Il a perdu sa fille et
son ex-femme dans le Bataclan. Son petit-fils, de 5 ans alors, en a été extrait
par un policier de la BAC75. Il a autorisé l’Humanité à
publier le texte qu’il a lu ce jeudi 21 octobre devant la cour d’assises
spéciale.
Au procès des attentats du 13 Novembre, ce sont les proches des personnes
décédées dans le Bataclan qui vont témoigner de leur douleur, pendant plusieurs
jours, devant la cour d’assises spéciale. Parmi ceux-ci, il y avait ce jeudi 21
octobre Michel Delplace. Ce soir-là, il a perdu sa fille, Elsa, et son
ex-femme, Patricia. Son petit-fils de 5 ans, qui les accompagnait au concert, a
pu être extrait de la salle par un des policiers entrés dans le Bataclan, peu
après l’intervention décisive du commissaire de la BAC. Parce qu’il avait écrit
son témoignage et que l’Humanité est « son »
journal, il nous a autorisés à le publier en intégralité, après l’avoir
livré à la cour. Voici ce texte poignant, digne, humain.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs de la Cour,
Le 13 novembre, ma fille Elsa, sa maman Patricia, ma première épouse, et
mon petit-fils sont au Bataclan. Elsa et Patricia sont tuées. Elles se trouvaient
devant le « stand marchand ». Mon petit-fils est indemne
physiquement.
Je voudrais avant tout poser quelques repères : je suis né en 1950 et
j’habite en Seine-Saint-Denis. Je me marie avec Patricia en 1978. De ce
mariage, naissent Elsa, en 1980, et Fabien, en 1984. Nous divorçons en
1992. Patricia se remarie avec Franck en 2002, et moi-même, je me remarie
avec Isabelle, en 2009. Maintenant à la retraite, j’ai exercé différents
métiers qui relèvent de l’éducation populaire, mais je crois utile de préciser
que j’ai fait des études de géographie consacrées spécialement à la
connaissance du monde arabe, que je me suis rendu dans les années 1970 au
Liban, en Syrie, en Irak,... Au Maghreb également et tout particulièrement en
Algérie, et cela, régulièrement jusqu’en 1987. Peu de temps après, nous entrons
dans la « décennie noire ». Je suis retourné en Algérie seulement en
2013. Et, si j’ai choisi d’être athée, je connais un peu les religions du
Livre.
Cela fait des mois que je pense à ce témoignage, comme chacun et chacune
ici. Comme chacun et chacune ici, je me suis demandé : en quoi peut-il
être utile ? Quels mots ? Quel sens donner devant cette Cour ? Comment
servir ? Être à la barre aujourd’hui, je sais que c’est une grande
responsabilité. C’est pourquoi j’ai préféré écrire ce témoignage pour m’assurer
d’aller au bout, en respectant tout le sens que je veux lui donner.
Pendant combien de minutes, combien de secondes, Elsa et Patricia se
sont-elles vues mourir ? Peut-on imaginer ce que mon petit-fils a vécu cette
nuit-là ? Il a 11 ans maintenant. Mon épouse, Isabelle, a retrouvé le
policier qui, avec ses collègues de la BAC75N, a sorti notre petit-fils du
Bataclan. Tout part d’un article paru dans la revue syndicale « La Tribune
du Commissaire ». Dans cet article signé « Un commissaire de la
DSPAP » - c’est lui qui a témoigné ici le 22 septembre dernier -, on peut
lire : « Un de mes effectifs est allé chercher dans ses bras un petit
garçon de 5 ans qui était sous une personne... Cette image fut terrible pour
tous. »
Voici le témoignage qu’Isabelle a recueilli (et c’est avec l’autorisation
du policier que je le livre à la Cour, Monsieur le Président) :
« Un commissaire de police – mon chef – et son chauffeur sont arrivés
les premiers. 5 minutes après, avec 2 équipiers, j’arrive à mon tour sur place.
Nous entendons la fusillade à l’intérieur. Nous faisons une première tentative
pour entrer dans la salle, sur le côté après le vestiaire. Nous faisons
demi-tour car trop exposés et sous-armés. 2e tentative : entrés sur le côté
droit, nous voyons, à environ 5 mètres, les pieds d’un enfant bouger sous un
corps inanimé (une femme ou un homme ? je ne sais pas). Nous faisons à
nouveau demi-tour car trop exposés, puis nous attendons l’arrivée de la BRI.
