Cette nouvelle période de sécheresse
ravive les débats sur le partage de l’eau en France. Marion Veber, responsable
des programmes de la Fondation Danielle-Mitterrand, pointe du doigt les
politiques nationales et les opérateurs privés, tout en préconisant plus de
démocratie. Entretien.
Marion Veber
Responsable des programmes à la Fondation Danielle-Mitterrand
La France semblait épargnée par les crises hydriques jusque-là. Ce temps
est-il révolu ?
Marion Veber : Il suffit d’observer ce qu’il se passe : le nombre de sécheresses
augmente, c’est presque devenu normal. Chaque année, des territoires sont
placés en zone de crise hydrique. Je pense notamment au Massif central qui
subit des sécheresses depuis quatre ans. Celles-ci sont la conséquence des
activités humaines et de nos choix de développement qui ont bouleversé le cycle
de l’eau. Nous avons priorisé une agriculture intensive et chimique, surtout
après la Seconde Guerre mondiale, pour en tirer un maximum de bénéfices. Ce qui
nous a menés à des monocultures à grande échelle, perdant tout lien raisonné et
raisonnable à la terre. Nous ne pointons pas du doigt les agriculteurs, mais le
modèle agricole décidé au niveau national et européen avec la PAC. Il existe aussi
une fracture importante entre la métropole et les Outre-mer. C’est un problème
qui ne touche pas que l’agriculture, mais également les besoins vitaux des
populations (boisson, hygiène, etc.).
Comment expliquer que la situation n’évolue pas ?
Marion Veber : Ce système agricole va à l’inverse des préconisations des experts
du climat et des hydrologues. Ils nous invitent à revenir à des systèmes liés à
la permaculture, à l’agroécologie, et à travailler sur des parcelles plus
petites. Toutes les pistes nous sont données. Mais elles ne sont pas retenues,
car il existe un lobbying du secteur privé de l’eau. La France accueille parmi
les plus importantes multinationales du secteur (Veolia, Suez, Saur). La
tendance mondiale qui consiste à marchandiser, privatiser et financiariser
l’eau, mais aussi à promouvoir des solutions basées sur la technologie,
renforce les problèmes. Ces idées sont portées par les multinationales et les
autres acteurs de l’eau. Ils se réunissent, notamment lors des forums mondiaux
de l’eau, tous les trois ans, et influent sur les décisions des organes de
l’ONU et des États. L’eau ne devrait pas être pensée comme une ressource à
gérer, mais bien comme un élément soutenant la vie.
Comment éviter la répétition de ces crises hydriques ?
Marion Veber : Après les élections de mars dernier, on va voir si les
remunicipalisations promises vont être engagées. C’est un enjeu clé pour penser
l’eau sur le long terme, en apportant davantage de démocratie et de
transparence. Il faut privilégier une approche par les droits humains, et non
par le marché. L’eau est un droit, elle ne se mérite pas. La place des usagers
est aussi très faible sur les décisions autour de l’eau. Il faudrait redonner
davantage de poids à certains usagers dans les comités de bassin (instances de
concertation locale sur la gestion de l’eau – NDLR). Malheureusement, le
gouvernement ne semble pas conscient de la situation et ne prend pas de
décision en ce sens. Certaines avancées ne sont pas retenues, alors qu’elles
constituent un consensus dans la communauté scientifique et sont mises en place
dans certains territoires en France. Les agriculteurs sont nombreux à se
considérer paysans avant tout, et non pas exploitants. Il faut surtout montrer
les réussites et les modèles vertueux, à la fois pour les écosystèmes, mais
aussi pour les agriculteurs.
Entretien réalisé par
Mathieu Lorrriaux
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