Un mois après leur succès dans plusieurs grandes
villes, les édiles verts mettent en place leurs premières mesures, entre
justice climatique et sociale. Des idées ancrées à gauche, qu’ils espèrent
faire infuser au plan national.
« Nous n’avons pas le droit de décevoir et devons être
exemplaires. » La nouvelle maire EELV de Besançon, Anne Vignot, l’a
bien compris : les élus issus de la vague verte des dernières municipales sont
attendus au tournant. Un mois après leurs élections, ils doivent engager leur
virage écologique sans tarder, malgré les urgences et les incertitudes
économiques liées à la crise sanitaire. À Marseille, Bordeaux, Lyon,
Strasbourg, mais aussi Besançon, Tours, Annecy ou Poitiers, les conseils municipaux
ont pris leurs premières mesures et engagé d’importants chantiers.
L’urbanisme, les transports et l’énergie sont les thématiques les plus
concernées par cette bifurcation. Toutes ces villes partagent ainsi un effort
dans la végétalisation de leurs rues et leurs places, afin de lutter contre les
îlots de chaleur, « ce qu’il fallait faire d’urgence, avec la canicule
qui sévit cet été », détaille le maire de Lyon, Grégory Doucet. Elles
défendent également l’objectif du « zéro artificialisation », soit la fin de la
bétonnisation, avec pour objectif d’interdire, d’ici à 2026, toute construction
sur des espaces de nature préservés. De grands plans mobilités ont aussi été
enclenchés à Bordeaux, Lyon et Strasbourg, afin d’adapter la voirie aux piétons
et aux vélos, de repenser les réseaux de transport en commun et faciliter leur
usage. Et à Strasbourg, une tarification sociale des transports, de l’eau et de
l’énergie doit être votée cette année.
La plupart des mesures mises en place se font de concert avec les
communistes et les autres formations de gauche présentes dans ces conseils
municipaux. Des appuis qui ont été primordiaux lors des élections, et marquent
l’ancrage nécessaire de l’écologisme municipal à gauche, avec à chaque fois des
programmes axés sur l’écologie, la justice sociale et la démocratie. « Nous,
élus communistes, avons aidé à construire dans ces villes des programmes
écologiques marqués à gauche, en apportant nos expériences en matière sociale,
en proposant la gratuité des transports, l’accès à l’énergie et à la culture
pour tous, le développement du logement social… Des idées qui n’ont pas encore
toutes été suivies mais qui resteront sur la table pendant tout le mandat, détaille
Antoine Splet, élu PCF de Schiltigheim et de l’eurométropole de Strasbourg,
présidée par EELV. Notre rôle est aussi de veiller à ce que les
décisions écologiques ne se fassent pas au détriment des populations les plus
précaires, nous devons servir de garde-fous. » Un terme que réfute la
maire de Poitiers, Léonore Moncond’Huy : « Je n’appellerai pas ça
ainsi, puisque nous ne sommes pas dans une logique de méfiance. Plus que les
élus PCF, c’est le programme qui est notre garde-fou, réagit-elle. Il
y a consensus sur le fait qu’on ne peut pas gagner en écologie tout en perdant
en justice sociale, et les élus communistes, effectivement, étaient là pour le
rappeler dès le début de la campagne. »
Toute la gauche ne s’est toutefois pas rangée derrière les têtes de liste
écologistes lors des dernières municipales. À commencer par la France
insoumise, tantôt soutien d’EELV, tantôt opposée. En cause, notamment, une
ligne jugée trop peu ambitieuse, y compris écologiquement, ne pointant que
rarement du doigt les grands groupes capitalistes, principaux responsables des
émissions de gaz à effet de serre.
Les élus locaux proposent d’ailleurs peu de mesures coercitives ou
réellement contraignantes envers les gros pollueurs. « Nous mettons
tout de même en place des écoconditionnalités extrêmement fortes, c’est-à-dire
ne plus travailler avec des entreprises qui n’ont pas de comportements vertueux
en termes écologiques et sociaux, se défend la première édile de
Poitiers. Mais pour aller encore plus loin, nous devons porter un
plaidoyer national. » Car si l’écologisme municipal permet des
avancées écologiques concrètes, les maires n’ont pas les coudées franches. À
Marseille par exemple, la victoire de Michèle Rubirola et du rassemblement de
la gauche est à mesurer à l’aune d’une métropole restée à droite et ayant les
compétences sur de nombreux secteurs clés, comme les transports et l’énergie.
Surtout, les maires écologistes se confrontent à de nombreux blocages
juridiques et budgétaires au niveau national, voire européen. Des freins qu’ils
espèrent lever d’ici la fin de leurs mandats. Car même si leur succès est à
relativiser, en raison notamment de la faible participation qui semble leur
avoir profité, EELV et ses alliés ont désormais beaucoup plus de voix et
d’échos pour faire infuser leurs idées jusqu’au niveau national. C’est l’un des
objectifs du réseau des villes écologiques et solidaires, qui a posé sa
première pierre à Tours, le 22 juillet dernier, en présence d’une
trentaine de maires de grandes, moyennes et petites villes, dont beaucoup de
mairies EELV, PS (dont Paris, Rennes, Nantes, Lille…) mais aussi communiste
(Montreuil). « Le premier objectif de ce réseau, c’est de partager nos
bonnes pratiques dans la lutte pour l’environnement et pour la justice
sociale, détaille Éric Piolle, qui était entre 2014 et 2020 le seul
maire écologiste de grande ville, à Grenoble. Mais nous devons aussi
faire bloc pour peser au niveau national, obtenir davantage de moyens pour que
la transition écologique soit possible, faire bouger les lignes, les cadres
réglementaires, pour aller plus loin. »
« On constate que le gouvernement ne va pas assez vite sur des points
essentiels, comme la mobilité, le ferroviaire, la relocalisation de la
production alimentaire… abonde Léonore Moncond’Huy. L’écologisme
municipal a de nombreuses limites mais c’est une première étape pour diffuser
ces idées et servir de catalyseurs. Si on donne libre cours à nos idées et aux
initiatives citoyennes, à un moment donné les échelons supérieurs devront en
tenir compte et s’adapter. » À Tours, les maires ont par exemple acté
un soutien à la coopérative Railcoop, ligne ferroviaire entre Bordeaux et
Lyon. « Lorsque l’État verra que ces initiatives fonctionnent,
apportent des solutions tout en étant rentables, il se ressaisira de ces
questions », ajoute la maire de Poitiers, qui a également salué la
présence en Touraine de maires de petites villes, permettant d’ouvrir le débat
sur la mise en œuvre de politiques écologiques dans les zones rurales. « On
entend encore des critiques d’une écologie qui serait réservée aux bobos, aux
villes ou à ceux qui peuvent se la payer, constate Marc Hoffsess,
adjoint à la maire de Strasbourg, chargé de la transformation écologique de la
ville. Il faut relier les villes aux campagnes grâce aux transports,
les intégrer dans les plans de relocalisation de la production d’énergie ou
alimentaire. C’est aussi comme ça qu’on aura la représentativité la plus grande
possible. »
Alors que leurs suffrages se concentrent jusque-là très majoritairement
dans les grandes villes, les écologistes sont conscients que leur poids est
insuffisant dans les zones périphériques et rurales. Un plafond de verre qu’il
leur faudra briser pour espérer diffuser davantage leurs idées, et assouvir des
ambitions de plus en plus grandes.
Florent Le Du
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