Arrivée de la BRI, silence de cathédrale. Notre équipe progresse très
lentement vers l’enfant, avec d’infinies précautions. Nous parvenons enfin à
extraire le petit en le tirant par les pieds. Je le prends dans mes bras ;
j’ouvre tout de suite mon blouson pour y cacher sa tête. Il portait un casque
anti-bruit sur les oreilles. Il n’oppose aucune résistance. J’ai bien vérifié
qu’il n’avait aucune blessure. Je le porte ensuite jusqu’au poste médical
avancé et je repars à l’intérieur du Bataclan rejoindre mes collègues. Tout le
temps où le petit est dans mes bras, il me répète : “Vous êtes gentil,
monsieur, vous êtes gentil, monsieur.”
Nous gardons ce sentiment d’impuissance, de colère, d’avoir dû attendre
l’arrivée de la BRI faute d’équipement, ce sentiment de frustration de ne pas avoir
pu faire plus ce soir-là. » Fin de son témoignage.
Nous pensons souvent à eux et à ce qu’ils ont vécu et réalisé cette
nuit-là. Nous les assurons de toute notre reconnaissance.
Mon petit-fils est conduit ensuite à l’hôpital Bégin. Plus tard dans la nuit,
il retrouve son papa, Jeremy. Aujourd’hui, on peut dire qu’il va bien grâce à
tous ceux et celles qui l’entourent. Cette année, il est entré au collège. Il
fait du karaté, du foot, de la musique. Il adore Dragonball et les mangas,
(cela ne surprendra personne…). Il a beaucoup de copains, de copines, enfants
du monde issus de tous les horizons… Et il continue de voir une pédopsychiatre
chaque semaine… Et pour longtemps encore...
Faut-il répéter ici qu’il y a un avant et un après-13 Novembre ?
(« Tu te rappelles ? Quand nous sommes allés à tel endroit, c’était
avant ou après 2015 ? »). Il s’est passé 6 ans. 6 ans ! Toutes les
images sont là, et l’inquiétude, l’attente des nouvelles, l’angoisse,
l’irréparable désastre, la colère.
Et quand bien même on réussit à apprivoiser la douleur, on continue à
porter ce poids terrible. Sans fin. Je veux remercier à ce moment tous les
professionnels, toutes les personnes que je rencontre depuis 2015 qui m’aident,
qui nous aident encore...
Le 1er septembre 2016, j’adressais une longue lettre à quelques ami.es.
(Plusieurs d’entre eux, plusieurs d’entre elles, sont ici, dans cette enceinte.
Merci à vous, merci d’être là). J’avais besoin, depuis un bon moment, de mettre
noir sur blanc ce que j’avais vécu, ce que je vivais...
Je voudrais, monsieur le Président, en donner quelques extraits :
« Cher.es ami.es,
Je viens vous donner des nouvelles, dix mois bientôt après la mort au
Bataclan d’Elsa et Patricia. Je vais vous parler de moi. Je ne dirai rien
de mon petit-fils ni de ceux et celles qui m’entourent. Il est impensable que
je parle en leur nom. Mais comment donner des nouvelles à vous, des centaines
qui êtes si proches, même si vous habitez à l’autre bout de la France, en
Allemagne, en Espagne, au Chili ou sur l’autre rive de la Méditerranée
? Quelles nouvelles ? Quelles nouvelles alors que je tiens tant à ces
quelques vers écrits il y a 1000 ans par le poète persan Omar Khayyam ? Je
le cite : « Si assuré et ferme que tu sois, ne cause de peine à
personne ;Que personne n’ait à subir le poids de ta colère.Si le désir est en
toi de la paix éternelle,Souffre seul, sans que l’on puisse, ô victime, te
traiter de bourreau. »
Après cet avertissement, je commençais ainsi : « Aujourd’hui,
nous sommes le 1er septembre 2016, jour de rentrée scolaire. Il y a trente ans,
c’est en chantant “Allons enfants de la patrie” qu’Elsa faisait son entrée
à l’école élémentaire Paul-Éluard. Au fronton de l’école, il y avait, – il y a
encore heureusement –, “J’écris ton nom, Liberté”. Quel beau signe pour une
enfant de six ans ! Libre, Elsa l’a toujours été. Parfois un peu trop à
mon goût. Elle suivait son chemin... »
Je continuais un peu plus loin : « ... Le 10 novembre
2015, en fin de journée, elle m’appelait (elle était dans le métro ou le RER)
pour m’apprendre, joyeuse et fière, que son employeur (...), sans attendre la
fin de sa période d’essai, la passait en CDI. Ils appréciaient, je reprends
leurs propos, “son grain de folie”. Comme j’étais heureux de voir qu’elle
avait trouvé enfin un point de stabilité après tant d’années de recherches.
Épanouie, elle l’était. » C’était trois jours avant le Bataclan !
C’est la dernière fois que je l’entendais.
Des images, des moments que je revis sans cesse : le samedi 14 novembre, la
recherche frénétique d’informations fiables (police, hôpitaux) sur ce qu’Elsa
et Patricia étaient devenues. Fort heureusement, le petit était à l’abri
dans la famille. En milieu de journée, nous arrive l’information, officieuse,
qu’elles étaient sur la liste des victimes. Désespoir, colère (les murs sont
solides). Mais rien n’est encore sûr, n’est-ce pas ? Même si elles ne répondent
pas sur leur portable. On me dit : «Il faut attendre l’annonce
officielle ; dans ces cas-là, ce n’est pas par téléphone, quelqu’un se déplace
au domicile des proches ». Les heures passent. Anxiété.
Le samedi soir, rien n’a bougé. Nous allons de nous-mêmes à l’Ecole
Militaire où se trouve la cellule interministérielle d’aide aux victimes
(CIAV). Cent personnes sont là, dans l’attente de nouvelles de leurs proches.
Là, la prise en charge est totale pour recevoir la voix officielle d’un juge
d’instruction. Il n’y a plus de doutes.
Et pourtant… Oui, monsieur le Président, vous le savez : on garde
espoir jusqu’au bout...
« Le dimanche soir, nous nous rendons à l’institut médico-légal.
Quelle attente ! Oui, il y a beaucoup de monde. Le personnel est débordé. Mais
maintenant, c’est sûr. Je les ai vues : ma fille Elsa et sa mère Patricia
ont été tuées au Bataclan alors qu’elles se faisaient une joie avec le petit
(chez mamie Paulette, son arrière-grand-mère, il dansait sur le CD) d’assister
au concert des Eagles of Death Metal... »
À cet endroit de ma lettre, je posais cette question : « ...
Les assassins sont-ils des fous, des forcenés ? Non, ils sont tous passés par
la Syrie rejoindre Daech. Une organisation, une logistique puissantes, nous
expliquent les juges d’instruction chargés de l’enquête. Et contrairement à ce
que certains ici ont avancé après l’assassinat du père Jacques Hamel, il ne
s’agit pas d’une guerre de religions. Je connais un peu l’Islam. Je connais
beaucoup de musulmans, je sais qu’eux n’ont rien à voir avec le 13 novembre,
avec Nice, avec Saint-Étienne-du-Rouvray. Daech tue aussi des musulmans partout
dans le monde. »
Un peu plus loin dans ma lettre, je faisais référence à un ami qui m’avait
dit ceci : « Et si on se posait les bonnes questions : Pourquoi nos
sociétés européennes produisent-elles tant de jeunes djihadistes ?
Pourquoi notre monde se déchire-t-il si cruellement au Proche-Orient, en
Afrique… ? Pourquoi des Etats s’effondrent-t-ils ? Pourquoi des idéologies
violentes, sectaires et mortifères gagnent-elles des sociétés ? Que faut-il
changer ici et là-bas ? »
Ces quelques mots, monsieur le Président, m’ont beaucoup aidé à reprendre
le dessus, à faire face… Comprendre pour mieux combattre, oui.
Je reprends ma « lettre aux ami.es » : «... aucune
logique de guerre n’a jamais engendré un monde où l’on devrait vivre en
harmonie, seule une logique de paix pourra faire naître un monde tel que ceux
qui nous ont quittés brutalement l’aurait imaginé…» C’est ce que
j’écrivais au Président de la République le 27 novembre 2015, jour de l’hommage
aux Invalides.
Le jour des obsèques, un quotidien (l’Humanité - NDLR) titrait « A quand
un monde selon Elsa ? »
Non, la mort d’Elsa, la mort de Patricia, la souffrance du petit, la
souffrance de toutes ces familles, non, il n’y avait rien de fatal à cela… Et
je ne ferai jamais l’amalgame entre une croyance religieuse légitime et la
folie meurtrière d’individus criminels envoyés par l’Etat islamique... »
Plus loin, j’écrivais ceci : « ... Le 30 novembre.
Le funérarium des Joncherolles. Le cimetière. Souvent je revois vos
visages, je ressens la stupéfaction et la reconnaissance que j’ai eus à vous
savoir là, venus du quartier voisin, des régions (comme on dit maintenant),
venus de l’étranger spécialement… Je relis tous les mots
manuscrits, les mails, les SMS, messenger... Cela fait chaud au cœur, cela tire
les larmes. J’entends souvent les notes de musique qui ont rempli la salle des
Joncherolles, la musique qui remplissait la vie d’Elsa. Son violoncelle, je
l’ai avec moi. Peut-être le petit voudra-t-il en jouer un jour ? La vie
continue, dit-on. Mais, vous ne serez pas surpris, elle ne continue pas comme
avant. »
Je poursuivais, monsieur le Président, en rappelant ceci : « L’association
13onze15-Fraternité et Vérité s’est créée en janvier 2016. J’y ai adhéré. Elle
regroupe des victimes et proches de victimes des attentats du 13 novembre.
C’est un des moyens pour que cette catastrophe ne soit pas oubliée... Pour,
disent les statuts, « contribuer à toute réflexion et action s’inscrivant
dans la lutte contre le terrorisme. » Lutter contre l’oubli, contre la
banalisation, pour les droits, pour la vérité.
Maintenant, qu’y a-t-il devant ? Nous approchons du 13 novembre 2016.
Quelle attitude prendre ? Être partie prenante des manifestations
commémoratives ? Me tenir retranché, loin de tout cela ? Je ne sais pas
encore... Et je terminais ma lettre par ces mots que Paul Eluard écrivait
en 1936 au moment de la Guerre d’Espagne :
« On s’habitue à tout
Sauf à ces oiseaux de plomb
Sauf à leur haine de ce qui brille
Sauf à leur céder la place.
Sauf à leur céder la place. »
Là, étaient la conviction et l’engagement de Patricia et Elsa. Loin de
toute haine, défendant joyeusement l’idée qu’un monde de paix était possible...
Je pense qu’elles ont participé à toutes les manifestations contre les guerres
en Irak ou en Syrie… Aussi, quand j’entends les assassins d’Elsa et Patricia
tenter de justifier leurs actes par la vengeance, ça ne passe pas, monsieur le
Président. NON, ça ne passe pas ! Pour eux, le petit n’existe pas, Elsa et
Patricia sont des morts anonymes… Mais elles étaient faites de chair ! de
cœur ! d’esprit ! Elles sont la vie ! Ce ne sont pas seulement
des noms sur une plaque ! Ce sont des êtres humains... pas des objets désignés
au hasard d’une vengeance fanatique !
Qui est donc Patricia ? Qui est Elsa ? Patricia est née au Chili
en 1954. Après le coup d’Etat du général Pinochet, le 11 septembre 1973, son
père, Rolando, comme des milliers d’autres démocrates chiliens, est arrêté et
contraint à l’exil. En 1976, il doit partir pour la France où Patricia et sa
maman, Betty, vont le rejoindre. La solidarité ici s’était organisée sous
toutes les formes. C’est ainsi que Patricia va rejoindre une troupe de théâtre
chilienne qui est accueillie, depuis un moment déjà, en région
parisienne : le Théâtre de la Résistance.
La première pièce présentée s’intitule « Chili Liberté » et
s’ouvre avec la chanson « Gracias a la vida », « merci à la vie
qui m’a tant donné... ». Devenue agent de la fonction publique dans une
commune de Seine-Saint-Denis, Patricia s’engage dans l’action syndicale où elle
se trouve rapidement en charge de responsabilités. Au lendemain du 13 novembre,
ses ami.es lui rendent hommage et écrivent ceci : « Patricia a fui
l’oppression pour venir s’installer dans notre pays, patrie des droits de
l’homme. Qui aurait pu imaginer qu’un jour, dans son pays d’accueil, elle
aurait pu être victime de fanatiques adeptes du pire obscurantisme ?
Patricia luttait pour un monde plus juste, pour un monde de paix, de
fraternité… Nous avons été nombreux à savourer son accent et son phrasé
inimitables. La voix de Patricia continuera de chanter dans nos souvenirs et
dans nos cœurs...» Fin de citation
Et c’est vrai, Elsa et Fabien sont, pour elle, « Elsita » et
« Fabito »... Et, pour son petit-fils, elle restera
« abuelita »...
