Les talibans sont entrés
dimanche matin dans la ville. Les habitants de Kaboul ne savent pas ce qui va
leur arriver. Ils témoignent pour l’Humanité.
Zeinab est en pleurs. Des pleurs qui ne s’arrêtent pas. Il y a dix jours,
alors que les rues de Kaboul étaient encore pleines de monde, elle nous
confiait son appréhension face à une arrivée possible des talibans. « Il
n’y a rien de pire. S’ils entrent dans Kaboul, ils me lapideront parce que je
ne suis pas mariée et que je ne suis pas vierge. Vous imaginez ce que cela
signifie pour eux ? » Pour elle, le cauchemar est devenu réalité. Si
la horde fondamentaliste n’a pas totalement déferlé sur la capitale afghane et
se tient encore en périphérie, des groupes ont néanmoins été aperçus, notamment
dans le quartier de Pol-e-Surkh, où se trouvent les lieux branchés que
fréquentait jusque-là la jeune femme, et celui de Dasht-e-Barchi, à l’ouest, où
vit principalement la communauté hazara, de confession chiite. Ce n’est sans
doute pas un hasard, alors que débute la fête de l’Achoura et que les rues sont
pavoisées des portraits de Hussein, figure du chiisme. « L’Émirat
islamique ordonne à toutes ses forces d’attendre aux portes de Kaboul »,
avait d’abord annoncé sur Twitter Zabihullah Mujahid, un porte-parole des
talibans. Puis il a précisé qu’elles étaient autorisées à pénétrer dans les
zones de la capitale abandonnées par l’armée afghane pour y maintenir l’ordre.
Avancée fulgurante
Zeinab n’en revient toujours pas de cette avancée fulgurante des
talibans. « Je suis perdue », crie-t-elle lorsque nous la joignons
par téléphone. « Je ne sais pas ce qui va se passer. Mon avenir est
complètement ruiné. » Depuis le matin, les Kabouliotes vaquaient à
leurs occupations. Jusqu’à ce que vers 10 heures, la nouvelle ne se
répande comme une traînée de poudre : « Ils sont là. » Immédiatement,
ça a été la ruée. Les avenues se sont soudainement engorgées de milliers de
voitures. Sur les trottoirs, les passants avaient du mal à avancer tant la
cohue était importante. Tout le monde rentrait chez soi, anxieux. Comme Zeinab,
qui s’est précipitée dans son appartement. « Tout est en désordre, il
faut que je cache ou que je détruise tous les posters que j’ai sur mes murs où
l’on voit des garçons et des filles s’embrasser », raconte-t-elle entre
deux sanglots, persuadée que les fondamentalistes vont venir défoncer sa porte.
La réalisatrice et directrice de l’Institut du film afghan, qui avait posé
pour la couverture de l’Huma nité à moitié
recouverte d’une burqa, Sahraa Karimi, pourtant si forte, est
bouleversée. « Il n’y aura plus de films en Afghanistan. Tout est
complètement détruit », lance-t-elle, dépitée plus qu’affolée. Samedi soir,
sentant que la menace se précisait, elle avait précipitamment annulé une
projection prévue à l’Institut. Très nerveuse, elle nous dit : « Je ne
sais pas quoi faire, je ne sais pas quoi faire. » La veille, elle
avait lancé un appel au monde du cinéma « avec le cœur brisé et un
espoir profond » pour qu’il intervienne afin de « protéger mon
beau peuple, en particulier les cinéastes, des talibans ». La
rédactrice en chef du magazine Nimrokh, Fatima Roshanian, est tout
aussi déboussolée. « Je ne pensais pas qu’ils arriveraient aussi vite.
Il y a beaucoup de talibans dans les rues », précise-t-elle. Hier matin,
elle est descendue de chez elle pour aller à la banque et vider son compte. Des
centaines de personnes faisaient de même. D’autres piétinaient devant les
ambassades du Pakistan et de l’Iran pour tenter d’obtenir un visa. Ces deux
pays sont pratiquement les seuls atteignables rapidement par la route. La
confusion était totale. Fatima Roshanian a décidé de rester cloîtrée dans son
appartement. « Avec mon journal, j’ai dénoncé aussi bien la corruption
du gouvernement que les talibans. Je sais que ces derniers ont dressé une liste
de personnes qu’ils n’aiment pas et je suis dessus. Ma vie est en danger. »
Mokhtar, qui préfère ne pas donner son nom, veut « essayer de
garder le moral. Tous les magasins sont fermés, personne ne sort. Dieu seul
sait ce qui va se passer », témoigne-t-il. Son père, Hamid, qui a été
directeur de banque, dit avoir « très peur ». Samedi déjà, la
population de Kaboul avait commencé à faire des stocks de provisions « pour
pouvoir rester chez elle quelque temps sans sortir, en espérant que les choses
iront mieux dans quelques jours ».
