Après le « quoi qu’il en coûte », voici revenir le refrain malsain de l’austérité. Dans le viseur : la protection sociale, les retraites, les services
publics via les collectivités locales. De Macron à Zemmour en passant par
Pécresse et Le Pen, ils nous promettent un véritable hold-up.
« Il n’y a pas d’argent magique. » Emmanuel Macron a récidivé,
lors de son déplacement à Dijon (Côte-d’Or), fin mars, devant un homme qui lui
exposait les difficultés des familles face à la baisse du pouvoir d’achat. Car
cette campagne présidentielle marque pour les droites le grand retour de
l’austérité et du « tout pour les riches ». Dette, retraites, fiscalité, dépenses publiques,
financement des collectivités locales, toutes les tendances, de LaREM à Reconquête !,
promettent à nouveau « du sang et des larmes », pour reprendre la formule employée par François Fillon lors de la
campagne de 2017. « Si l’on s’intéresse à leur programme économique, il est troublant, pour ne pas dire confondant, de voir la
similarité des propositions de Marine Le Pen, Éric Zemmour, Valérie Pécresse et
Emmanuel Macron », écrit ainsi Raphaël Pradeau, professeur de sciences
économiques et sociales et porte-parole d’Attac France, dans une note publiée
le 4 mars. L’économiste pointe une « forme de surenchère sidérante et dangereuse pour approfondir la logique libérale ».
Un plan de réduction des dépenses de
50 milliards
La justification de toutes les réformes néolibérales
reste la dette publique. Marine Le Pen y a
fait allégeance dans une tribune à l’Opinion dès
février 2021, dans laquelle elle faisait de son remboursement « un aspect moral essentiel ». Une
position réitérée dans un entretien à Acteurs publics, le
25 février, dans lequel elle lie le « niveau tout à fait excessif de la dépense publique et de notre endettement », s’engageant à ramener le
déficit public « sous les 3 % dès 2026 ». Pour
Emmanuel Macron, ce sera dès 2027, selon Laurent Saint-Martin, actuel
rapporteur LaREM du budget à l’Assemblée nationale et envoyé spécial du
président lors de l’audition des candidats par les associations d’élus locaux,
le 22 mars. Le député a présenté un plan de réduction des dépenses de
50 milliards d’euros annuels, avec trois cibles dans le viseur : les
retraites, les collectivités et les « réformes de fond et la simplification », une formule bien floue qui
présente l’avantage de ne pas annoncer sur quel dos ces économies seront
réalisées.
Du « poujadisme fiscal »
Éric Zemmour, quant à lui, évoque une réduction des
dépenses de 65 milliards d’euros. Selon une note du Cevipof publiée en
mars par le chercheur au CNRS Gilles Ivaldi, 20 milliards proviendraient
de la suppression des aides sociales aux étrangers, 15 milliards de la
lutte contre le « gaspillage et les dépenses non prioritaires de l’État » et 15 autres milliards de la « lutte contre la bureaucratie ». Du « poujadisme fiscal », selon
le chercheur, qui pointe également la suppression de la politique de la ville
(et de la loi SRU). Enfin, Valérie Pécresse
promet un « vrai projet courageux de réformes » qui comporterait « deux fois plus d’économies que de dépenses », à savoir respectivement 84 milliards d’euros contre
42 milliards. L’élue LR veut également inscrire la règle d’or
des 3 % de PIB de déficit public maximum dans la Constitution. Quel
que soit la ou le candidat, il n’est nullement question de taxer le capital ou
de lutter contre l’évasion fiscale. C’est une guerre sociale sans merci qui
s’annonce, un « affaiblissement du système de protection sociale et des services publics », résume Raphaël Pradeau.
Des économies sur le dos des retraités
C’est « la mère de toutes les réformes », clamait en 2019 le président du Medef, Geoffroy Roux
de Bézieux, au moment où le gouvernement d’Édouard Philippe présentait son plan
pour les retraites – finalement avorté. Pour cette élection, à droite, c’est à
qui sera le plus radical dans la destruction du système de retraites. À commencer par l’âge
légal : alors qu’il s’y disait
opposé, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de le porter à 65 ans. Idem pour Valérie Pécresse, tandis qu’Éric Zemmour table sur 64 ans. Les trois escomptent des économies substantielles sur le dos des retraités : 14 milliards d’euros pour la candidate de LR, 15 milliards pour celui de Reconquête !, ainsi qu’Emmanuel Macron. Longtemps, Marine Le Pen a tenu au
marqueur des 60 ans : sous la double pression des cadres du RN et de la
concurrence de Zemmour, elle l’a abandonné pour un statu quo
à 62 ans.
Exit aussi la défense des 35 heures ou la
remise en cause de la loi travail, qu’elle prônait en 2017. Quant aux salaires, c’est un tour de
passe-passe que ces candidats promettent : si la cheffe du RN veut inciter à une augmentation de 10 % jusqu’à trois fois le Smic, elle promet en contrepartie une
exonération des cotisations patronales, donc un assèchement
de la protection sociale et du salaire socialisé. Idem pour Valérie Pécresse,
après avoir un temps promis une « hausse de tous les salaires
net inférieurs à 2,2 Smic de 10 % », elle a vite été rappelée à l’ordre par le patronat.
Et ne promet aujourd’hui qu’une baisse des cotisations vieillesse des seuls
salariés… compensée par l’État. Quant à Éric Zemmour, qui se dit « contre la lutte des classes », il veut « permettre l’augmentation du salaire net sans affecter la compétitivité des entreprises ». Et préconise donc « la baisse de la CSG pour les salaires de moins de 2 000 euros » sans compensation, et l’exonération de « charges », comme il les appelle, sur les heures
supplémentaires.
