L’ancien maire de Riace fait l’objet d’une cabale judiciaire en Italie. Il a été condamné à treize ans de prison. Son crime : une politique innovante d’accueil des migrants.
Quand il vient en France, c’est toujours dans de beaux
endroits. En novembre 2021, l’Italien Domenico Lucano était à la bourse du
travail de Paris. Fin juin, il a participé à une soirée de solidarité dans la
ville communiste de Bobigny, qui l’a fait citoyen d’honneur. Samedi, il sera à
la Fête de l’Humanité. De solidarité, l’ancien maire de Riace (2004-2018) en a
toujours eu à revendre. Désormais, c’est lui qui en a besoin, condamné à treize
ans de prison, dans une terre où les pires mafieux ne le sont pas à de telles
peines.
Son crime ? Avoir développé dans sa cité de Calabre, dans le sud de l’Italie, une politique innovante d’accueil des migrants. Tout commence un jour de 1998. Celui qui n’est pas encore maire voit débarquer sur la plage des exilés. « Il y avait là plus de 200 personnes, venues du
Kurdistan irakien, turc et syrien. C’était l’un des premiers débarquements en
Calabre », se souvenait-il le 18 octobre 2021 dans un
entretien à. Ces femmes et hommes sont alors conduits à la maison
des Pèlerins.
« Nous avons trouvé un village rempli de maisons inhabitées »
Cet été de 1998, il passe de longues journées dans le
centre de réfugiés. En septembre arrivait la fête des saints Côme et Damien,
médecins venus d’Arabie au IV e siècle et qui ne se
faisaient pas payer par les pauvres. Ils auraient rejoint Riace à la nage. Pour
la célébration de cette fête, la maison des Pèlerins devait retrouver sa
vocation et accueillir les Roms qui viennent nombreux honorer les patrons de la
ville. Un Kurde iranien souffle alors une idée à l’évêque et à Domenico Lucano : « Nous sommes un peuple en exil qui cherche un lieu d’accueil. Et nous avons trouvé un village rempli de maisons inhabitées. » Avec l’évêque, il contacte les propriétaires,
qui à Buenos Aires, qui au Canada, qui dans le nord de l’Italie, tous partis
ailleurs chercher un travail. Peu à peu, les migrants s’installent ; ils vivent
à Riace mieux que dans les bidonvilles des faubourgs
des villes calabraises, où les incendies mafieux contre les abris de ces
travailleurs bon marché sont légion. C’est la résurrection du bourg ; les « autochtones » y trouvent
leur compte.
« Montrer l’exemple est le seul moyen de convaincre »
En 2004, Mimmo Lucano est élu maire. Il utilise alors
la subvention de 30 euros par jour accordée par l’État aux villes qui
accueillent des exilés pour développer les services publics. Par exemple, le
ramassage des déchets – avec un âne et une carriole dans les rues escarpées –
est confié à une coopérative. Une monnaie locale est créée pour faire face aux
retards de paiements… Plusieurs fois, il est réélu.
Pour l’ancien maire de Grande-Synthe, dans le Nord, le
député européen Damien Carême, qui instaura lui aussi une politique d’accueil,
une phrase de Gandhi s’applique à Mimmo Lucano : « Montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul. » Pour l’élu EELV, son ancien collègue italien
est « un de ces combattants qui a assumé ses responsabilités face à la faillite de l’Europe. Il n’y a pas eu de
soulèvement de foules contre la politique d’accueil, grâce aux talents de
pédagogue de Domenico Lucano. Quand on accueille correctement, les choses se
passent extrêmement bien ». Même tonalité du côté de la vice-présidente de la Ligue des droits de
l’homme, Marie-Christine Vergiat : « Par son engagement comme simple citoyen puis élu, Mimmo Lucano a montré que l’accueil des exilés pouvait au contraire redonner l’espoir, en l’espèce à tout un village, ce qui lui vaut les foudres de
l’extrême droite. »
« Domenico Lucano est toujours émerveillé par l’intérêt de la population française »
Vite, Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur de la
Ligue qui cherche à fermer les ports aux migrants, le prend en grippe. Et pour
cause : les
rapports administratifs sont laudateurs sur l’action municipale, et Mimmo Lucano, qui n’est que maire d’une ville de
2 300 habitants, figure en 2016 dans le classement de Forbes des 50 personnes les plus influentes au monde. À
partir de 2015, la justice s’intéresse à l’élu de Riace. Elle déniche des
irrégularités : les appels d’offres n’auraient pas été passés en bonne
et due forme. Comme si la cabale judiciaire ne suffisait pas, une chape de
plomb s’abat sur cette expérience. Un documentaire de la Rai est censuré ; il n’a toujours
pas été diffusé.
Quand Domenico Lucano passera par l’Agora de la Fête
de l’Humanité, au meeting du samedi ou au Village du monde, ce sera un répit
pour lui, alors que son procès en appel se déroule en ce moment même. La
solidarité est importante, rappelle l’antifasciste Paola Vallatta, responsable
de l’Association nationale des partisans italiens de Paris. « J’étais à Bobigny. C’était magnifique de voir dans les yeux de Mimmo Lucano qu’il est toujours émerveillé par l’intérêt de la population française pour son histoire », souligne-t-elle. À la Fête de
l’Humanité, ce grand rassemblement de la solidarité, de l’émerveiller à
nouveau.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire