Symbole des « années
fric », homme d’affaires passé par la politique avec François Mitterrand, par
le sport et par le showbiz, Bernard Tapie est mort, dimanche, à 78 ans.
« C’est le combat d’une vie, je ferai tout pour y être,
même en brancard. » En mai dernier, Bernard Tapie usait toujours de
cette gouaille, même très diminué par un cancer généralisé qui l’empêchera
finalement d’assister au procès, en appel, de l’affaire de l’arbitrage de 2008.
Sous l’égide du ministère de l’Économie, celui-ci condamnait une filiale du
Crédit lyonnais à verser 403 millions d’euros à l’affairiste pour sa vente
d’Adidas en 1993. Somme que Tapie sera condamné à rembourser après une décision
judiciaire au civil en 2015. Restait le volet pénal, dont la décision en appel
est attendue ce mercredi. Lui ne sera ni relaxé ni condamné, a annoncé le
parquet.
Bernard Tapie, homme d’affaires, de médias, de politique, de sport et
de showbiz, est mort dimanche, à 78 ans. La faute
au « putain de crabe » à qui il promettait de « casser
la figure ». Du Tapie dans le texte, un ton hâbleur et grossier aussi
indissociable de son image que l’étaient ses multiples démêlés
judiciaires. « Des procès perdus, des condamnations lourdes – des
décisions qu’il aura contestées toute sa vie », a choisi de décrire
l’Élysée dans son communiqué de presse. Le « président de la République
et son épouse » préférant se souvenir de « l’investisseur et
entrepreneur talentueux ».
Bernard Tapie a toujours voulu toucher à tout ce qui brillait. Né en 1943,
dans le 20e arrondissement de Paris, d’une mère aide-soignante et d’un
père ouvrier qui finira par créer sa société, il grandit au Bourget. Une
jeunesse de banlieusard romancée pour bâtir une image d’homme populaire et
de « self-made-man ». Vendeur surdoué de téléviseurs pendant son
adolescence, Bernard Tapie monte ses premières boutiques avant de fonder, en
1974, la société Cœur Assistance, d’aide aux cardiaques. Le début du succès, et
des emmerdes. Elle lui vaudra sa première condamnation pour « publicité
mensongère ». Les méthodes employées pour acheter à prix cassé les châteaux de
Bokassa lui vaudront la deuxième.
Il ne désarme pas alors qu’arrive la décennie 1980, les « années fric »
qu’il incarnera plus que quiconque. D’abord en bâtissant sa fortune par le
rachat d’entreprises au bord de la faillite. Son premier gros coup, en 1980,
concerne la société stéphanoise Manufrance. Il propose alors un plan de
restructuration entraînant des licenciements à la pelle, tout en narguant ses
salariés en se rendant à l’usine en jet privé, aux frais de la société. En
1986, l’usine est fermée, les 1 800 employés au chômage.
La « méthode Tapie » concernera une dizaine d’autres sociétés : la Vie
Claire en 1980, Terraillon en 1981 (revendue 125 millions de francs en
1986), Look en 1983 (revendue 260 millions de francs en 1988), les piles
Wonder en 1984… Des redressements spectaculaires, à grands coups de
délocalisations, de fermetures de magasins, de licenciements… « Les
méthodes Tapie, c’était d’annoncer devant tout le monde qui sera licencié, en
humiliant les gens », racontera plus tard Daniel Sauzot, ancien
salarié de Look.
Mais, plutôt que les hommes, Tapie fait parler les bilans financiers et
devient une star. Le jeune entrepreneur dynamique entre dans le sport par le
cyclisme, avant de reprendre l’OM (voir page 7). Devenu la coqueluche des
médias, Bernard Tapie est partout. Il clame à la France ses préceptes, à
travers ses titres de chansons (Réussir sa vie), de
livres (Gagner), ou d’émissions de télévision (Ambitions).
Bernard Tapie triomphe et se pique d’entrer en politique. Pour les
législatives de 1986, il se verrait bien représenter le RPR dans une
circonscription marseillaise. Soutenu par Charles Pasqua, il ne convainc pas la
direction du parti gaulliste. L’année suivante, c’est le président de la
République en personne, François Mitterrand, qui demande à le rencontrer. Le
socialiste, qui s’est coupé depuis longtemps des communistes, prépare sa
réélection et veut montrer son ouverture au monde de l’entreprise. La gauche du
PS grince des dents, mais Tapie sera bien investi aux législatives de 1988 .
« J’ai droit au profit, je me le donne ce droit »
Alors, Bernard Tapie, homme de droite ou de gauche ? En réalité, il tente
de jouer sur les deux terrains, et tire partie du tournant de la rigueur et du
libéralisme triomphant accompagné par la social-démocratie. Un credo résumé dès
1984 devant de jeunes patrons : « Moi, j’assume, je suis un vrai
capitaliste, je vis comme un capitaliste. Moi, j’ai droit au profit, je me le
donne ce droit, ça veut dire que j’ai le droit d’avoir ce jet, je l’ai gagné. »
En 1988, il perd sa première élection. Cette fois, ce n’est pas lui qui est
accusé de tricheries, mais son adversaire, Guy Teissier. Nouveau scrutin en
1989, Tapie l’emporte à la surprise générale et devient député. Quelques mois
plus tard, il gagne ses galons de débatteur politique en affrontant Jean-Marie
Le Pen sur TF1. Bernard Tapie se fait l’ennemi du Front national, attaquant de
front les idées anti-immigration et xénophobes de l’extrême droite.
En 1992, lorsque Mitterrand remplace Édith Cresson par Pierre Bérégovoy, il
impose à son nouveau premier ministre de faire entrer dans son gouvernement
Bernard Tapie, qui adhère au Mouvement des radicaux de gauche (futur PRG).
Celui-ci demande un portefeuille sur mesure : le ministère de la Ville. Son
passage y est de courte durée : en 1993, la majorité présidentielle perd la
législative. L’homme d’affaires est réélu, profitant au second tour d’une
triangulaire avec le candidat FN, dont Tapie aurait négocié le maintien auprès
de Jean-Marie Le Pen directement.
Mais, en ces années 1990, les affaires de Bernard Tapie sont plus souvent
judiciaires que politiques ou financières. Avant les affaires Testut ou Phocéa (du
nom de son yacht), le scandale du match truqué OM-Valenciennes fait les gros
titres en 1993. L’affaire pousse Michel Rocard à l’écarter de sa liste des
élections européennes de 1994. Tapie fera un coup de poker : se présenter avec
le PRG, sur les conseils de Mitterrand. Fédéraliste européen, l’ancien ministre
obtient 12,03 %.
En 2007, il sera exclu du PRG puisqu’il soutient publiquement Nicolas
Sarkozy à l’élection présidentielle. Dans les années 2000 et 2010, entre les
procès, les disques et les séries télévisées, son âme d’entrepreneur n’est
jamais loin. En 2012, il devient actionnaire à 50 % du Groupe Hersant
Média (GHM), premier groupe de presse de la région Paca. Il s’implique
notamment dans la restructuration de la Provence et dans sa
ligne éditoriale. Une sorte de Bolloré avant l’heure, dont l’objectif aurait pu
être un retour en politique, notamment à Marseille, qui n’arrivera pas.
Dans la cité phocéenne,
« Nanard » jouit toujours d’une grande popularité, notamment auprès des
supporters de l’OM qui lui ont rendu hommage ce dimanche. Comme nombre de
personnalités politiques, saluant tout particulièrement son énergie et ses
qualités d’entrepreneur. Les nombreuses victimes collatérales de ses montages financiers
apprécieront.
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