mercredi 3 novembre 2021

Droits des femmes. « Il faut des politiques publiques pour garantir l’égalité salariale »



Eugénie Barbezat

Depuis cinq ans, Rebecca Amsellem calcule la date à laquelle les femmes commencent à travailler gratuitement du fait des inégalités salariales en faveur des hommes. Cette année, la disparité commence ce 3 novembre, à 9 h 22. Entretien.

REBECCA AMSELLEM, Fondatrice de la newsletter féministe les Glorieuses

La fondatrice de la newsletter féministe les Glorieuses, à l’initiative du mouvement annuel en faveur de l’égalité salariale, lance une pétition #3Novembre9h22 et des propositions à l’intention des prétendants à l’élection présidentielle.

Comment vous est venue l’idée de lancer cette opération ?

Rebecca Amsellem : Il y a cinq ans, j’ai vu une photo très impressionnante : des Islandaises descendues en masse dans les rues de Reykjavík pour réclamer l’égalité salariale. En Islande, il y a, depuis les années 1970, un engagement politique de syndicalistes qui, tous les cinq ans, calculent la date et l’heure à laquelle les femmes devraient s’arrêter de travailler si elles étaient payées autant que les hommes. Dans ce pays, où les écarts de salaires sont beaucoup moins élevés qu’en France, la quasi-totalité des 2 millions de femmes se mobilisent. Je me suis dit qu’on devrait faire pareil en France !

Sur quelles sources statistiques vous basez- vous et quelle évolution constatez-vous ?

Rebecca Amsellem : J’ai choisi d’effectuer le calcul à partir des données d’Eurostat, l’organisme de statistiques de l’Union européenne, afin de faciliter les comparaisons avec nos voisins. Je divise la différence de salaire par le nombre de jours ouvrés et j’obtiens la date précise à partir de laquelle les femmes travaillent « gratuitement ». Hélas, ce jour est de plus en plus tôt dans l’année : il y a cinq ans, c’était le 7 novembre, à 16 h 34, et la différence de salaire était de 15,2 % en défaveur des femmes. Aujourd’hui, elle représente 16,5 %, soit 1,3 point de plus.

Quel écho votre initiative a-t-elle eu ?

Rebecca Amsellem : La première année, cela a eu un gros retentissement et, dès la deuxième année, la syndicaliste CGT Sophie Binet l’a portée lors de la Journée des droits des femmes, le 8 mars. Nous cherchons aujourd’hui à remettre cette question de l’égalité salariale dans le débat public et que des hommes et femmes politiques s’engagent à agir concrètement en ce sens. Il faut des politiques publiques pour rendre l’égalité salariale incontournable.

Quelles sont vos propositions pour réduire les écarts de rémunération entre hommes et femmes ?

Rebecca Amsellem : Nous préconisons de conditionner l’accès aux financements, aux subventions, aux aides et aux marchés publics à l’exigence d’égalité salariale au sein des entreprises. C’est une mesure simple qui ne coûte rien, c’est juste une question de volonté politique ! On pourrait même aller plus loin, en exigeant une parité dans les postes à responsabilité, qui sont plus rémunérateurs. La proposition de loi adoptée le 27 octobre au Sénat, qui prévoit une proportion d’au moins 30 % de femmes en 2027 et de 40 % en 2030, parmi les cadres dirigeants et les membres des instances de direction dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, va dans le bon sens. Mais lentement. Une autre mesure efficace serait un congé parental d’égale durée pour les deux parents. Il faut aussi lutter contre l’idée reçue que les femmes choisissent des métiers moins rémunérateurs, comme ceux du soin ou de l’enseignement. En réalité, il s’agit d’un choix de société. Le plan de relance décidé par le gouvernement prévoit d’injecter 15 milliards d’euros dans l’aéronautique, un secteur où travaillent seulement 23 % de femmes, et 7 milliards dans les métiers du numérique, où la proportion de femmes n’est que de 20 %. Cela prouve bien que l’exécutif n’a délibérément pas décidé de valoriser les métiers à prédominance féminine, dont l’utilité sociale n’est pourtant plus à démontrer. Nous souhaitons que l’argent public aille vers ces secteurs particulièrement féminisés.

Y a-t-il des pays où l’on tend vers davantage d’égalité salariale ?

Rebecca Amsellem : La Suède, la Norvège, l’Islande et la Suisse sont des pays où les écarts de rémunération sont les moins élevés. La Nouvelle-Zélande a adopté, en 2020, une loi qui vise à rétablir l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes pour des emplois différents mais de valeur égale. Et le Rwanda figure en quatrième position des plus égalitaires. Depuis la fin du génocide de 1994, les femmes y ont connu une ascension fulgurante. Certes, c’est parce que beaucoup d’hommes ont été tués, mais, avec le temps, elles conservent leurs postes de décision au sein des entreprises.

 

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