« Pomme dédiée à la mer, narcisse du marbre, papillon de pierre, Beyrouth,
forme de l’âme dans le miroir. » Ainsi débute le poème de Mahmoud
Darwich, la Qasida de Beyrouth, qui nous revient en mémoire
alors que la souffrance et la désolation ont, une fois de plus, empli les rues
de la capitale libanaise. Beyrouth pensait en avoir fini avec la tristesse et
la mort, elle qui a tant donné à l’affrontement des hommes : guerre civile,
attentats, invasion et occupation israélienne, syrienne, guerre à nouveau menée
par Israël en 2006… La voilà encore ravagée et meurtrie.
Rien n’aura été épargné aux Beyrouthins, qui pensaient avoir tout vu, tout
vécu. Ils se sont toujours relevés, malgré les difficultés. Cette fois,
pourtant le choc est d’autant plus rude qu’inattendu. « Beyrouth est
presque complètement détruite ! Je ne suis plus certaine que les gens s’en
remettront cette fois… », nous a répondu une amie vivant dans le
quartier de Hamra à qui, inquiets, nous demandions des nouvelles.
Le gouvernement libanais pointe du doigt, nous dit-on, une cargaison de
nitrate d’ammonium stockée « sans mesures de précaution » dans
le port. Le degré ultime d’une incurie qui ne doit rien au hasard dans un pays
totalement gangrené par la corruption, l’un des fruits du confessionnalisme et
du clanisme, les deux mamelles autour desquelles s’est bâti l’État au pays du
Cèdre. Un partage du gâteau voulu par quelques potentats dont la seule
préoccupation est d’entretenir la division au sein des populations afin de se
maintenir au pouvoir, avec la bénédiction – si l’on peut dire – des
pays occidentaux.
Ces derniers mois, ce
pouvoir a été ébranlé par des centaines de milliers de Libanais qui, au nom de
la citoyenneté et quelle que soit leur confession, ont dit « ça suffit ! », en
brandissant le drapeau libanais, signe de leur unité. Assez de la gabegie,
assez de l’exode d’une jeunesse en mal d’avenir, assez de la violence, assez de
la mal-vie. Aujourd’hui, les Libanais pleurent leurs morts. Demain, ils ne
demanderont pas seulement des comptes aux responsables mais leur départ
définitif pour reconstruire Beyrouth en même temps qu’un État moderne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire