Précarité Le gouvernement Borne doit présenter
son projet de loi censé regonfler les portefeuilles des Français la semaine
prochaine. Des mesures loin de contrecarrer l’inflation et de remettre en
question un logiciel libéral qui a montré ses limites.
Pas à la hauteur. Le gouvernement a-t-il au moins pris
la mesure de l’inflation qui s’abat sur les Français et leurs budgets ? Plein de
gazole à plus de 100 euros, prix de l’alimentation
qui s’envolent comme ceux de l’énergie… La hausse des prix à
la consommation, qui se situe déjà à 5,2 % par rapport à juin 2021,
pourrait atteindre 7 % en septembre 2022. Le fruit, principalement, de
spéculations. Jeudi, même Michel-Édouard Leclerc, patron des supermarchés du
même nom, a expliqué sur BFMTV que « la moitié des hausses de prix demandées sont suspectes », réclamant même l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire et
une « obligation de transparence ». « Chiche », ont réagi de suite les sénateurs communistes Fabien Gay et Éliane Assassi,
qui ont saisi jeudi la commission des Affaires économiques.
De son côté, le gouvernement refuse de se pencher sur
ces phénomènes spéculatifs. Alors qu’un changement de logiciel s’impose, la
Macronie poursuit son atelier bricolage. Le 6 juillet, Élisabeth Borne
doit enfin présenter son fameux « paquet pouvoir d’achat », envisagé dès le
lendemain de l’élection présidentielle. Sauf surprise, ses projets de lois ne devraient comporter ni
augmentation des salaires ni blocage des prix, mais de petites aides
insuffisantes, tardives et souvent temporaires.
Énergie : des coups de pouce, rien de durable
Parmi la kyrielle de mesures qui doivent être
présentées mercredi, deux symbolisent la philosophie macronienne en matière de
lutte contre l’inflation : la prolongation de la remise carburant et celle du
bouclier tarifaire. Côté pompe, l’exécutif veut prolonger jusqu’à fin août la remise de 18 centimes par
litre instaurée le 1er avril, en demandant « un effort aux pétroliers pour faire baisser les prix », a indiqué Clément
Beaune, ministre délégué chargé de l’Europe. « On a eu Bernadette Chirac avec l’opération pièces jaunes, maintenant on a Patrick Pouyanné et Macron avec leurs 18 centimes », a
réagi François Ruffin. Le député FI fait ainsi référence au PDG de
TotalÉnergies, qui a vu son salaire augmenter de 52 % en 2021. Dans le
même sens, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a annoncé mercredi
avoir déposé « un texte de loi visant à baisser immédiatement de 35 centimes les taxes sur l’essence », financé par son corollaire : « Taxer de manière exceptionnelle sur 2021-2022 les bénéfices des compagnies pétrolières, dont Total. » « Il n’est pas question d’instaurer une taxe », a déjà balayé Clément
Beaune.
Par ailleurs, le gouvernement veut prolonger jusqu’à
la fin de l’année son « bouclier tarifaire », soit le plafonnement des prix de l’électricité et du gaz. « Des primes et des chéquounets ! S’emporte
François Ruffin. Ce ne sont pas des mesures qui améliorent durablement
le pouvoir d’achat. » Car cette fausse solution ne ferait que repousser la
note. Contrairement au gouvernement, la Commission de régulation de
l’énergie (CRE), autorité administrative indépendante, estime qu’en 2023 un
rattrapage tarifaire aura lieu. Les prix du gaz et de l’électricité pourraient
alors exploser, d’au moins 8 % d’un coup, une fois le bouclier baissé.
Des hausses nécessaires mais
insuffisantes
Attendues et indispensables, plusieurs hausses seront proposées
dans le projet de loi du gouvernement. 4 % de plus pour le RSA,
l’allocation de solidarité aux personnes âgées et l’allocation aux adultes
handicapés. 4 %, c’est aussi la revalorisation des pensions de retraite de
base, à partir de ce vendredi 1er juillet. Un chiffre clé, donc, qui reste
inférieur à celui de l’inflation. « Nous ne voterons pas contre
ces mesures, mais c’est évidemment insuffisant, juge
Sophie Taillé-Polian, députée du groupe écologiste. Pourquoi sont-elles
aussi tardives et pas à la hauteur de l’inflation ? Il y a un manque de volonté politique et une incapacité à remettre en cause leur logiciel. »
À partir de ce vendredi 1er juillet, le point
d’indice des fonctionnaires augmente aussi, de 3,5 %. Un léger rattrapage
pour un lourd retard pris depuis 2000, dont se félicite ouvertement l’exécutif : « Cette augmentation est la plus importante depuis 1985 », s’est réjoui Stanislas
Guerini, ministre de la Fonction publique, qui se targue de « dégager 7,5 milliards d’euros pour cette mesure ». « Face aux 180 milliards donnés aux entreprises pendant la crise, ça montre bien que les fonctionnaires
valent peu à leurs yeux », s’agace Céline Verzeletti, de l’UFSE-CGT, qui demandait, comme les députés
de la Nupes, une augmentation de 10 % pour pallier un gel qui durait
depuis 2010.
