Pour l’Élysée, les
conseils de défense sanitaire sont vus comme des « Conseils des ministres
restreints ». Banalisés depuis la pandémie, ils outrepassent leur rôle initial.
Ce mercredi 11 août, le président de la République réunit un nouveau
conseil de défense sanitaire. Une information qui sonne désormais comme une
routine aux oreilles des Français, tellement elle a été répétée depuis le début
de la crise sanitaire. Chacune des grandes décisions annoncées par le
gouvernement a été prise au sein de cet opaque conseil de défense sanitaire,
une simple variante sémantique du conseil de défense et de sécurité nationale.
Encore aujourd’hui, l’exécutif devrait se prononcer sur l’opportunité d’une
troisième injection de vaccin contre le Covid.
Les premiers conseils de défense sanitaire se sont pourtant tenus au début
de la crise dans le bunker Jupiter, à 70 mètres sous le sol du palais
de l’Élysée.
Ces réunions du conseil de défense ne datent pas de la crise sanitaire.
L’instance elle-même est une création remontant à la présidence de Nicolas
Sarkozy, en 2009. Le successeur de Jacques Chirac avait d’abord tenté en 2007 de
faire fonctionner un « conseil de sécurité nationale » sur le modèle américain.
Nicolas Sarkozy optera finalement pour une réforme du conseil de sécurité
intérieure, créé en 1986 par Jacques Chirac, en le remplaçant par le « conseil
de défense et de sécurité nationale ». Ils sont présidés par le président de la
République, et fonctionnent comme un Conseil des ministres restreint… aux
ministères concernés par la coordination nécessaire aux questions de défense et
de sécurité nationale. Le conseil de défense sanitaire, comme l’indique le site
Internet de l’Élysée, n’est qu’un conseil de défense et de sécurité nationale
consacré à la crise sanitaire.
Dans l’histoire contemporaine, les gouvernements ont toujours créé des
instances de ce type, chargées de coordonner l’action du pouvoir dans un
contexte de crise grave. Tout au long du XXe siècle, ces réunions
s’appelaient « comités de défense ». Cependant, la menace du terrorisme a
considérablement accru le recours à ce mode de prise de décision politique.
Après les attentats de 2015 notamment, le conseil de défense et de sécurité
nationale s’est réuni à un rythme quasiment hebdomadaire.
Parlement et Conseil des ministres tenus à l’écart
Avec la pandémie de Covid, ses missions ont cependant changé. Il ne s’agit
plus seulement de questions liées à la défense nationale et à la sécurité
intérieure, mais bien de prendre des décisions politiques en matière de santé
publique, qui sont ensuite immédiatement soumises à l’Assemblée nationale pour
approbation par la majorité. Si menaçante que soit la pandémie de coronavirus,
la France n’est pas sous la menace d’un bombardement ennemi.
Les premiers conseils de défense sanitaire se sont pourtant tenus au début
de la crise dans le bunker Jupiter, à 70 mètres sous le sol du palais de
l’Élysée, jusqu’à ce que la trop petite taille de la salle de réunion ne soit
considérée comme incompatible avec les gestes barrières. Les réunions se
tiennent désormais au rez-de-chaussée de l’Élysée, mais restent tout aussi
« bunkerisées », soumises au secret-défense que leur confère leur statut.
Et c’est justement ce qui pose problème. Dans l’opposition, mais aussi de
façon plus feutrée, chez certains membres de la majorité. Le Parlement comme le
Conseil des ministres ne sont plus associés à l’élaboration de décisions qui
ont pourtant de graves implications pour le pays.
Par ailleurs, la nature des décisions prises en conseil de défense
sanitaire dépasse largement le cadre de celui-ci. En mars 2020, peu avant de
décider de confiner tout le pays, c’est au cours de l’une de ces réunions que
le gouvernement a ainsi pris la décision de recourir à l’article 49-3 de
la Constitution pour stopper le débat parlementaire sur sa réforme des
retraites rejetée par une majorité de Français. L’écologie n’y échappe pas non
plus. Emmanuel Macron a aussi créé un conseil de défense écologique. « À
l’image du conseil de défense et de sécurité nationale, indique le site de
l’Élysée, ce conseil permet au président de la République de réunir
autour de lui un Conseil des ministres restreint pour approfondir les questions
écologiques de manière transversale. » C’est au cours de l’un de ces
conseils de défense écologique que le gouvernement a ainsi décidé de passer à
la trappe la plupart des propositions issues de la Convention citoyenne sur le
climat. Comme tout conseil de défense, celui-ci était aussi soumis au
secret-défense…
Un mode de gestion opaque et expéditif de la vie politique
La question du
terrorisme, la crise sanitaire, l’urgence climatique, si elles sont les crises
aiguës du monde contemporain, ne justifient pas à elles seules ce mode de
gestion opaque et expéditif de la vie politique. Ancien ministre de l’Intérieur
et pilier de la Macronie, Christophe Castaner avait ainsi justifié le recours
répété, banalisé même, aux conseils de défense en début d’année. « Le
président n’a pas vocation à être contrôlé par l’Assemblée », avait-il
déclaré sur BFMTV le 3 février. Il avait qualifié les conseils de défense
de « réunions de travail » qui avaient selon lui l’avantage de
la rapidité quand il faut « six à neuf mois pour faire une loi au
Parlement ». Le débat démocratique empêcherait donc d’avancer suffisamment
vite selon l’ancien ministre. Emmanuel Macron lui a donné raison le
12 juillet : en annonçant la généralisation du passe sanitaire, le
président de la République a relancé sur le même ton autoritaire sa réforme des
retraites ainsi que celle sur l’assurance-chômage. C’est bien là la
signification de ces conseils de défense désormais banalisés, illustrant cette
nouvelle ère d’une démocratie formelle, expéditive, dans laquelle le Parlement
n’a plus que le rôle d’avaliser des décisions auxquelles il n’a pas participé,
achevant la présidentialisation du régime de la Ve République.
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