dimanche 23 août 2020

BIÉLORUSSIE. LE MOUVEMENT S’ANCRE MAIS SE DIVISE SUR LES ALTERNATIVES POLITIQUES




Des dizaines de milliers d’opposants se sont encore rassemblés dimanche pour contester la réélection du président autocrate Alexandre Loukachenko. Des divergences émergent au bout de quinze jours sur le projet à mettre en place et les défis à relever désormais pour le pays.

Pour le deuxième dimanche consécutif, d’importants rassemblements ont eu lieu hier en Biélorussie. Dans la capitale, la foule s’est réunie principalement sur la place de l’Indépendance, où la police ne cessait de répéter : « Chers citoyens, c’est un rassemblement non autorisé. » En face, les dizaines de milliers de manifestants leur ont répondu par des « Liberté, liberté » et ont appelé la fin des violences et de nouvelles élections. Beaucoup moins massif que la semaine passée, le mouvement a réussi à se maintenir dans plusieurs villes du pays. Essoufflement ? « Peut-être, note Sergueï Dilevskovo, qui a dirigé les grèves dans l’usine de tracteurs de Minsk (MTZ). Même si aujourd’hui, moins de monde va manifester dans les rues, ce qui s’est produit marque un tournant à jamais. L’annonce du résultat et les violences ont révélé cette colère profonde dans la société. »

« J’ai peur que l’on soit dépossédés de ce combat »
Officiellement, le président Alexandre Loukachenko a décroché un sixième mandat, le 9 août, avec 80 % des voix. Une victoire non reconnue par l’opposition et sa représentante Svetlana Tsikhanovskaïa, aujourd’hui réfugiée en Lituanie.  « La réponse du pouvoir a engendré cette mobilisation. La non-prise en compte d’un ras-le-bol qui s’est exprimé autour de la candidature de Tsikhanovskaïa a produit une égérie médiatique. Cette fracture au sein de la société et les violences contre les manifestants ont abouti à ce que beaucoup de Biélorusses descendent dans la rue. Mais des différences idéologiques existent clairement entre libéraux, nationalistes, progressistes. D’où des divisions dans ce mouvement, notamment chez les ouvriers », analyse Pavel, un responsable syndical.

Les actions de grève ont été l’un des moments forts des deux semaines de mobilisation pour réclamer la fin des violences, la libération des détenus et de nouvelles élections. Des collectifs de travail se sont déployés dans les nombreuses usines publiques de construction automobile que compte la Biélorussie : BelAZ (engins miniers), MAZ (camions et autobus), MTZ (tracteurs), et aussi dans l’électronique (Integral), la métallurgie (BMZ) et les mines (potasse avec Belaruskali).

Dans le système économique biélorusse, leur poids est prépondérant. Près de 25 % de la population travaille dans les grandes industries. Si l’atout commercial demeure l’achat du pétrole à prix préférentiel à la Russie pour le réexporter vers l’Europe, l’industrie chimique (engrais) et la production de véhicules automobiles demeurent essentielles. La pression est donc mise sur les ouvriers et les mineurs aussi bien par l’opposition, qui se rend sur place dans les usines, que par le pouvoir, qui a licencié un certain nombre de grévistes. Malgré des caisses de solidarité, le mouvement semble s’effriter. La nécessité de toucher un salaire, la crainte de perdre son emploi ou d’enclencher un événement dévastateur pour son pays reviennent dans plusieurs témoignages. Pour Oleg, un ouvrier de l’usine automobile MAZ, « je suis en colère contre ce régime qui ne nous écoute pas. Mais, on a l’impression que tout va très vite, trop vite. Au final, j’ai peur que l’on soit dépossédé de ce combat pour la liberté au profit d’un projet qui ne s’intéresse guère aux travailleurs. Cette mécanique de part et d’autre m’inquiète ».
Si le mouvement a gagné l’ensemble des villes, la Biélorussie plus rurale demeure attachée au président biélorusse, qui a défendu les secteurs agricole et forestier. Avec les usines, ils ont été les principaux bénéficiaires de sa politique sociale et économique. La crainte du changement fonctionne donc à plein dans ces deux secteurs.

La stratégie du président biélorusse a évolué ces derniers jours (lire ci-contre). Il a durci son discours. Alexandre Loukachenko a ordonné samedi à son ministre de la Défense de prendre les « mesures les plus strictes » pour défendre l’intégrité territoriale du pays et affirmé la veille qu’il allait « régler le problème » du mouvement de protestation. Il a ainsi lancé une enquête et des poursuites pour coup d’État et atteinte à la sécurité nationale contre les membres du conseil de coordination créé par l’opposition. Sa rhétorique contre les ingérences extérieures et pour la stabilité du pays fonctionne. Les interventions européennes appelant à soutenir les manifestants ont renforcé son discours, tout comme l’attitude des gouvernements polonais et lituanien, favorables à un changement de pouvoir. « Loukachenko part au bras de fer. Est-ce pour mieux obliger l’ensemble des acteurs à ne pas le laisser de côté ? L’opposition va devoir passer par une phase de négociation », estime pour sa part un diplomate français. Depuis Vilnius, Svetlana Tsikhanovskaïa a d’ailleurs reconnu samedi qu’un dialogue était nécessaire dès que possible « pour que la crise ne devienne pas plus profonde ».

Dans cette guerre de l’information, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a fait un pas de côté. Dans un entretien publié dimanche par le quotidien espagnol El Pais, il a plaidé pour éviter que la Biélorussie devienne une « seconde Ukraine », estimant nécessaire de traiter avec le président Loukachenko. Un autre acteur a fait son apparition, les États-Unis. Le secrétaire d’État adjoint américain Stephen Biegun doit se rendre cette semaine en Lituanie et en Russie.

Vadim Kamenka

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