Parmi les autres « coups de pouce » prévus par le
gouvernement, la fin de la redevance, qui promet de fragiliser l’audiovisuel public, ou encore un chèque alimentaire de 100 euros par foyer et 50 euros par
enfant, distribués à environ 9 millions de familles. « Un chèque, une fois, alors que le surcoût de l’inflation est de 220 euros par famille et par mois… », calcule Boris Vallaud, président du groupe PS.
Logement : un bouclier percé
Premier poste de dépense des Français, à hauteur de 30
à 40 % de leur budget, les loyers continuent d’augmenter. Le gouvernement
a prévu de se pencher dessus, tout en prenant soin de ne pas froisser les
propriétaires… La ministre de la Transition écologique, Amélie de Montchalin, a
annoncé un « bouclier loyer » qui prévoit d’empêcher
leur augmentation… mais seulement après une hausse de 3,5 % de l’indice de
référence. « C’est en fait une manière d’annoncer une hausse inacceptable des loyers de 3,5 % parce que le gouvernement a refusé de geler l’indice de référence », s’indigne l’insoumis
Adrien Quatennens. Amélie de Montchalin a répondu, mardi, à ces attaques : « Un gel des loyers indifférencié aurait
pénalisé un propriétaire modeste, ce ne serait pas juste. » L’argument ne passe pas : « C’est une fable ridicule et un outil politique pour masquer la réalité : 3,5 % des propriétaires détiennent plus de la moitié du parc locatif, s’agace
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. Quant aux “petits”
propriétaires bailleurs, leur charge est essentiellement un remboursement
d’emprunt, ils ne sont donc pas touchés par l’inflation. »
Au rayon logement, le gouvernement Borne promet aussi
une hausse des aides personnalisées au logement (APL) de 3,5 %, trois ans
après les avoir baissées. Le communiste Ian Brossat ironise : « Dans sa grande générosité, le gouvernement
envisage de revaloriser les APL de 168 millions d’euros. Après les avoir
réduites de 15 milliards d’euros dans les cinq dernières années. Je te
prends 100, je te rends 1. »
Des propositions alternatives balayées ?
Ces mesures pour le pouvoir d’achat feront figure de
premier test pour la Macronie. Avec deux questions :
saura-t-elle trouver une majorité absolue et écoutera-t-elle
les alternatives des oppositions ? Celles de la Nupes notamment, qui posera sur la
table une dizaine de propositions, dont le blocage des prix, le Smic à 1 500 euros net ou la mise en place d’une « garantie dignité pour qu’aucun Français ne vive sous le seuil de pauvreté »… Des mesures financées
notamment par des cotisations en hausse grâce à celle des salaires, le
rétablissement de l’ISF et l’instauration d’un impôt universel pour les
entreprises. Sans surprise, la Macronie s’y oppose avec force : « On est prêt à regarder toutes les mesures
si elles n’amènent pas de hausse des impôts ou de la dette », a répondu le ministre des Comptes publics,
Gabriel Attal.
Pourtant, alors que le gouvernement prévoit une
enveloppe totale de 9 milliards d’euros, une cagnotte fiscale inattendue
de plus de 50 milliards d’euros est apparue ces derniers jours, due à des
recettes supérieures aux prévisions sur les impôts sur les sociétés. « C’est le véritable sujet, ces 50 à 55 milliards d’euros n’étaient pas prévus au budget, insiste la
députée Sophie Taillé-Polian. Ils doivent être redistribués aux ménages
qui souffrent de l’inflation et des salaires trop bas. » Un vœu pieux ? Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déjà pris les devants, en insistant sur « l’impératif de réduire l’endettement public ». Tandis
que les députés LR ont insisté ces derniers jours sur « la fin nécessaire du quoi qu’il en coûte », selon leur
chef de file, Olivier Marleix, la Macronie devrait aller dans leur sens pour
s’assurer leurs voix. Spécialiste de la mauvaise foi, le ministre des Relations
avec le Parlement, Olivier Véran, a déjà pris les devants : « Qui pourrait voter contre nos propositions qui
renforceront le pouvoir d’achat des Français ? »