L’ordonnance chargée de mettre en musique
la lutte contre l’habitat indigne doit entrer en vigueur en janvier prochain.
L’Humanité a eu connaissance de ce texte qui comporte des reculs pour les
locataires et des cadeaux aux propriétaires.
En théorie, ça devait être une vraie avancée. Adoptée à l’automne 2018, la
loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi
Elan, promettait des outils pour faciliter la lutte contre l’habitat indigne.
L’ordonnance de mise en application, qui a été discutée début juillet et
devrait être adoptée en Conseil des ministres en septembre, laisse pourtant les
acteurs du secteur perplexes, voire franchement inquiets. « Cette loi
est destinée à simplifier l’action des pouvoirs publics. Mais du point de vue
des occupants, elle pose de nombreuses questions. D’une part, cela ne leur
évitera pas d’être pris, dans une partie de ping-pong entre les autorités
compétentes, qui se renvoient la balle. De l’autre, il n’y a aucune garantie
qu’il n’y ait pas une régression de leurs droits », résume Samuel Mouchard,
responsable de l’espace solidarité habitat de la Fondation Abbé-Pierre (FAP),
qui reçoit et accompagne des victimes de marchands de sommeil.
Une dilution des responsabilités
Premier point d’incompréhension, l’absence d’un acteur unique et
intelligible en matière de lutte contre l’habitat indigne. L’objectif de
l’ordonnance tel qu’il est annoncé dans la loi est « d’harmoniser et de
simplifier les polices administratives », c’est-à-dire les différentes
réglementations qui s’appliquent. À l’heure actuelle, il en existe treize, sept
agissant au nom du Code de la construction et de l’habitation et cinq au titre
du Code de santé publique. Veiller au respect des premières règles est du
ressort du maire, quand celles liées à la santé relèvent de la responsabilité
de l’État. Cette dilution des responsabilités complique la recherche de
solutions. En mai 2019, le député PCF Stéphane Peu avait déposé une proposition
de loi pour « établir clairement la répartition des responsabilités
entre État, collectivités et établissements publics afin d’éviter l’effet
ping-pong » et faire de l’État le seul garant de la lutte contre
l’habitat indigne.
L’ordonnance proposée par le gouvernement ne résout pas ce problème. En
regroupant l’ensemble des réglementations dans une seule police, comme l’avait
proposé en mai 2017 un rapport du député LaREM du Val-d’Oise Guillaume
Vuilletet, elle devrait néanmoins faciliter le travail de ceux qui sont chargés
de mettre en œuvre les mesures contre les marchands de sommeil. « Avec
cette simplification, on peut espérer que les procédures seront plus rapides »,
commente Jean-Baptiste Eyraud, président de Droit au logement (DAL). Pour
autant, les responsabilités restent divisées et les démarches toujours aussi
complexes pour les locataires. « Il n’y a plus qu’une législation, mais
les acteurs restent les mêmes, déplore Samuel Mouchard. Cela
veut dire que les occupants de ces logements vont continuer à ne pas savoir
vers qui se tourner, avec un risque que celui qui est interpellé, le maire ou
la préfecture, se dise incompétent. On a raté l’opportunité de faciliter les
démarches des victimes, en leur offrant un interlocuteur unique. »
Un cadeau aux marchands de sommeil
Une autre disposition du texte s’apparente à un véritable cadeau offert aux
marchands de sommeil. La suspension immédiate et automatique des loyers suite à
un arrêté d’insalubrité sur les parties communes, aujourd’hui en vigueur, y est
supprimée. L’ordonnance stipule que « lorsque l’arrêté de mise en
sécurité porte exclusivement sur les parties communes d’une copropriété, les
loyers ne cessent d’être dus que pour les logements devenus inhabitables ».
