beaucoup plus facile lorsque vous êtes appuyés par un
syndicat. Lorsque c’est un salarié qui exerce son droit individuellement, sans
organisation derrière, il devient vite la cible du chef de chantier, qui
l’accuse de mettre le bordel. »
En période de canicule, tous les travailleurs ne sont pas logés à la même
enseigne. Quand certains peuvent bénéficier de bureaux climatisés et de
fontaines à eau, d’autres continuent de pédaler sous un soleil de plomb, à
l’instar des livreurs à vélo. Pendant des années, Jérôme Pimot a travaillé chez
Deliveroo, en autoentrepreneur. Désormais salarié, il bosse toujours en
deux-roues mais pour une petite PME de livraison de courrier. « On
s’adapte comme on peut, raconte-t-il. On ne dépasse pas les
20 km/h, contre 25 ou 30 d’habitude, pour économiser les muscles et
limiter la transpiration. En ce qui me concerne, je ne reste jamais plus d’une
demi-heure sans croiser un point d’eau, car j’utilise les toilettes des entreprises
auxquelles je distribue le courrier. Les choses sont très différentes chez les
plateformes de type Deliveroo, où les coursiers livrent de la nourri ture
aux particuliers toute la journée et se débrouillent comme ils peuvent pour
trouver à boire. »
Dans des services hospitaliers laminés par l’épidémie de Covid, la
fournaise de ces derniers jours ne fait qu’aggraver les choses. « Nous
avons traversé le Covid, voilà que la canicule nous tombe dessus, résume
Odile Lemaire, déléguée SUD de l’hôpital de Cholet (Maine-et-Loire), en
gériatrie. Nous nous retrouvons avec une charge mentale et une fatigue
absolument terrifiantes, dans un hôpital littéralement chauffé à blanc : dans
mon service, il doit faire jusqu’à 30 °C. On s’est aperçu que l’air pulsé
pouvait transmettre le virus, donc nous n’avons ni climatisation, ni
ventilateur. Nous aimerions rafraîchir nos patients âgés avec des brumisateurs,
mais il nous faut porter des masques ca nards pour cela, et nous n’en
avons plus assez. » La syndicaliste redoute que la santé des malades ne
soit mise en danger : « Sans moyens ni personnel, nous gérons la situation
au jour le jour, sans aucune vision prospective de l’avenir de nos patients.
C’est très simple, j’ai l’impression de revenir trente ans en arrière. »
(*) Le prénom a été modifié.
Cyprien Boganda
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