La pêche intensive décime le cétacé au
point de menacer cette espèce protégée. En juillet, la Commission européenne a
mis en demeure l’État français : celui-ci a jusqu’au 2 octobre pour
endiguer l’hécatombe.
Un triste classique de l’hiver, l’échouage de dauphins communs sur les
côtes françaises, s’est répété cet été, quasi quotidiennement. L’espèce,
pourtant protégée, n’a pas connu de répit. Les images de dauphins et autres
cétacés échoués sur les plages ou pris dans les filets de pêche ont fait la une
de la presse régionale et locale.
L’État doit agir et vite, alertent les scientifiques et les ONG qui ont
interpellé, le 15 août, les ministres concernés (voir encadré). Le
2 juillet, la Commission européenne a mis en demeure l’État français
d’agir sous trois mois, sous peine de sanctions et d’amende. Le même jour, ce
dernier avait été condamné par le tribunal administratif de Paris pour avoir
« manqué à ses obligations face à la surmortalité de cétacés sur la façade
atlantique ».
Une situation intenable pour la survie de
l’espèce
La surmortalité de dauphins, due au développement de la pêche intensive,
existe depuis plus de vingt ans. Mais elle connaît une hausse exponentielle ces
dernières années, « une explosion de captures, intenable pour la survie de
l’espèce », affirme Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, l’ONG
de défense des océans.
Réfutant le terme « accidentel » ou « prise accessoire », elle relève :
« Le taux d’échouage enregistré par les scientifiques est 30 fois
supérieur au taux normal. On en tue plus que dans les îles Féroé ou au Japon.
Le taux de mortalité fixé pour une année entière est dépassé en un mois
seulement ! »
Le bilan 2020 pourrait être très lourd. Les spécialistes parlent
d’hécatombe. De décembre à mai, 1 160 dauphins communs avaient échoué sur
les côtes françaises, 1 200 durant l’hiver 2018-2019. L’Observatoire
Pelagis, de l’université de La Rochelle, chargé du recensement, craint que 2020
soit pire que 2019, considérée déjà comme « une année record ». Près de
11 500 dauphins sont morts durant l’hiver 2019, rapporte le dernier
bilan de l’observatoire, l’échouage n’étant que la partie émergée de ce triste
record. Il faut y ajouter ceux capturés dans les filets, et tous les autres,
blessés par les engins de pêche, qui sombrent par milliers au fond des océans.
Sur une population estimée à moins de 200 000, on peut parler d’espèce en
danger.
Le manque de courage des politiques face
au lobby de la pêche
« C’est bien la pêche intensive qui est en cause », accuse Ken Kawahara,
secrétaire de la Plateforme de la petite pêche artisanale française. « Surtout
depuis une dizaine d’années avec des nouvelles pratiques et engins visant à
optimiser les efforts de pêche », explique le pêcheur breton. Ainsi, le chalut
pélagique, en forme d’entonnoir, adapté à la pêche en pleine eau, tiré par un
ou deux bateaux, ratisse tout sur son passage. Les 160 chaluts pélagiques
français ramènent, à eux seuls, environ 80 % des poissons dans nos ports.
Autre phénomène nouveau, et dangereux, souligne Ken Kawahara, les filets dits
« pêche tout » pour aller chercher le bar, à la place des soles dont les quotas
ont fortement diminué. Ils font 5 à 6 mètres de hauteur, contre
1 mètre pour la sole.
« Capturer le plus et le plus vite pour une demande qui explose, le
problème de fond est là », estime Lamya Essemlali, qui déplore « le manque de
courage politique de la France face au puissant lobby de la pêche ». Les
mesures prises jusque-là pour limiter le désastre sont jugées insuffisantes et
inefficaces, tant par les ONG que par les petits pêcheurs. Les pingers, ces
répulsifs acoustiques, présentés comme « la solution », ont pour effet
d’éloigner le dauphin de la zone de pêche, qui est précisément sa zone de
nourriture. Résultat : les dauphins meurent aussi de faim.
« On ne peut pas continuer comme ça, il
faut des mesures d’urgence et des solutions durables », estime Élodie
Martinie-Cousty, du réseau océans à France Nature Environnement (FNE). Parmi
ces solutions, la fermeture des zones de pêche, entre janvier et mars, période
de reproduction des dauphins, est considérée comme la plus efficace, en même
temps qu’un renforcement des contrôles, comme le recommande la Commission
européenne. À condition, ajoute Élodie Martinie-Cousty, qui préside aussi le
groupe Environnement-Nature du Conseil économique, social et environnemental,
qu’elle soit accompagnée d’un système d’indemnisation des pêcheurs et de
formation à la pêche durable.
Latifa Madani
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