Médias : Emmanuel Macron s’est prononcé pour
la suppression de la redevance télé. Une annonce qui inquiète un secteur déjà
fragilisé et ouvre la porte à une privatisation larvée. Les salariés sont
appelés à la grève, ce mardi 28 juin.
L’audiovisuel
public est-il condamné à voir son champ d’action et ses moyens toujours
restreints ? C’est en tout cas la volonté clairement affichée d’Emmanuel Macron, qui a annoncé lors de la campagne présidentielle vouloir supprimer la redevance publique. La proposition, qui n’a pas encore été votée à l’Assemblée nationale, n’en finit plus, depuis,
d’inquiéter tout un secteur déjà mis à mal par le sous-financement. L’idée,
lancée par le chef de l’État au nom de la « sauvegarde du pouvoir d’achat », aurait de quoi séduire l’opinion
publique. En supprimant cet impôt, il fait croire aux Français qu’ils vont
réaliser une économie annuelle de 138 euros (88 euros pour les
habitants d’outre-mer). Argument « démagogique et populiste », rétorque l’intersyndicale des groupes
publics qui appelle à la grève ce mardi 28 juin.
Pour remplacer
le financement de ce service public, la solution d’Emmanuel Macron serait de
l’intégrer dans le budget de l’État. Dès lors, si le montant reste équivalant à
celui de l’actuelle redevance, il va falloir trouver 3,14 milliards
d’euros dans les caisses du pays qui restent alimentées par les impôts de ces
mêmes citoyens à qui on prétend vouloir alléger les dépenses… « Cette suppression de la redevance, c’est un gain de pouvoir d’achat à crédit », résume Pierre Mouchel, secrétaire
général de la CGT de France Télévisions.
De son côté, la
redevance est une taxe fléchée qui permet de garantir un financement stable et
pérenne. En cas de suppression, les syndicats souhaitent la mise en place d’une
taxe universelle sur le modèle allemand, qui concernerait tous les citoyens et
non plus seulement ceux équipés d’une télévision. Pour cause, le contenu des
médias publics est aujourd’hui accessible sur tous les supports. Ce système
serait cependant progressif et n’impacterait pas les ménages modestes. « Il faut un mécanisme qui garantisse l’indépendance, quel que soit le pouvoir en place », insiste Corinne Audouin, présidente de
la Société des journalistes de Radio France.
« Informer, éduquer et distraire les
citoyens »
« Sans cet argent, on ne peut pas
faire notre mission de service public », précise Serge Camini, du SNJ de
France Télévisions. Les missions premières de l’audiovisuel public sont « d’informer, éduquer et distraire tous les citoyens ». Comme indiqué dans les tracts de
l’intersyndicale, c’est « un acteur majeur de l’écosystème audiovisuel français, en matière de documentaires, de débats, de programmes culturels, de
fictions, d’animation et de cinéma et d’information, que ce soit à la radio, à la
télévision et sur leurs plateformes de contenu ». Il est également « garant d’une information plurielle et indépendante à l’heure des grandes concentrations de médias ». Or, d’après Serge Camini, « moins de moyens, c’est moins de budget, donc moins de productions ».
« Il est difficile de piloter une
entreprise qui a besoin d’une vision à long terme dans ces conditions, notamment pour les fictions », explique Pierre Mouchel. Le groupe a
pour mission de soutenir la production audiovisuelle, ce qui fait de lui le
premier diffuseur de documentaires et de fictions en France. Ces productions
aux long cours nécessitent un budget pérenne pour être menées à terme. Et la
diversité de contenus est bien plus importante que dans les groupes privés : c’est une des forces de l’audiovisuel public. Pourquoi donc la mettre en péril ? « Ce qui dérange, c’est la liberté de ton, de faire de l’investigation. Cette liberté est chez nous et pas chez les privés », répond Serge Camini. Pierre Mouchel précise que « jouer sur les curseurs, c’est exercer une pression de fond ». Serge Camini interprète ces
mesures comme des « attaques volontaires. Le pouvoir nous affaiblit au moment où TF1 et M6 vont certainement fusionner ».
Des baisses budgétaires
depuis 2008
La fusion,
justement, est une option envisagée. L’idée avait déjà été mise sur la table en
2017 avec la création de France Médias, société holding regroupant France
Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, avant d’être
abandonnée en 2020. Le 8 juin dernier, les sénateurs LR Jean-Raymond
Hugonet et Roger Karoutchi ont rendu un rapport sur le financement de
l’audiovisuel public. Ils préconisent « la création d’une entreprise unique regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA » pour créer « un acteur puissant et innovant ». Depuis 2018, France 3 et France Bleu ont été forcés à la coopération, notamment par la création de matinales communes. Pour Frédérick Thiébot, cosecrétaire du SNJ de Radio France, « c’est une utopie de croire que les
rédactions peuvent travailler ensemble. Ce sont des métiers différents, on ne
fait pas de la radio comme on fait de la télé ». Pis : la fusion impacterait les programmes. « On perd de la spontanéité radiophonique avec une caméra », précise Frédérick Thiébot. Les sénateurs ne se sont pas concertés avec les
syndicats, pourtant en demande.
Ces
regroupements de rédactions, sous couvert de puissance et d’innovation,
seraient en réalité pensés dans le but de faire des économies, d’après les
syndicats. Les groupes audiovisuels publics sont soumis à des baisses
budgétaires depuis 2008. Malgré ce manque de moyens, ils ont dû opérer une
transition numérique saluée par le public. La masse salariale est la première
victime des économies imposées. Départs, mauvaises conditions de travail,
surcharge, perte de sens, arrêts maladie, jusqu’aux tentatives de suicide
représentent désormais le quotidien des employés, plus marqué encore dans les
antennes régionales de France Bleu et France 3. Jean-Paul Quennesson, de SUD et
membre du CA de Radio France, explique que, « ceux qui restent, on leur en demande
toujours plus ». La diminution de la masse
salariale, ainsi que les mauvaises conditions de travail influent également sur
les programmes, d’après Lionel Thompson, du SNJ-CGT de Radio France : « Les émissions sont de moins en moins élaborées par manque de temps et de personnel. » Pourtant, Radio France demeure le premier
groupe radiophonique du pays, de loin.
L’intersyndicale espère, à l’issue de
cette journée de grève, pouvoir lancer une concertation avec le gouvernement,
sans fermer la porte à des actions sur la durée.
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