Elsa est arrivée au monde en 1980. Elsa, c’est le refus du compromis et une
langue bien pendue. Elle ne fait aucune concession. Tous ceux et toutes
celles qui l’ont connue, s’en souviennent encore ! Moi le premier. Elsa, c’est
l’image d’une vie trépidante avec cette grande fragilité qu’elle cache au fond
d’elle-même... Attentive aux autres, généreuse, elle entreprend une foule de
choses, surtout dans le domaine de la culture, et elle va finalement intégrer
un cabinet international de Conseil en Management. Et, parmi toutes les
expériences qu’elle a lancées, je pense tout particulièrement à cette aventure
photographique que l’on peut difficilement raconter et qu’elle appelle avec ses
ami.e.s « Les instants folies »...
Elle affiche alors sur les réseaux sociaux : « Chaque jour est
une vie entière ». Et il y a ce mot qu’elle porte en tatouage :
« Levantate», « Lève-toi », c’est le titre d’une chanson de
Victor Jara, assassiné par les militaires chiliens… Levantate… « Lève-toi
et regarde la montagne. Apporte-nous ton royaume de justice et
d’égalité... », dit la chanson.
Et puis, monsieur le Président, je souhaite partager avec vous l’étonnement
que j’ai eu en rangeant les affaires qu’Elsa a laissées derrière elle. J’ai
retrouvé la copie d’une lettre dont j’avais perdu le souvenir. Elle est datée
du 9 décembre 1987. Je ne savais pas qu’Elsa l’avait gardée. Elle devait
compter pour elle… Cette lettre, je l’adressais à son institutrice:
« Aujourd’hui le monde connaît un moment d’espoir extraordinaire, mais
combien sous-estimé, avec la signature de l’accord qui prévoit la destruction
de missiles nucléaires pour la première fois dans l’Histoire -ou bien la
Préhistoire ?-. Nous avons cherché avec Elsa ce qui pourrait marquer cette
journée, étape nouvelle pour l’avenir de tous les enfants du monde. Ils ne
doivent plus apprendre la guerre mais la paix. C’est pourquoi nous nous
permettons de vous remettre pour votre classe une sérigraphie du peintre
chilien Jose Balmes en souvenir de ce premier pas vers une nouvelle façon de
penser et de vivre : détruire des armes au lieu de les construire. Vous
savez combien la vie mérite tous les efforts patients et obstinés. »(fin
de citation)
Espoir, Espérance... Amertume ? En tout cas, c’est ainsi qu’Elsa
grandit et j’en suis fier. Elsa repose maintenant dans un cimetière de
Seine-Saint-Denis auprès de son grand-père de France. Les cendres de Patricia
ont été déposées au Chili, sa terre natale, par Fabien, mon fils, et Franck,
son mari. Patricia avait souvent dit sa volonté de reposer au Chili le jour
venu. C’est ce qui a été fait, mais qui peut accepter l’idée que ce jour était
venu ? Aujourd’hui, les questions restent entières : Pourquoi Elsa et
Patricia ont-elles été tuées ? Pourquoi mon petit-fils a-t-il vécu le
pire ? Pourquoi ces attentats du 13 novembre ? Ce procès permettra de
dégager les réponses, j’en suis persuadé.
Mais, monsieur le Président, à la fin du mois de mai, le jugement une fois
rendu, nous n’en aurons pas fini. D’autres questions sont là, qui ne relèvent
pas de ce tribunal : Quelles sont les causes profondes du terrorisme djihadiste ?
Comment le prévenir ? Comment l’éradiquer, si cela est un jour possible ?
Que faut-il changer dans ce monde pour que plus personne, où que ce soit, ne
vive ce que nous vivons ? J’ai en mémoire ce qu’a dit Rachid Benzine, auteur de
« Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? ». Avec son
autorisation, je le cite : « Il est possible de détruire le
territoire physique de Daesh. Mais le territoire des esprits, c’est une autre
paire de manche ».
Je pense que là est le défi que doit relever notre humanité : « Bousculer
toutes les intelligences, les yeux de la curiosité, l’esprit de la raison, le
cœur, grand ouverts », comme je le disais l’an passé, lors de l’hommage
rendu dans ma ville à Samuel Paty.
Pour terminer, Monsieur
le Président, je veux dire ma conviction, toute simple : rien ne fera
disparaître les victimes du 13 novembre, au Stade de France, sur les terrasses,
au Bataclan, tuées ou blessées dans leur chair et dans leur âme. Rien ne fera
disparaître Elsa et Patricia, ni leur idéal de liberté et de justice.
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