L’acteur est mort dans sa
quatre-vingt-quatorzième année. Sa carrière, au cinéma comme au théâtre, est
des plus impressionnantes. Il a travaillé avec les plus grands metteurs en
scène de son temps. Un acteur populaire au service de son art.
Il n’était pas particulièrement beau. Il était plus que beau. Il avait un
charme incroyable, un regard tendre, amoureux qui, soudain, s’assombrissait,
passant de la tendresse à la colère sans crier gare. Il avait un sourire
cajoleur, enrôleur, ironique ou carnassier. Tout dépendait de qui était
derrière la caméra. Tout dépendait de son personnage, du rôle qu’il incarnait,
distillant des charges émotionnelles d’un haussement de sourcil, d’un chapeau
qu’il relevait négligemment, d’un imperméable qu’il jetait élégamment sur ses
épaules. Tout semblait naturel, mais derrière ce naturel se cachait un acteur
qui avait la passion de son métier, qui avait l’intelligence du texte, qui ne
laissait rien au hasard, qui étudiait son personnage dans les moindres détails,
et les détails, au cinéma comme au théâtre, sont essentiels.
Il démarre sa carrière d’acteur immédiatement après la guerre. Il n’a pas
fait le conservatoire, a suivi les cours Simon et entre par ce qu’on appelait
alors la petite porte du cinéma, avec quelques apparitions dans des films de
Christian Jacques, Raymond Rouleau, Louis Daquin, René Clément, Jean Delannoy,
Renoir… En 1962, il tient un second rôle dans le Doulos, de Jean-Pierre Melville.
Est-ce ce film-là en particulier ou la constance de son engagement, quelle que
soit l’importance du rôle, depuis une décennie qui le propulse parmi les
acteurs français les plus demandés dans le métier ? En 1963, il est à l’affiche
du Journal d’une femme de chambre, de Buñuel, du Mépris, de Jean-Luc Godard,
de Paparazzi de Jacques Rozier, un making off du Mépris où on le retrouve aux
côtés de Brigitte Bardot, et fait une apparition dans une pièce de théâtre
télévisée, Adieu Philippine, du même Jacques Rozier. Il enchaîne dans les films
de Costa-Gavras, d’Agnès Varda, de Peter Ustinov, de Roger Vadim, de René
Clément, une dizaine de films pour la seule année 1965. En 1966, il incarne
Monsieur Dame, le père secret du petit frère des Demoiselles de Rochefort. Dans
les décors ripolinés de Jacques Demy, Piccoli fredonnant devant un piano d’un
blanc étincelant une chanson d’amour est à tomber… Cette même année, il
retrouve Buñuel dans Belle de jour : il est Henri Husson, personnage
mystérieux, cynique jusqu’au bout des regards concupiscents qu’il promène sur
la silhouette de Séverine (Catherine Deneuve). L’année suivante, nous sommes en
1967, il joue de nouveau dans un film de Costa-Gavras (Un homme de trop) et
initie le beau Benjamin aux plaisirs de la chair et du libertinage dans
Benjamin ou les mémoires d’un puceau, de Michel Deville, dans les bras d’Anne
de Clécy (Catherine Deneuve).
Complicité avec Romy Schneider
Dans la Chamade, adapté du roman de Françoise Sagan par Alain Cavalier, Il
est le riche amant de la jeune Lucile, qui lui échappera avant de revenir vers
lui, celui qui, en dépit de son âge, la laisse vivre à sa guise. C’est la
première rencontre cinématographique avec Romy Schneider. Leur couple à l’écran
marque une complicité amoureuse que le spectateur va suivre, de film en film,
de chanson en chanson, de baisers volés en caresses passionnées. Il est Pierre,
elle est Hélène dans les Choses de la vie, de Claude Sautet. Il est Max, elle
est Lily, dans Max et les ferrailleurs, où tout les oppose, leur milieu, leur
boulot, leur vie, mais ils s’aiment, en secret, en silence. Dans César et
Rosalie, il est la voix off qui vient combler les silences de ce trio amoureux
interprété par Romy Schneider, Yves Montand et Sami Frey. Il recroise
furtivement Romy Schneider dans Mado, toujours de Sautet…
Il y eut un avant et un après Sautet. Mais cet avant comme cet après
témoignent d’un engagement, d’une joie et d’un désir de cinéma des plus
impressionnants. Que ce soit dans les premiers ou deuxièmes rôles, qu’il ne
prête que sa voix, qu’il joue avec des réalisateurs de renom ou des débutants,
Piccoli ne faisait jamais les choses à moitié, attentif à ses partenaires de
jeu, aux consignes du réalisateur, même s’il pouvait les contester, aimable,
simple, discret. Il disait être « souvent tombé amoureux des metteurs en
scène » avec qui il avait travaillé. Au cinéma, comme au théâtre.
Piccoli n’a jamais été un jeune premier, mais il a été de la jeunesse de
tant d’entre nous, toutes générations confondues, tous milieux confondus. Il
avait 38 ans quand Brigitte Bardot lui demandait dans le Mépris : « Et mes
fesses, tu les trouves jolies mes fesses ? » Il a été le copain, l’oncle, le
mari, le beau-frère, le flic, le médecin d’une France métamorphosée, d’une
France en noir et blanc à celle du XXIe siècle. Il a même été ce fabuleux
pape de Nanni Moretti tétanisé par le doute, effrayé, s’échappant dans Rome.
Il a tenu dans ses bras, joué avec les plus grandes actrices de son temps
Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Annie Girardot, Catherine Deneuve, Romy
Schneider, Andréa Ferréol, Miou Miou, Jane Birkin, Juliette Binoche, Dominique
Blanc…
C’était un acteur populaire au sens noble du terme, un acteur qui
ressemblait au monde dans lequel il vivait, à qui tout le monde pouvait
s’identifier à un moment ou à un autre de sa vie. Il ne choisissait pas les
films pour choisir un rôle ; ce qui comptait à ses yeux, c’était le projet, le
texte, le metteur en scène.
Le cœur à gauche
Acteur engagé dans ses films, il l’était aussi dans la vie. Il avait le
cœur à gauche, soutenant le Mouvement de la paix, Amnesty International. Aux
côtés de Jack Ralite, il a joué un rôle essentiel pour la constitution des
états généraux de la culture, tous deux liés par une amitié fraternelle et une
connivence politique à toute épreuve. « Le combat de la vie est toujours
politique… et par les temps qui courent, il est toujours nécessaire »,
disait-il…
Il y a eu le Piccoli de Sautet. Mais aussi
le Piccoli de Luis Buñuel, de Godard, de Manoel de Oliveira, de Leos Carax, de
Nanni Moretti, de Fleischman, de Tavernier, de Costa-Gavras, de Richard Dembo,
de Youssef Chahine, de Louis Malle, d’Édouard Molinaro, de Jean-Claude
Brisseau, de Luis Berlanga, de Raoul Ruiz, de Rivette, de Jacques Demy, d’Agnès
Varda, de Pierre Granier-Deferre, de Claude Chabrol, de Jacques Doillon, de
Claude Lelouch, d’Ettore Scola, de Marco Ferreri, de Marco Bellocchio, des
frères Larrieu… Il est passé de l’autre côté de la caméra trois fois, réalisant
« Alors voilà », « la Plage noire » et « C’est pas
tout à fait la vie dont j’avais rêvé… » Peut-être, mais il a su
accompagner les nôtres.
Marie-José Sirach
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire