Depuis cinq ans, Rebecca
Amsellem calcule la date à laquelle les femmes commencent à travailler
gratuitement du fait des inégalités salariales en faveur des hommes. Cette
année, la disparité commence ce 3 novembre, à 9 h 22. Entretien.
REBECCA AMSELLEM, Fondatrice
de la newsletter féministe les Glorieuses
La fondatrice de la newsletter féministe les Glorieuses, à l’initiative du
mouvement annuel en faveur de l’égalité salariale, lance une pétition
#3Novembre9h22 et des propositions à l’intention des prétendants à l’élection
présidentielle.
Comment vous est venue l’idée de lancer cette opération ?
Rebecca Amsellem : Il y a cinq ans, j’ai vu une photo très
impressionnante : des Islandaises descendues en masse dans les rues de
Reykjavík pour réclamer l’égalité salariale. En Islande, il y a, depuis les
années 1970, un engagement politique de syndicalistes qui, tous les cinq ans,
calculent la date et l’heure à laquelle les femmes devraient s’arrêter de
travailler si elles étaient payées autant que les hommes. Dans ce pays, où les
écarts de salaires sont beaucoup moins élevés qu’en France, la quasi-totalité
des 2 millions de femmes se mobilisent. Je me suis dit qu’on devrait faire
pareil en France !
Sur quelles sources statistiques vous basez- vous et quelle évolution
constatez-vous ?
Rebecca Amsellem : J’ai choisi d’effectuer le calcul à partir des
données d’Eurostat, l’organisme de statistiques de l’Union européenne, afin de
faciliter les comparaisons avec nos voisins. Je divise la différence de salaire
par le nombre de jours ouvrés et j’obtiens la date précise à partir de laquelle
les femmes travaillent « gratuitement ». Hélas, ce jour est de plus en plus tôt
dans l’année : il y a cinq ans, c’était le 7 novembre, à 16 h 34, et la
différence de salaire était de 15,2 % en défaveur des femmes. Aujourd’hui,
elle représente 16,5 %, soit 1,3 point de plus.
Quel écho votre initiative a-t-elle eu ?
Rebecca Amsellem : La première année, cela a eu un gros retentissement
et, dès la deuxième année, la syndicaliste CGT Sophie Binet l’a portée lors de
la Journée des droits des femmes, le 8 mars. Nous cherchons aujourd’hui à
remettre cette question de l’égalité salariale dans le débat public et que des
hommes et femmes politiques s’engagent à agir concrètement en ce sens. Il faut
des politiques publiques pour rendre l’égalité salariale incontournable.
Quelles sont vos propositions pour réduire les écarts de rémunération entre
hommes et femmes ?
Rebecca Amsellem : Nous préconisons de conditionner l’accès aux
financements, aux subventions, aux aides et aux marchés publics à l’exigence
d’égalité salariale au sein des entreprises. C’est une mesure simple qui ne
coûte rien, c’est juste une question de volonté politique ! On pourrait même
aller plus loin, en exigeant une parité dans les postes à responsabilité, qui
sont plus rémunérateurs. La proposition de loi adoptée le 27 octobre au
Sénat, qui prévoit une proportion d’au moins 30 % de femmes en 2027 et de
40 % en 2030, parmi les cadres dirigeants et les membres des instances de
direction dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, va dans le bon
sens. Mais lentement. Une autre mesure efficace serait un congé parental
d’égale durée pour les deux parents. Il faut aussi lutter contre l’idée reçue
que les femmes choisissent des métiers moins rémunérateurs, comme ceux du soin
ou de l’enseignement. En réalité, il s’agit d’un choix de société. Le plan de
relance décidé par le gouvernement prévoit d’injecter 15 milliards d’euros
dans l’aéronautique, un secteur où travaillent seulement 23 % de femmes,
et 7 milliards dans les métiers du numérique, où la proportion de femmes
n’est que de 20 %. Cela prouve bien que l’exécutif n’a délibérément pas
décidé de valoriser les métiers à prédominance féminine, dont l’utilité sociale
n’est pourtant plus à démontrer. Nous souhaitons que l’argent public aille vers
ces secteurs particulièrement féminisés.
Y a-t-il des pays où l’on tend vers davantage d’égalité salariale ?
Rebecca Amsellem : La
Suède, la Norvège, l’Islande et la Suisse sont des pays où les écarts de
rémunération sont les moins élevés. La Nouvelle-Zélande a adopté, en 2020, une
loi qui vise à rétablir l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes
pour des emplois différents mais de valeur égale. Et le Rwanda figure en
quatrième position des plus égalitaires. Depuis la fin du génocide de 1994, les
femmes y ont connu une ascension fulgurante. Certes, c’est parce que beaucoup
d’hommes ont été tués, mais, avec le temps, elles conservent leurs postes de
décision au sein des entreprises.
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