lundi 3 août 2020

CINÉMA. QUAND S’ÉTEIGNAIT L’ÉTOILE JEAN SEBERG




L’actrice américaine, dont la vie est portée à l’écran dans un biopic, a vu sa carrière détruite par une campagne de harcèlement et de dénigrement public des autorités fédérales, pour avoir soutenu et financé les Black Panthers.

L’heure de la réhabilitation pour une figure iconique du cinéma des années 1960 et 1970. Dans le biopic Seberg - débarqué, Covid-19 oblige, sur la plateforme de vidéos à la demande Amazon Prime Video, à défaut d’une sortie en salles – l’Australien Benedict Andrews revient sur le destin funeste de Jean Seberg. Quant à Kristen Stewart, elle a la lourde tâche de camper l’actrice américaine, poussée dans la tombe par l’acharnement du FBI.

En France, la mémoire collective retient surtout de Jean Seberg la muse de la Nouvelle Vague. La bouille blonde d’A bout de souffle et sa réplique-culte «qu’est-ce que c’est, « dégueulasse » ? ». Les plus cinéphiles gardent en tête ses débuts dans Sainte Jeanne d’Otto Preminger, où elle manqua de finir brûlée au cours de la scène du bûcher.

Gary-Seberg, un duo aussi tumultueux que légendaire
Les amateurs de ragots se souviendront que Jean Seberg défraya la chronique avec son mariage avec l’écrivain et réalisateur Romain Gary (Yvan Attal, à l’écran), avec qui elle forma un duo aussi tumultueux que légendaire, et sous la direction duquel elle joua deux fois. Une anecdote, aussi haute en couleurs que le couple. Jaloux de Clint Eastwood, duquel Jean Seberg était devenue l’amante pendant le western musical , Romain Gary ira jusqu’à traverser l’Atlantique pour provoquer l’Américain à un duel au revolver. Mais le futur Inspecteur Harry se défila.

Une militante, soutien du Black Panthers
Son activisme politique est moins connu. S’il demeure trop lisse et aseptisé, le film a le mérite de mettre en lumière une femme militante, au diapason des soubresauts de son époque. Proche du mouvement civique pour les Noirs et les « Amérindiens », la star finance, dans les années 1960, diverses organisations, dont les Black Panthers. Cet engagement politique lui vaut d’entrer dans le collimateur du FBI d’Edgar Hoover. Le bureau fédéral voit d’un mauvais œil sa proximité avec Hakim Jamal, cousin de Malcolm X, interprété par Anthony Mackie à l’écran. Le début de la descente aux enfers.

Mise sur écoute, suivie, harcelée, l’actrice perd pied. Un lent naufrage dans la paranoïa et l’alcoolisme que raconte Seberg, illustré par une scène : Jean/Kristen Stewart s’écroule, en larmes, au milieu de sa chambre californienne qu’elle vient de dépiécer avec rage, persuadée que des micros se dissimulent partout.

L’enfant chérie de l’Amérique dans le viseur d’Edgar Hoover
Pire, le FBI se livre à une campagne de dénigrement, dans le but de salir son image publique et de repeindre Jean Seberg en «  perverse sexuelle », selon le surnom dont on l’affublait en interne. La star doit, aux yeux des agents fédéraux, cesser d’être l’enfant chérie de l’Amérique. Atteindre son image, mettre en doute sa probité, c’est discréditer par ricochet le mouvement noir. Dans cette optique, des « fake news » sur l’actrice sont diffusées en 1970.

Edgar Hoover, qui a appris que Jean Seberg est enceinte alors qu’elle est en plein divorce de Romain Gary, suggère d’insinuer dans la presse qu’elle porte un bébé afro-américain. Le père est en réalité un étudiant tiers-mondiste mexicain rencontré sur un tournage. Mais la prétendue relation « interraciale », jugée scandaleuse à l’époque, suffit à jeter l’actrice à la vindicte du public. Dramatique jusqu’au bout, l’affaire se termine avec la mort de l’enfant, Nina, deux jours après sa naissance. Aux funérailles, Jean Seberg doit exposer sa fille dans un cercueil de verre pour prouver à l’opinion qu’elle est bien blanche… Trop tard, les mensonges des fédéraux ont bénéficié de la complicité opportuniste de plusieurs titres de presse, dont Newsweek et le Los Angeles Times.

Le poison de la calomnie
Newsweek fut condamné à la suite d’un procès pour diffamation remporté par Jean Seberg et Romain Gary. Quant au quotidien californien, il ne s’est fendu d’excuses qu’en juin 2020. Dans un article au titre explicite, «  Comment le FBI et le Los Angeles Times ont détruit la vie d’une jeune actrice il y a cinquante ans », le deuxième plus gros journal états-unien admet avoir fait écho, «  sans fact-checking », de «  rumeurs que le FBI avait faites fuiter » pour «  abîmer l’image » de l’actrice. «  Pourquoi avons-nous publié un on-dit incorrect, non sourcé et non vérifié sur la sexualité d’une personnalité à la demande du FBI ? Honte à nous », regrette le LA Times dans son mea culpa.

À partir de 1970, Jean Seberg, épuisée, cesse une bonne fois pour toutes de tourner pour Hollywood et quitte les États-Unis pour la France. Le poison de la calomnie continue de la ravager : l’actrice est accro aux médicaments et à l’alcool. Elle tente de mettre fin à ses jours plusieurs fois, quand tombe la date d’anniversaire de sa fille. En 1978, elle apparaît une dernière fois à l’écran dans Le Bleu des origines de Philippe Garrel.

Le 8 septembre 1979, son corps et un mot d’adieu à son fils Alexandre Diego Gary sont retrouvés à l’arrière de sa Renault, dans le XVI e arrondissement de Paris, près de son domicile. Le rapport d’autopsie conclut que Jean Seberg a succombé à un cocktail fatal d’alcool et de barbituriques. Six jours après, le FBI admettra, par voie de presse, avoir menti à dessein au sujet de l’actrice.

Cyprien Caddéo

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