Concours Lépine des mesures favorables
aux (très) riches
Pas question, donc, d’une réelle augmentation des
salaires. Pas question non plus de s’en prendre aux revenus du capital et du
patrimoine : le prélèvement
forfaitaire unique (PFU) – dit aussi
flat tax – instauré par Macron et qui a abaissé à 30 % la taxation des revenus du capital, est adoré par
tous les candidats. Aucun ne compte le remettre en cause, « alors qu’il est désormais démontré que le seul effet de cette mesure a été de doper le versement des
dividendes », précise Attac. Pour le reste, tous se livrent à un
concours Lépine des mesures favorables aux (très) riches. Notamment sur le
patrimoine immobilier, dont ils sont tous les quatre, Valérie Pécresse en tête,
richement pourvus. Ceci explique cela ? « Tous veulent affaiblir l’ impôt sur la fortune immobilière (IFI) en exonérant la résidence principale » , écrit Raphaël Pradeau dans sa note pour Attac. À
hauteur de 50 % pour Valérie Pécresse et même de 100 % pour Zemmour –
contre 20 % actuellement. Marine Le Pen veut remplacer l’IFI par un impôt
sur la fortune financière aux contours flous dont serait exclue la résidence
principale.
Haro également sur les droits de succession ou de
donation, le nerf de la guerre de la reproduction des inégalités : les 1 % les plus
riches détiennent aujourd’hui 60 % du patrimoine en France,
selon une étude du Conseil d’analyse économique, contre 35 % au début des années 1970.
Destruction du modèle social et des
services publics
Le plafond d’exonération sur les successions est
aujourd’hui de 100 000 euros. Valérie Pécresse comme
Éric Zemmour veulent porter cet abattement à 200 000 euros, et à 150 000 euros pour
Emmanuel Macron. Autre façon de privilégier l’héritage : faciliter les donations. C’est ce que propose Marine
Le Pen, avec la possibilité de donner 100 000 euros net d’impôts tous les dix ans, contre quinze aujourd’hui.
Pour Valérie Pécresse, qui parle de « choc de transmission », il s’agit de ramener à six ans ce délai. Le chef de
l’État ne propose pas de réduire celui-ci mais d’augmenter le montant : 150 000 euros. Quant à Éric Zemmour, son programme est des
plus ultralibéraux : 200 000 euros tous
les dix ans. Un véritable assèchement programmé des ressources de l’État, pour
mieux imposer la destruction du modèle social et des services publics.
Précisément, en matière de services publics, ce retour
de l’austérité se traduit par des annonces, plus prudentes qu’en 2017 – crise
sanitaire oblige –, de suppressions de postes de fonctionnaires : 150 000 tout de même pour Valérie Pécresse.
« Le financement des collectivités entre les mains de l’État »
Cela passe aussi par une nouvelle attaque contre les
collectivités. Ce sont pourtant elles qui ont été en première ligne face aux
attentes exprimées par les Gilets jaunes ou lors de la crise du Covid, mais ce
sont elles que les quatre candidats veulent à nouveau assécher. « S’agissant des collectivités locales, Emmanuel Macron confirme ce qu’Attac dénonçait : après les avoir privées de ressources fiscales propres avec la suppression de la taxe d’habitation et la baisse des impôts locaux des entreprises (dits impôts de production,
qui représentent 75 milliards d’euros annuels – NDLR), il a mis le
financement des collectivités entre les mains de l’État, lequel s’appr ête désormais à diminuer leurs ressources », analyse Raphaël Pradeau.
Lors de son audition par les associations d’élus,
Laurent Saint-Martin a annoncé qu’en cas de réélection, Emmanuel Macron
exigerait des collectivités un « effort de 10 milliards d’euros pour redresser les finances publiques », via une réduction de la dotation de l’État. Mais le président-candidat ne
compte pas s’arrêter là : après avoir déjà diminué les impôts de production – payés par les entreprises qui font plus de 500 000 euros de chiffre d’affaires, et qui financent les collectivités et les retraites – de 7 milliards d’euros lors du plan de relance, il projette une suppression totale de la
cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), soit 10 milliards
supplémentaires.
Le Medef au cœur du projet de Pécresse
Une annonce qui a fait réagir vertement André Laignel,
vice-président de l’Association des maires de France, pour qui le
président « souffle sur les braises : M. Macron a décidé que nous ne devions être que des sous-traitants (…) de l’État ». Cette
vieille revendication du Medef est d’ailleurs au cœur du projet de Valérie Pécresse, qui évoque également une
baisse de 10 milliards d’euros de ces impôts de production, tandis qu’à l’extrême droite, Éric
Zemmour comme Marine Le Pen tablent carrément sur 30 milliards d’euros,
auxquels s’ajouterait une baisse des dotations de 15 milliards pour l’ex-chroniqueur
du Figaro. Un étranglement en règle des collectivités et, au
final, « s’ensuivra l’abandon et/ou la privatisation des services publics locaux », pointe Attac. On s’en doutait, mais le « quoi qu’il en coûte » – qui reste en vigueur pour les entreprises ou
les plus fortunés – signifiait bien « quoi que vous devrez rembourser ». Et
pour les candidats de droite et d’extrême droite, ce sont la protection sociale
et les services publics qu’il faut rançonner.
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