Un livre événement
accueille des voix multiples pour rendre hommage à l’ancien ministre, député et
maire communiste d’Aubervilliers. Quatre ans après sa disparition, sa mémoire
irrigue toujours les vivants.
JACK RALITE, NOUS L’AVONS TANT AIMÉ
Collectif Le Clos Jouve, 132 pages, 24 euros
Jack Ralite est mort le 12 novembre 2017. Nous sommes nombreux à ne pas
tout à fait pouvoir y croire, d’autant que Jack Ralite n’a pas disparu. Pas
plus de nos mémoires que de nos cœurs, et moins encore d’un pays qui n’a pas
encore pris la mesure de son œuvre de militant, d’acteur et de penseur de la
chose publique.
Les éditions le Clos Jouve ont eu la belle idée de réunir, sous le
titre Jack Ralite, nous l’avons tant aimé, après une préface
de Jean-Pierre Léonardini, trois textes de Jack Ralite et
seize contributions de témoins, de compagnons de cordée dans l’une des
nombreuses aventures qu’il n’a cessé sa vie durant de créer.
Bouillonnement de pensée
Gens de théâtre (Robin Renucci, Bernard Faivre d’Arcier, Jean-Claude
Berutti, Julie Brochen, Michel Bataillon), universitaires et professeurs
(Catherine Robert, Laurent Fleury, Serge Regourd, Yves Clot, Olivier Neveux),
journalistes (Charles Silvestre, Marie-José Sirach), camarades de parti
(Lucien Marest, Charles Fiterman) mais aussi collègue de l’Assemblée siégeant
sur d’autres bancs que le sien comme l’ancien député-maire de Versailles
Étienne Pinte : tous témoignent du bouillonnement de pensées et de projets, de
l’infatigable énergie pour les mettre en œuvre, mais aussi de l’attention à
autrui – ce que Charles Fiterman résume en parlant d’ « un
humaniste passionnant et passionné ».
« Couché tard et levé tôt »
Pour un être si évidemment vivant, « couché tard et levé tôt »,
porteur jusque dans le grand âge d’une sorte de perpétuel printemps mais dont
le jaillissement parvenait toujours à fournir des fruits, il ne fallait surtout
pas un monument. La variété des témoignages compose un portrait mosaïque,
judicieusement ouvert, offrant un aperçu de l’énergie et de la présence d’un
homme qui donnait à chaque rencontre toute sa plénitude au mot fraternité.
Une place légitime est accordée à l’action culturelle. La fondation des
états généraux de la culture en 1987, l’indéfectible soutien aux théâtres sont
racontés, comme la lutte sans cesse recommencée pour l’exception culturelle ou
pour le maintien d’un statut des intermittents du spectacle sans lequel les
projets d’éducation populaire ne seraient pas soutenables.
Ripostes et solutions
D’Aubervilliers qu’il a dirigée en faisant de la ville un modèle de cité
éclairée aux luttes contre la mainmise du commerce sur nos émotions
esthétiques, les contributions montrent l’alliance de l’utopie et du concret.
Quand il propose au Collège de France un partenariat avec Aubervilliers (1),
Jack Ralite ne vise évidemment pas un projet cosmétique : il ne suffit pas que
de grands noms viennent débiter une conférence au-delà du périphérique.
Il s’agit, en amont et en aval des interventions, de mettre en activité
l’ensemble des participants, d’inscrire dans la durée la puissance d’une parole
savante, de faire du sens. Quand il créait les états généraux de la culture
parce qu’il avait saisi combien le libéralisme engloutissait les possibilités
de création et de diffusion, ce n’était pas pour imposer une feuille de route.
Jack Ralite rendait possible par son dynamisme des lieux où tous pouvaient
élaborer en commun ripostes et solutions.
Seul vaut l’échange
C’est ce qui faisait le caractère exceptionnel de l’homme comme de son
action. Chacune des évocations montre la parfaite adéquation entre une visée et
une méthode. Pour Jack Ralite, seul vaut l’échange, et le collectif n’était pas
à envisager dans les lointains horizons d’une société qui aurait (enfin) réussi
à triompher des inégalités. C’est à chaque rencontre qu’il se réalise.
Son action comme ministre de la Santé entre 1981 et 1983 révèle aujourd’hui
sa pleine actualité. Dans sa préface à un livre de Bruno Trentin reprise dans
le volume, Jack Ralite mêle ainsi théorie et pratique, mesure le concept à
l’action. Il rappelle la loi sur la réorganisation de l’hôpital, dont il
présenta le projet à Tulle en 1983, qui visait à donner à ceux qu’il appelait
les « experts du quotidien » un vrai rôle dans la conduite
administrative. La crise sanitaire a montré combien cette mesure eût été
pertinente : donner aux acteurs la responsabilité, c’est remettre du sens dans
les lieux du travail, mais aussi gagner en efficacité. Vision démocratique du
travail, au rebours des calculs financiers et technostructurels dont on a vu
pourtant récemment la sinistre gabegie…
« Renoncez au renoncement »
« L’histoire garde un geyser de vie pour quiconque a l’oreille fine et
écoute éperdument. Renoncez au renoncement », disait Jack Ralite dans son discours
d’installation de Catherine Dan à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon.
À la Maison Jean Vilar, le 14 juillet 2012, quand j’eus l’honneur de
partager la tribune avec Jack et Dominique Blanc, je l’entendis citer le
roman la Mise à mort : « J’apprends, j’apprends à perte
d’âme… » Nous aussi ne cessions avec lui d’apprendre : l’hommage au
disparu qu’est ce beau livre se fait ainsi, légitimement, un terreau plutôt
qu’un tombeau. Une boîte à idées pour notre présent. Un souvenir pour l’avenir.
(1) En lien avec Claudine Vincent, coanimatrice des lundis du Collège de
France à Aubervilliers, un hommage sera rendu par Carlo Ossola, professeur au
Collège de France, initiateur des lundis, le vendredi 5 novembre, de
15 heures à 17 h 30, au Collège de France, à Paris, pour la présentation
du volume des allocutions de Jack Ralite.
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