Madeleine Riffaud est aveugle. Mais elle voit bien mieux que beaucoup. Dans une lettre bouleversante adressée au directeur de l’AP-HP (lire page 10), la résistante de 98 ans, atteinte d’un Covid long, décrit sa prise en charge chaotique aux urgences de l’hôpital Lariboisière. Vingt-quatre heures sur le même brancard, des infirmières débordées qui distribuent des « j’arrive » sans jamais arriver, pas de nourriture, un demi-verre d’eau tiède après douze heures d’attente, aucune explication, aucun contact avec ses proches, la sensation d’être laissée à l’abandon… En 1974, l’ancienne reporter de l’Humanité s’était immergée dans le quotidien des aides-soignantes d’un hôpital parisien, raconté dans les Linges de la nuit. Cinquante ans plus tard, sa plume révoltée constate les mêmes problèmes : « Manque de personnel qualifié, manque de crédit… » L’histoire se répète, mais cette fois dans le tragique.
Madeleine Riffaud est aveugle. Mais si cécité il y a,
elle est du côté de ceux qui ont, à tour de rôle, dégradé le service public
hospitalier, y instillant des logiques de restriction budgétaire, de
rentabilité, en lieu et place d’investissements indispensables. Les vagues
successives de Covid ont fait le reste. Essoré, le personnel – celui qui n’a pas démissionné – ressort
d’un été épouvantable : faute de praticiens et de lits suffisants, 42 établissements ont été contraints de fermer leurs urgences la nuit. Les 19 milliards d’euros du Ségur de la santé ? Une goutte d’eau, loin de restaurer l’attractivité d’un secteur
aux abois.
Madeleine Riffaud est aveugle. Mais elle a une voix
qui tonne encore, parle pour des millions d’autres. Une voix qui témoigne de la
déshumanisation d’un lieu où le souci du soin devrait primer sur tout, là où
patients et personnels sont aujourd’hui en souffrance. Alors que le budget de
la Sécurité sociale est présenté, lundi, en Conseil des ministres, les
syndicats appellent, ce jeudi, à une nouvelle journée d’action. Et suggèrent
aux malades maltraités de porter plainte. Manière d’obliger le
gouvernement à prendre en compte la gravité de la situation. Et à ne plus
fermer les yeux.
LES 19 MILLIARDS D’EUROS DU SÉGUR DE LA SANTÉ ? UNE GOUTTE D’EAU, LOIN DE RESTAURER L’ATTRACTIVITÉ D’UN SECTEUR
AUX ABOIS.
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