vendredi 25 novembre 2022

« La pendule d’argent », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



C’est un angle mort des études sur les violences faites aux femmes. On ne sait pas, précisément, combien de femmes âgées en sont victimes dans le couple. Les études sur le sujet ne prennent tout simplement pas en compte les plus de 75 ans.

En conséquence, le phénomène est littéralement invisibilisé, passé sous silence. Inconsciemment ou pas, la société se conduit comme si la vieillesse protégeait les femmes de ce type de violences. On sait que les personnes âgées peuvent être victimes, derrière les murs de leur domicile ou dans leur chambre d’Ehpad, de violences physiques, de pressions psychologiques, d’humiliations et même de restrictions alimentaires. Mais on ne sait rien ou pas grand-chose des violences au sein même du couple.

Chez les femmes âgées, les circonstances qui conduisent les victimes à ne pas être en capacité de quitter leur conjoint ou de le dénoncer sont amplifiées. Économiques, d’abord. Beaucoup perçoivent le minimum vieillesse et leur âge, par définition, ne leur permet pas un retour à l’emploi. Pour elles, à cette précarité matérielle s’ajoute une pression psychologique amplifiée. Dans nombre de milieux sociaux, les septuagénaires et les octogénaires d’aujourd’hui se sont souvent mariées dans un temps et une société encore plus marqués par le patriarcat et par le poids d’une éducation traditionnelle, qui rend plus difficile, voire inconcevable, le fait de partir. Pour certaines, c’est la continuité de ce qu’elles ont vécu au cours de leur vie. La vieillesse des bourreaux n’émousse pas leur violence. Mais il serait faux de croire que les femmes âgées victimes de violences ou tuées par leur conjoint ne sont que des femmes victimes de violences qui auraient vieilli.

Pour les aider, rien n’existe, si ce n’est l’engagement d’associations. Pourtant, il suffit de regarder ailleurs. Au Canada, a été développé un réseau de maisons d’hébergement dont certaines sont adaptées pour recevoir y compris des femmes en perte d’autonomie. Comme le chantait Brel, tous les vieux ne s’endorment pas un jour et «dorment trop longtemps». Il est des vieilles que la pendule d’argent aurait dû attendre plus longtemps.

 

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