Dans les 10 Commencements du jour
d’après, Pierre Dharréville recense les leçons politiques à tirer de la crise
sanitaire et les bonnes intentions qui en ont émergé. Pour ne pas les oublier,
et mieux construire la société d’après. Entretien
Pourquoi jugiez-vous nécessaire de consigner, dans ce livre, les différentes
leçons à tirer de cette crise ?
Pierre Dharréville : Parce qu’il y en a beaucoup. Le confinement a
passé notre société au révélateur et nous pose la question de quelle humanité
nous voulons. En temps normal, cette réflexion est absente alors qu’elle doit
structurer beaucoup plus le débat public. La crise a aussi révélé de nombreuses
erreurs, sur le court comme sur le long terme, qu’il s’agira de ne plus
reproduire. Par ailleurs, je voulais aussi rappeler les différentes bonnes
intentions qui ont pu s’égrainer dans le débat public, parfois même de la part
de nos dirigeants. Je pense par exemple au besoin de relocaliser un certain
nombre de productions, de renforcer les services publics… Des paroles
pertinentes ont été prononcées pendant la crise et il est important de les
rappeler. Les leçons à tirer ne doivent pas être oubliées.
Les différentes idées que vous développez dans ce livre, comme justement
les relocalisations et le renforcement des services publics, ne sont pas
nécessairement nouvelles, mais la crise peut-elle les rendre plus audibles ?
Pierre Dharréville : Je l’espère, j’ai le sentiment en tout cas que
la société s’est rendu compte d’un certain nombre de problématiques et de
besoins. Sur la question de la santé particulièrement, bien sûr. Comment on
garantit le droit à la santé pour tous et toutes ? C’est une question qui avait
déjà été posée, avec force et par plusieurs acteurs, sans que nous soyons
entendus. La crise doit nous forcer à y répondre, à réfléchir à un autre
système, plus juste pour les soignés comme pour les soignants. Elle nous
interroge aussi sur l’avenir à donner à l’hôpital public, après des années de
casse, la population l’a bien compris, et c’est cela qui a forcé le
gouvernement à faire quelques efforts, certes insuffisants.
La nécessité de renforcer les services publics concerne l’hôpital mais pas
seulement, vous proposez d’ailleurs la création d’un service public du
numérique, pour quelles raisons ?
Pierre Dharréville : Les services publics ont été attaqués ces
dernières décennies de manière claire et répétée ; or, dans ce moment de
fragilité, nous avons bien vu à quel point nous en avons besoin. Nous devons
réfléchir à la façon de réenclencher leur dynamique dans notre pays, en
renforcer certains, en créer d’autres, comme le numérique. La crise a révélé
que son accès était absolument essentiel alors que les inégalités, sociales et
territoriales, sont criantes. Le droit au numérique dans notre pays est très
réduit, et le garantir ne peut passer que par un service public. Sa création
est aussi rendue nécessaire par l’importance phénoménale qu’ont prise les Gafam
dans nos vies de manière insidieuse. L’application de traçage StopCovid, que
nous n’avons pas pu construire nous-mêmes, montre le besoin de maîtriser les
outils et les utilisations des données. Nous devons être capables de proposer
des outils numériques à un usage d’intérêt général plutôt que de confier ces
missions à des intérêts privés.
La période de confinement a également rappelé que de nombreux métiers
indispensables sont peu reconnus et précaires. Pour y remédier, vous appelez
notamment à valoriser la « qualification » plutôt que la « compétence »,
c’est-à-dire ?
Pierre Dharréville : Aujourd’hui, on
cherche à former les gens non plus au métier mais à la tâche. Les travailleurs
ne sont plus formés pour exercer un métier, se situer dans une chaîne, être
capable d’y contribuer, en ayant conscience de ce qui se passe en amont et en
aval. On ne cherche pas à faire des personnes des acteurs de leur travail mais
à en faire des instruments. Le vice, c’est de rendre les travailleurs
interchangeables, ou de le faire croire, et donc de dévaloriser leur tâche,
leur statut et leur salaire. Je défends donc la reconnaissance de la
qualification, qui appelle la reconnaissance salariale, codifiée dans des
grilles. Tous les métiers ont besoin de femmes et d’hommes qui sont pleinement
acteurs de leur travail mais ne le subissent pas.
Entretien réalisé par Florent Le Du
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