Des dizaines de milliers d’opposants se
sont encore rassemblés dimanche pour contester la réélection du président
autocrate Alexandre Loukachenko. Des divergences émergent au bout de quinze
jours sur le projet à mettre en place et les défis à relever désormais pour le
pays.
Pour le deuxième dimanche consécutif, d’importants rassemblements ont eu
lieu hier en Biélorussie. Dans la capitale, la foule s’est réunie principalement
sur la place de l’Indépendance, où la police ne cessait de répéter : « Chers
citoyens, c’est un rassemblement non autorisé. » En face, les dizaines
de milliers de manifestants leur ont répondu par des « Liberté,
liberté » et ont appelé la fin des violences et de nouvelles
élections. Beaucoup moins massif que la semaine passée, le mouvement a réussi à
se maintenir dans plusieurs villes du pays. Essoufflement ? « Peut-être, note
Sergueï Dilevskovo, qui a dirigé les grèves dans l’usine de tracteurs de Minsk
(MTZ). Même si aujourd’hui, moins de monde va manifester dans les rues,
ce qui s’est produit marque un tournant à jamais. L’annonce du résultat et les
violences ont révélé cette colère profonde dans la société. »
« J’ai peur que l’on soit dépossédés de ce
combat »
Officiellement, le président Alexandre Loukachenko a décroché un sixième
mandat, le 9 août, avec 80 % des voix. Une victoire non reconnue par
l’opposition et sa représentante Svetlana Tsikhanovskaïa, aujourd’hui réfugiée
en Lituanie. « La réponse du pouvoir a engendré cette
mobilisation. La non-prise en compte d’un ras-le-bol qui s’est exprimé autour
de la candidature de Tsikhanovskaïa a produit une égérie médiatique. Cette
fracture au sein de la société et les violences contre les manifestants ont
abouti à ce que beaucoup de Biélorusses descendent dans la rue. Mais des
différences idéologiques existent clairement entre libéraux, nationalistes,
progressistes. D’où des divisions dans ce mouvement, notamment chez les
ouvriers », analyse Pavel, un responsable syndical.
Les actions de grève ont été l’un des moments forts des deux semaines de
mobilisation pour réclamer la fin des violences, la libération des détenus et
de nouvelles élections. Des collectifs de travail se sont déployés dans les
nombreuses usines publiques de construction automobile que compte la
Biélorussie : BelAZ (engins miniers), MAZ (camions et autobus), MTZ
(tracteurs), et aussi dans l’électronique (Integral), la métallurgie (BMZ) et
les mines (potasse avec Belaruskali).
Dans le système économique biélorusse, leur poids est prépondérant. Près de
25 % de la population travaille dans les grandes industries. Si l’atout
commercial demeure l’achat du pétrole à prix préférentiel à la Russie pour le
réexporter vers l’Europe, l’industrie chimique (engrais) et la production de
véhicules automobiles demeurent essentielles. La pression est donc mise sur les
ouvriers et les mineurs aussi bien par l’opposition, qui se rend sur place dans
les usines, que par le pouvoir, qui a licencié un certain nombre de grévistes.
Malgré des caisses de solidarité, le mouvement semble s’effriter. La nécessité
de toucher un salaire, la crainte de perdre son emploi ou d’enclencher un
événement dévastateur pour son pays reviennent dans plusieurs témoignages. Pour
Oleg, un ouvrier de l’usine automobile MAZ, « je suis en colère contre
ce régime qui ne nous écoute pas. Mais, on a l’impression que tout va très
vite, trop vite. Au final, j’ai peur que l’on soit dépossédé de ce combat pour
la liberté au profit d’un projet qui ne s’intéresse guère aux travailleurs.
Cette mécanique de part et d’autre m’inquiète ».
Si le mouvement a gagné l’ensemble des villes, la Biélorussie plus rurale
demeure attachée au président biélorusse, qui a défendu les secteurs agricole
et forestier. Avec les usines, ils ont été les principaux bénéficiaires de sa
politique sociale et économique. La crainte du changement fonctionne donc à
plein dans ces deux secteurs.
La stratégie du président biélorusse a évolué ces derniers jours (lire
ci-contre). Il a durci son discours. Alexandre Loukachenko a ordonné samedi à
son ministre de la Défense de prendre les « mesures les plus
strictes » pour défendre l’intégrité territoriale du pays et affirmé
la veille qu’il allait « régler le problème » du mouvement de
protestation. Il a ainsi lancé une enquête et des poursuites pour coup d’État
et atteinte à la sécurité nationale contre les membres du conseil de
coordination créé par l’opposition. Sa rhétorique contre les ingérences
extérieures et pour la stabilité du pays fonctionne. Les interventions
européennes appelant à soutenir les manifestants ont renforcé son discours,
tout comme l’attitude des gouvernements polonais et lituanien, favorables à un
changement de pouvoir. « Loukachenko part au bras de fer. Est-ce pour
mieux obliger l’ensemble des acteurs à ne pas le laisser de côté ? L’opposition
va devoir passer par une phase de négociation », estime pour sa part un
diplomate français. Depuis Vilnius, Svetlana Tsikhanovskaïa a d’ailleurs
reconnu samedi qu’un dialogue était nécessaire dès que possible « pour
que la crise ne devienne pas plus profonde ».
Dans cette guerre de l’information, le
chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a fait un pas de côté. Dans un
entretien publié dimanche par le quotidien espagnol El Pais, il a plaidé pour
éviter que la Biélorussie devienne une « seconde Ukraine », estimant
nécessaire de traiter avec le président Loukachenko. Un autre acteur a fait son
apparition, les États-Unis. Le secrétaire d’État adjoint américain Stephen
Biegun doit se rendre cette semaine en Lituanie et en Russie.
Vadim Kamenka
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