Cette disposition est un retour en arrière. « La suspension des loyers
est un des outils les plus efficaces de lutte contre l’habitat insalubre. Cette
mesure joue autant un rôle de prévention auprès des propriétaires qu’un rôle de
protection auprès des locataires », a rappelé, le 30 juillet, Ian
Brossat, adjoint PCF en charge du logement à la mairie de Paris, dans une
lettre adressée à la nouvelle ministre du Logement, Emmanuelle Wargon. La
question n’est pas un point de détail. Dans une grande partie des logements
indignes, ce sont avant tout les parties communes qui sont touchées, les
propriétaires veillant à maintenir dans un état acceptable les appartements
pour pouvoir les louer. Autre problème, avec cette nouvelle réglementation, non
seulement les propriétaires négligents vont continuer à toucher des loyers,
mais ils pourront les cumuler avec des aides à la réhabilitation.
À la place de la suspension des loyers, un outil simple et efficace de pression
sur les propriétaires, le gouvernement prévoit la mise en place d’un système
d’astreintes financières. « Le problème, c’est que celles-ci sont
aléatoires. Il faut saisir la justice, obtenir une décision. Toutes les
municipalités n’ont pas les moyens de le faire, et il y a toujours un risque
qu’au bout d’un certain temps, le juge les diminue », explique
Jean-Baptiste Eyraud. Ce système va aussi pénaliser les propriétaires
occupants. Alors que la perte des loyers ne les concernait pas, ils seront désormais
soumis à l’astreinte au même titre que les propriétaires bailleurs. Cette
disposition est d’autant plus injuste que dans les immeubles insalubres, les
propriétaires occupants ont souvent des revenus modestes et peinent déjà à
faire face aux charges de copropriété. Ils se retrouvent aussi souvent otages
d’autres propriétaires indélicats qui refusent de payer leur part de
l’entretien des parties communes. Ces pas en arrière sont en contradiction avec
la volonté affichée par l’ex-ministre du Logement Julien Denormandie de
mener « une véritable guerre aux marchands de sommeil ».
Vers une régression des droits des occupants ?
S’ils semblent une bonne idée, la simplification et le regroupement des
textes de loi inquiètent aussi. « Vouloir rendre les procédures plus
lisibles, c’est bien, mais il faut être vigilant et s’assurer que cela
n’aboutira pas à une régression des droits des occupants. Le système actuel est
complexe, mais il est complet parce qu’il répond à des situations et des
problématiques très diverses. Nous avons l‘impression que dans
l’ordonnance, les problématiques de santé sont désormais passées au second p lan.
C’est un problème quand on sait que beaucoup de situations d’habitat insalubre,
surtout les moins visibles, ont des conséquences graves sur la santé »,
estime Samuel Mouchard. Dans le même ordre d’idées, l’absence de précision
concernant l’application des droits des occupants – droit à bénéficier de
travaux, droit à être hébergé, à être relogé – en cas de procédure d’urgence
est un autre motif d’inquiétude. Certains acteurs du secteur évoquent aussi le
risque que la nouvelle législation, en étant trop imprécise et pas assez
contradictoire, ouvre la voie à de nombreuses contestations de décisions devant
les tribunaux.
Reste la très concrète question du temps. Il aura fallu un peu moins de
deux ans entre la rédaction de la loi Elan et celle de l’ordonnance de mise en
application. Il n’y aura en principe que quatre mois entre l’adoption de
l’ordonnance et son application, prévue en janvier 2021. « Le timing
est court pour arriver à former les personnels des structures de l’État et des
collectivités locales sur le nouveau texte. Nous avons, du coup, des
inquiétudes sur sa mise en œuvre. Il y a un risque de temps de latence dans le
traitement des arrêtés. Si les formations sont insuffisantes, il y a aussi un
risque de voir se multiplier les recours en justice. Il est nécessaire de
laisser a ux acteurs le temps de comprendre les subtilités du texte
et de s’organiser », souligne Cécile Guerin-Delaunay, chargée de
mission conduite de projets de territoire à la fédération Soliha, principale
association de réhabilitation de l’habitat.
En principe, le texte de l’ordonnance n’est pas définitif. Alerté par les
associations et les acteurs du secteur, le gouvernement a indiqué qu’il allait
revoir sa copie. Il a deux mois pour redresser la barre et montrer que sa
volonté de lutter contre l’habitat indigne est plus qu’un affichage.
Camille Bauer
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