Samedi toujours, alors que les talibans se rapprochaient de la capitale, le
président afghan, Ashraf Ghani, tentait encore de donner le change. « La
remobilisation de nos forces de sécurité et de défense est notre priorité
numéro un et des mesures sérieuses sont prises à cet effet », affirmait-il
dans une adresse télévisée à la nation. Las, 24 heures après et suite à
une rencontre avec une délégation des talibans, il lâchait tout. Certains
avaient promis de le pendre comme le président Najibullah, soutenu par les
Soviétiques. Mais soit les talibans ont changé, soit tout cela n’est que
l’aboutissement d’un accord passé avec l’assentiment des États-Unis, à moins
que ce ne soit les deux conjonctions : Ashraf Ghani a quitté le pays sain et
sauf et se trouve maintenant au Tadjikistan voisin.
Que va-t-il se passer maintenant ? « Dans les jours à venir, nous
voulons un transfert pacifique » du pouvoir, a déclaré Suhail Shaheen,
un porte-parole basé au Qatar dans le cadre d’un groupe engagé dans les
négociations. Il a exposé les grandes lignes politiques envisagées par les
talibans en vue d’un retour au pouvoir du mouvement islamiste radical,
20 ans après en avoir été chassé par les forces internationales à la suite
des attentats du 11 septembre 2001. « Nous voulons un gouvernement
islamique inclusif, ce qui signifie que l’ensemble des Afghans seront
représentés dans ce gouvernement, a-t-il assuré. Nous en
parlerons à l’avenir, lorsque la transition pacifique aura eu lieu. »
Les talibans veulent donner des gages
Il semble que les talibans veuillent donner une autre image d’eux-mêmes et
ouvrir « un nouveau chapitre » de tolérance. Ils ont
effectivement besoin de donner des gages aux pays de la région et aux grandes
puissances, notamment les États-Unis, la Russie et la Chine. Ils ont ainsi
précisé que les ambassades internationales et leurs employés ne seront pas
ciblés par les combattants talibans et qu’ils devraient rester dans le
pays. « Nous voulons de nouveau assurer qu’il n’y a pas la moindre
vengeance contre quiconque. Si cela se produit, il y aura enquête », a-t-il
promis. Ce qui ne rendra pas la vie à une personne exécutée – comme cela s’est
produit à Kandahar avec l’assassinat d’un comédien - et laisse dubitatifs
nombre de Kabouliotes, même si nombre de policiers et de soldats qui se sont
rendus ont été laissés libres. Dans la grande ville de l’Ouest Herat, les
femmes travaillant dans les administrations publiques ont été priées de rentrer
chez elles et de ne pas revenir. Dans les zones nouvellement conquises, ils ont
déjà été accusés de nombreuses atrocités : meurtres de civils, décapitations,
enlèvements d’adolescentes pour les marier de force, notamment.
Le porte-parole des
talibans a estimé que le groupe devrait revoir prochainement ses relations avec
les États-Unis, marquées par deux décennies de conflit. « Notre
relation est désormais du passé », a-t-il jugé, « pour l’avenir, cela
concernera uniquement nos choix politiques, rien de plus, il s’agira d’un
nouveau chapitre de coopération ». C’est sans doute ce que recherche également
Washington. Après tout, l’offensive des talibans, qui s’est réellement
développée en mai, a pris corps après la signature d’un accord avec les
États-Unis, à l’automne 2020, dans lequel les fondamentalistes s’engageaient à
ne pas accueillir sur le sol afghan des entités menaçantes pour les Américains.
Un pouvoir corrompu, composé d’anciens moudjahidin et de proches du commandant
Massoud, est tombé. Les Afghans ne vont pas vraiment le regretter, ce qui n’est
pas le moindre des paradoxes.
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