L’actrice américaine, dont la vie est
portée à l’écran dans un biopic, a vu sa carrière détruite par une campagne de
harcèlement et de dénigrement public des autorités fédérales, pour avoir
soutenu et financé les Black Panthers.
L’heure de la réhabilitation pour une figure iconique du cinéma des années
1960 et 1970. Dans le biopic Seberg - débarqué, Covid-19
oblige, sur la plateforme de vidéos à la demande Amazon Prime Video, à défaut
d’une sortie en salles – l’Australien Benedict Andrews revient sur le destin
funeste de Jean Seberg. Quant à Kristen Stewart, elle a la lourde tâche de
camper l’actrice américaine, poussée dans la tombe par l’acharnement du FBI.
En France, la mémoire collective retient surtout de Jean Seberg la muse de
la Nouvelle Vague. La bouille blonde d’A bout de souffle et sa
réplique-culte «qu’est-ce que c’est, « dégueulasse » ? ». Les plus
cinéphiles gardent en tête ses débuts dans Sainte Jeanne d’Otto
Preminger, où elle manqua de finir brûlée au cours de la scène du bûcher.
Gary-Seberg, un duo aussi tumultueux que
légendaire
Les amateurs de ragots se souviendront que Jean Seberg défraya la chronique
avec son mariage avec l’écrivain et réalisateur Romain Gary (Yvan Attal, à
l’écran), avec qui elle forma un duo aussi tumultueux que légendaire, et sous
la direction duquel elle joua deux fois. Une anecdote, aussi haute en couleurs que
le couple. Jaloux de Clint Eastwood, duquel Jean Seberg était devenue l’amante
pendant le western musical , Romain Gary ira jusqu’à traverser l’Atlantique
pour provoquer l’Américain à un duel au revolver. Mais le futur Inspecteur
Harry se défila.
Une militante, soutien du Black Panthers
Son activisme politique est moins connu. S’il demeure trop lisse et
aseptisé, le film a le mérite de mettre en lumière une femme militante, au
diapason des soubresauts de son époque. Proche du mouvement civique pour les Noirs
et les « Amérindiens », la star finance, dans les années 1960, diverses
organisations, dont les Black Panthers. Cet engagement politique lui vaut
d’entrer dans le collimateur du FBI d’Edgar Hoover. Le bureau fédéral voit d’un
mauvais œil sa proximité avec Hakim Jamal, cousin de Malcolm X, interprété par
Anthony Mackie à l’écran. Le début de la descente aux enfers.
Mise sur écoute, suivie, harcelée, l’actrice perd pied. Un lent naufrage
dans la paranoïa et l’alcoolisme que raconte Seberg, illustré par une
scène : Jean/Kristen Stewart s’écroule, en larmes, au milieu de sa chambre
californienne qu’elle vient de dépiécer avec rage, persuadée que des micros se
dissimulent partout.
L’enfant chérie de l’Amérique dans le
viseur d’Edgar Hoover
Pire, le FBI se livre à une campagne de dénigrement, dans le but de salir
son image publique et de repeindre Jean Seberg en « perverse sexuelle »,
selon le surnom dont on l’affublait en interne. La star doit, aux yeux des
agents fédéraux, cesser d’être l’enfant chérie de l’Amérique. Atteindre son
image, mettre en doute sa probité, c’est discréditer par ricochet le mouvement
noir. Dans cette optique, des « fake news » sur l’actrice sont diffusées en
1970.
Edgar Hoover, qui a appris que Jean Seberg est enceinte alors qu’elle est
en plein divorce de Romain Gary, suggère d’insinuer dans la presse qu’elle
porte un bébé afro-américain. Le père est en réalité un étudiant tiers-mondiste
mexicain rencontré sur un tournage. Mais la prétendue relation
« interraciale », jugée scandaleuse à l’époque, suffit à jeter l’actrice à la
vindicte du public. Dramatique jusqu’au bout, l’affaire se termine avec la mort
de l’enfant, Nina, deux jours après sa naissance. Aux funérailles, Jean Seberg
doit exposer sa fille dans un cercueil de verre pour prouver à l’opinion
qu’elle est bien blanche… Trop tard, les mensonges des fédéraux ont bénéficié
de la complicité opportuniste de plusieurs titres de presse, dont Newsweek et le
Los Angeles Times.
Le poison de la calomnie
Newsweek fut condamné à la suite d’un procès pour diffamation remporté par
Jean Seberg et Romain Gary. Quant au quotidien californien, il ne s’est fendu
d’excuses qu’en juin 2020. Dans un article au titre explicite, « Comment
le FBI et le Los Angeles Times ont détruit la vie d’une jeune
actrice il y a cinquante ans », le deuxième plus gros journal états-unien
admet avoir fait écho, « sans fact-checking », de
« rumeurs que le FBI avait faites fuiter » pour « abîmer
l’image » de l’actrice. « Pourquoi avons-nous publié un on-dit
incorrect, non sourcé et non vérifié sur la sexualité d’une personnalité à la
demande du FBI ? Honte à nous », regrette le LA Times dans
son mea culpa.
À partir de 1970, Jean Seberg, épuisée, cesse une bonne fois pour toutes de
tourner pour Hollywood et quitte les États-Unis pour la France. Le poison de la
calomnie continue de la ravager : l’actrice est accro aux médicaments et à
l’alcool. Elle tente de mettre fin à ses jours plusieurs fois, quand tombe la
date d’anniversaire de sa fille. En 1978, elle apparaît une dernière fois à
l’écran dans Le Bleu des origines de Philippe Garrel.
Le 8 septembre
1979, son corps et un mot d’adieu à son fils Alexandre Diego Gary sont
retrouvés à l’arrière de sa Renault, dans le XVI e arrondissement de
Paris, près de son domicile. Le rapport d’autopsie conclut que Jean Seberg a
succombé à un cocktail fatal d’alcool et de barbituriques. Six jours après, le
FBI admettra, par voie de presse, avoir menti à dessein au sujet de l’actrice.
Cyprien Caddéo
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