lundi 4 octobre 2021

Disparition. Bernard Tapie, itinéraire d’un « vrai capitaliste »

 


Florent LE DU

Symbole des « années fric », homme d’affaires passé par la politique avec François Mitterrand, par le sport et par le showbiz, Bernard Tapie est mort, dimanche, à 78 ans.

« C’est le combat d’une vie, je ferai tout pour y être, même en brancard. » En mai dernier, Bernard Tapie usait toujours de cette gouaille, même très diminué par un cancer généralisé qui l’empêchera finalement d’assister au procès, en appel, de l’affaire de l’arbitrage de 2008. Sous l’égide du ministère de l’Économie, celui-ci condamnait une filiale du Crédit lyonnais à verser 403 millions d’euros à l’affairiste pour sa vente d’Adidas en 1993. Somme que Tapie sera condamné à rembourser après une décision judiciaire au civil en 2015. Restait le volet pénal, dont la décision en appel est attendue ce mercredi. Lui ne sera ni relaxé ni condamné, a annoncé le parquet.

Bernard Tapie, homme d’affaires, de médias, de politique, de sport et de showbiz, est mort dimanche, à 78 ans. La faute au « putain de crabe » à qui il promettait de « casser la figure ». Du Tapie dans le texte, un ton hâbleur et grossier aussi indissociable de son image que l’étaient ses multiples démêlés judiciaires. « Des procès perdus, des condamnations lourdes – des décisions qu’il aura contestées toute sa vie », a choisi de décrire l’Élysée dans son communiqué de presse. Le « président de la République et son épouse » préférant se souvenir de « l’investisseur et entrepreneur talentueux ».

Bernard Tapie a toujours voulu toucher à tout ce qui brillait. Né en 1943, dans le 20e arrondissement de Paris, d’une mère aide-soignante et d’un père ouvrier qui finira par créer sa société, il grandit au Bourget. Une jeunesse de banlieusard romancée pour bâtir une image d’homme populaire et de « self-made-man ». Vendeur surdoué de téléviseurs pendant son adolescence, Bernard Tapie monte ses premières boutiques avant de fonder, en 1974, la société Cœur Assistance, d’aide aux cardiaques. Le début du succès, et des emmerdes. Elle lui vaudra sa première condamnation pour « publicité mensongère ». Les méthodes employées pour acheter à prix cassé les châteaux de Bokassa lui vaudront la deuxième.

Il ne désarme pas alors qu’arrive la décennie 1980, les « années fric » qu’il incarnera plus que quiconque. D’abord en bâtissant sa fortune par le rachat d’entreprises au bord de la faillite. Son premier gros coup, en 1980, concerne la société stéphanoise Manufrance. Il propose alors un plan de restructuration entraînant des licenciements à la pelle, tout en narguant ses salariés en se rendant à l’usine en jet privé, aux frais de la société. En 1986, l’usine est fermée, les 1 800 employés au chômage.

La « méthode Tapie » concernera une dizaine d’autres sociétés : la Vie Claire en 1980, Terraillon en 1981 (revendue 125 millions de francs en 1986), Look en 1983 (revendue 260 millions de francs en 1988), les piles Wonder en 1984… Des redressements spectaculaires, à grands coups de délocalisations, de fermetures de magasins, de licenciements… « Les méthodes Tapie, c’était d’annoncer devant tout le monde qui sera licencié, en humiliant les gens », racontera plus tard Daniel Sauzot, ancien salarié de Look.

Mais, plutôt que les hommes, Tapie fait parler les bilans financiers et devient une star. Le jeune entrepreneur dynamique entre dans le sport par le cyclisme, avant de reprendre l’OM (voir page 7). Devenu la coqueluche des médias, Bernard Tapie est partout. Il clame à la France ses préceptes, à travers ses titres de chansons (Réussir sa vie), de livres (Gagner), ou d’émissions de télévision (Ambitions).

Bernard Tapie triomphe et se pique d’entrer en politique. Pour les législatives de 1986, il se verrait bien représenter le RPR dans une circonscription marseillaise. Soutenu par Charles Pasqua, il ne convainc pas la direction du parti gaulliste. L’année suivante, c’est le président de la République en personne, François Mitterrand, qui demande à le rencontrer. Le socialiste, qui s’est coupé depuis longtemps des communistes, prépare sa réélection et veut montrer son ouverture au monde de l’entreprise. La gauche du PS grince des dents, mais Tapie sera bien investi aux législatives de 1988 .

« J’ai droit au profit, je me le donne ce droit »

Alors, Bernard Tapie, homme de droite ou de gauche ? En réalité, il tente de jouer sur les deux terrains, et tire partie du tournant de la rigueur et du libéralisme triomphant accompagné par la social-démocratie. Un credo résumé dès 1984 devant de jeunes patrons : « Moi, j’assume, je suis un vrai capitaliste, je vis comme un capitaliste. Moi, j’ai droit au profit, je me le donne ce droit, ça veut dire que j’ai le droit d’avoir ce jet, je l’ai gagné. »

En 1988, il perd sa première élection. Cette fois, ce n’est pas lui qui est accusé de tricheries, mais son adversaire, Guy Teissier. Nouveau scrutin en 1989, Tapie l’emporte à la surprise générale et devient député. Quelques mois plus tard, il gagne ses galons de débatteur politique en affrontant Jean-Marie Le Pen sur TF1. Bernard Tapie se fait l’ennemi du Front national, attaquant de front les idées anti-immigration et xénophobes de l’extrême droite.

En 1992, lorsque Mitterrand remplace Édith Cresson par Pierre Bérégovoy, il impose à son nouveau premier ministre de faire entrer dans son gouvernement Bernard Tapie, qui adhère au Mouvement des radicaux de gauche (futur PRG). Celui-ci demande un portefeuille sur mesure : le ministère de la Ville. Son passage y est de courte durée : en 1993, la majorité présidentielle perd la législative. L’homme d’affaires est réélu, profitant au second tour d’une triangulaire avec le candidat FN, dont Tapie aurait négocié le maintien auprès de Jean-Marie Le Pen directement.

Mais, en ces années 1990, les affaires de Bernard Tapie sont plus souvent judiciaires que politiques ou financières. Avant les affaires Testut ou Phocéa (du nom de son yacht), le scandale du match truqué OM-Valenciennes fait les gros titres en 1993. L’affaire pousse Michel Rocard à l’écarter de sa liste des élections européennes de 1994. Tapie fera un coup de poker : se présenter avec le PRG, sur les conseils de Mitterrand. Fédéraliste européen, l’ancien ministre obtient 12,03 %.

En 2007, il sera exclu du PRG puisqu’il soutient publiquement Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle. Dans les années 2000 et 2010, entre les procès, les disques et les séries télévisées, son âme d’entrepreneur n’est jamais loin. En 2012, il devient actionnaire à 50 % du Groupe Hersant Média (GHM), premier groupe de presse de la région Paca. Il s’implique notamment dans la restructuration de la Provence et dans sa ligne éditoriale. Une sorte de Bolloré avant l’heure, dont l’objectif aurait pu être un retour en politique, notamment à Marseille, qui n’arrivera pas.

Dans la cité phocéenne, « Nanard » jouit toujours d’une grande popularité, notamment auprès des supporters de l’OM qui lui ont rendu hommage ce dimanche. Comme nombre de personnalités politiques, saluant tout particulièrement son énergie et ses qualités d’entrepreneur. Les nombreuses victimes collatérales de ses montages ­financiers apprécieront.

 

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